dimanche 27 janvier 2013

Un romantique



Il disait qu’il l’aimait

Mais il ne savait pas ce que c’était qu’aimer.

Il prétendait que pour elle

Il mourrait, qu’il traverserait le monde,

Ridiculiserait les poètes

Avec ses chansons infinies.

Il défiait les soleils, les couvées somptueuses,

Les cuvées d’exception, les prétendants au trône.

Avec ses amours de salive et d’œillet,

Il avait aussitôt pour ennemis

Ceux qui atténuaient sa passion

Et lui annonçaient un destin de papillon;

Il se liait avec ceux qui glorifiaient son amour

Et disait que jamais on n’avait aimé comme lui;

Il croyait à la mort d’amour, comme un Clèves

Ou un chevalier sacrificiel, votif pour les couples

Qui s’abandonnent dans la tragédie sensuelle,

S’embrassant et agonisant sous le ciel noir.

Il avait ce cœur absolu qui récuse

Les autres amours, les inconnus qui s’étreignent

Aussi fort que lui; lui aimant il doutait

Que l’amour vive en dehors de lui.

Pour elle il avait l’obscure endurance

De prouver que sa tendresse était la plus belle.

Il se voyait au plus haut avec elle

Comme s’il avait gagné chevauchée au ciel.

L’univers (et avec lui tout le sac des galaxies)

Lui semblait décharné. Il ignorait

Le réel qui le surpassait, comme un couturier occulte

Les vêtements plus beaux que les siens. Face à son amour,

La mer ne signifiait plus : adieu la déferlante,

L’eau immense dressée et le chœur des abysses

Qui se déploie, monte et jaillit; adorateur,

Il chérissait et s’apeurait. Fébrilement,

Il pressentait que d’autres s’aimaient. Alors, comme un miroir

Lui faisait face, où il se perdait.

Ses reflets l’effrayaient : cesserait-il aussi

De se vouer ? Elle étoile aujourd’hui, deviendrait-elle

Pauvre sur sa bouche ? Elle énumérée glorieuse,

Trouverait-il toujours foison pour l’évoquer ?

Garderait-il le zénith endurant, la rose

Figée en son éclosion ? Bien qu’il se crût seul à transir,

Il voyait des amants aussi vifs,

Il entendait des aveux aussi forts

Et témoin des passions qui n’étaient pas les siennes,

Il frémissait. L’amour à part lui ?

Il cernait sa tyrannie, son trop plein de bouquet,

Son joyau incrusté dans un autre joyau

Mais face à elle, il ne savait que son amour

(L’œuf triomphal qui ordonne à tous les mondes)

Et leur intimité lui semblait toute l’éternité.

Alors, malgré ses moments d’humilité hagarde,

Revenant toujours à elle, à son visage

Et ses yeux, il la regardait, sachant contempler vite,

Et moquait les muses.

Encore et toujours !


                                                                          Pas assez                             

                                               I

On ne dira jamais la lune.

Terre et rochers parmi le blanc

Qui sont de l’encre et n’en sont pas.

Quel royaume ? Un gris parfois qui s’éclaire

Et semble un à peu près de soleil.

                                               II

On ne dira jamais les genêts.

Le vent a, pour frémir, son plus bel allié

Et ne réclame pas d’autres souffles.

Avant l’arbre (et tous les arbres sont solennels)

Ils font l’exact rassemblement de l’air et l’humus

Mais les pauvres mots de l’homme

Transcriront si peu de ce frisson, si peu

Que la poésie ordonnera silence.

                                               III

On ne dira jamais la mort des renards.

Sur la route écrasés, bouillie pas même ensanglantée

Mais ils gisent, dépouille offerte à tous les yeux.

Eux, trésors roux qui sautillaient dans les herbes,

Les voilà vestige et dégoût, rien qu’un sac à mort

Où l’effroi ne va pas plus haut, la tragédie tout de suite

À la seule vue d’un prédateur broyé.

                                               IV

On ne dira jamais les variations du feu.

Pour qui a assigné le jaune à la flamme,

Il sera hypocrite en son violet

Car avant l’incendie, la bougie déjà

Publie les couleurs infinies

Et aussitôt l’orange et le blanc sont frères,

Ponctués d’un bleu qui surgit et s’amuse

Des orgueils du rouge.

Mais le feu se laissera saisir quand les hommes

Proclameront les brouillards flamboyants.

                                               V

On ne dira jamais mon amour.

Ô, taisez les yeux qui sont les siens

Et que vous avez vus. A moi qui l’ai crue source

Des rayons, récusez. Deleatur pour à nouveau

(Demain ? L’an prochain ? Au fil des mois ou tout à coup ?)

Frémir pour un visage. Un doigt éternel sur vos lèvres

Et je trouverai force dans le silence.