samedi 29 mars 2014

Memento !

Ces derniers jours, je me suis questionné sur la mémoire. J'apprenais un sonnet de Du Bellay et comme je peinais à le retenir, je me suis demandé pourquoi ce texte que j'aime ne se fixait pas dans ma tête. Il y a d'autres textes de Du Bellay que j'ai appris en quelques minutes. Je me souviens que lors de ma première année à l'université, j'apprenais beaucoup de poèmes. Je les apprenais comme on fait du sport ; plus j'apprenais, mieux j'apprenais et plus rapidement le texte me restait à l'esprit. Parfois, j'apprenais deux poèmes par jour mais qu'est-ce qu'apprendre ? Certains de ces poèmes, je les ai oubliés ou je n'en ai conservé que des fragments, que je confonds aussi avec d'autres poèmes, si bien que je me les récite comme un mauvais brodeur tisserait de la dentelle avec du fil de fer.                                           
Il y a de troublantes béances dans la mémoire. A l'école, j'ai appris des cours avec tout ce que le par cœur peut avoir de virtuose, je les connaissais si bien que je me les étais appropriés comme un cuisinier sa recette. Et pourtant, un mois après, je n'avais que des fantômes de souvenirs : ce cours que j'avais appris à la virgule, que j'avais restitué sans aucune erreur à mon prof, je l'avais très vite évacué de moi, comme on se déferait d'un meuble qui ne sert à rien. Que de connaissances dispersées en moi, qui se sont tellement délayées qu'elles sont devenues des lambeaux. Tantôt je m'attriste d'avoir oublié tantôt je m'en indiffère. Mais à force d'entendre partout qu'oublier est inévitable, je finis par m'en accommoder.
Il y a quelques années, l'oubli me terrifiait. Dès qu'un nom de ville, un morceau de poème, un événement historique m'échappait, je m'efforçais de le retrouver aussitôt. L'oubli me précipitait dans un je ne sais quoi d'angoissé, que j'associais inconsciemment à la bêtise ou du moins, une forme de bêtise. Puisque j'avais oublié, je me sentais troué, inerte et débiteur, oui, j'avais une dette à combler vis-à-vis du monde.                                            
Jamais je n'ai trouvé une légitimité à l'oubli. Certains philosophes en ont fait l'éloge, j'y vois une régression inévitable de nos caboches. Pourquoi oublier ? Allez-vous dénicher un semblant de nécessité dans cette désertion mentale ? Laissons les philosophes avec leurs certitudes. Moi, je ne me suis jamais consolé d'oublier. C'est une espèce de déclin injuste ; je serre dans la main un objet et tout à coup, en la rouvrant, je découvre que ma paume est vide.