dimanche 25 mai 2014

Si triste, la démocratie...


Rien que du ressenti. Aujourd’hui, les élections européennes ont eu lieu ; et à l’instant, j’entends que le parti d’extrême droite est en tête des votes. Autrement dit, une idéologie qui n’en est même pas une, un oursin moral et raciste a été plébiscité par près d’un quart d’électeurs. Si les mots pouvaient vomir, vous auriez de la gerbe dans vos yeux. Certes, face à une telle nouvelle, il faudrait garder la tête froide et, probablement, ne pas écrire, attendre demain ou les jours prochains pour fixer ce que j’éprouve mais le dégoût remonte trop en moi pour le brider.

Depuis une dizaine d’années, l’extrême droite française semble vernissée, ses chefs s’expriment à la télévision et dans les quotidiens avec une facilité que vous n’auriez pas pour défendre votre œcuménisme ; elle se lisse comme les statues de saints dont on baise les pieds. Quand j’étais adolescent, elle était risible : assentir à la xénophobie, à l’excitation des peuples, à la stigmatisation des diversités culturelles ; désapprouver le métissage, le tissage des origines, l’entrelacs profus des différences ; quelqu’un qui, publiquement, aurait condamné le multiculturalisme sur l’Hexagone aurait subi cent attaques légitimes.

Or, de plus en plus de pseudo-penseurs, de scrivaillons aigris, d’agitateurs décérébrés, de furieux influents, de fauteurs de haines proclament leur défiance contre les Nords-Africains avec autant de spontanéité que vous demanderiez à votre poissonnier, un jour de marché, les darnes de saumons les plus fraîches. Ce soir, je me sens vieux, je m’aperçois qu’une vigilance civique s’amoindrit, que la magnanimité des cœurs est poreuse, qu’elle se gangrène jusqu’au pourrissement national.

Qui sont ces millions d’électeurs qui ont voté pour le pire ? Qu’on me les désigne, qu’on m’apprenne leurs motivations, leurs aigreurs, leurs espérances citoyennes. Qu’ils me décrivent clairement, rigoureusement, objectivement pourquoi ils ont, dans l’urne, déposé le bulletin régressif. Il y a quinze ans, l’extrême droite suscitait la raillerie, on s’en moquait car sa vindicte et sa férocité paraissaient des monstres. De la démence on ne s’effraie pas toujours. S’acharner sur les immigrés semblait si niais, si odieusement superficiel que la plupart d’entre nous répliquait par le rire. Quoi de crédible dans les statistiques frontistes ? Comment accorder un semblant de crédibilité à un parti qui, pour seul drapeau, brandit la fureur et la frustration ? Aujourd’hui, un mauvais vent a tourné ; la crispation s’est dotée d’une sorte de noblesse, comme on ferait reluire un bouclier taché de sang. Et là réside la stupeur, semblable à celle qu’aurait Kafka s’il vivait de nos jours : ces millions d’allégeances à un parti purulent ne font crier personne ? Les partis modérés ont-ils perdu leurs voix ? L’aphasie est-elle une nouvelle donne de la politique ?  

 

vendredi 23 mai 2014

La fin du monde, entre autres


 

Savez-vous quand cette phrase fut écrite ? En 1422, par le mage Sorafinus, suite à une vision qu’il eut dans la nuit du 19 octobre, après avoir mangé une racine de mandragore trempée dans du lait de chèvre. Non, c’est moi qui l’ai inventée, pour vous amuser. Les prophéties sont fascinantes. Qu’on y croie ou pas, qu’on considère Nostradamus ou Blavatsky comme des imposteurs ou des surhommes, elles possèdent une force mystérieuse. Elles divertissent en même temps qu’elles émerveillent. Et les récits de fin du monde ont la même puissance. Imaginons-la. Vous êtes dehors, en train de marcher, et soudain le ciel s’assombrit. Il s’assombrit trop vite pour que ce soit la nuit. Le soir tombe dans un flottement ; or, là, le ciel noircit d’un seul coup, comme des corolles immenses de charbon s’y répandent, dans un bruit lointain, qui ne résonne pas mais qui gronde et grandit. Vous n’avez pas encore peur, c’est l’étonnement qui vous prend, vous fixez le ciel et vous attendez. Vous attendez parce que vous pressentez quelque chose dans cet obscurcissement, quelque chose qui annonce un autre quelque chose et qui, immédiatement, vous transit. Le ciel a changé si rapidement que vous contemplez, passifs, silencieux et incrédules, trop surpris pour commenter ce qui se passe dans le ciel. Toute votre conscience est dans vos yeux. Vous n’êtes pas pétrifiés mais vous ne bougez pas ou à peine. Le noir du ciel se déplace, s’enfle, se déploie et en se déployant, il s’approche. Il a la forme d’un nuage hérissé mais plus il grandit, plus il se distord et peu à peu, il ne ressemble plus à rien. Il enfle encore et se répand dans le ciel comme du lait dans de l’eau mais il est gris. Si tout le ciel était noir, ce serait la nuit et la nuit, dans sa profonde obscurité, n’est pas effrayante. Or, là, il est d’un noir délavé, le blanc du jour s’y mêle mais malmené, comme mis en minorité dans l’immensité du ciel. Ce blanc qui d’habitude persiste jusqu’aux derniers instants du crépuscule est recouvert par cette nappe sombre et crénelée. Soudain, des éclairs la traversent, des éclairs plus larges que tous ceux que vous avez vus dans votre vie, même lors d’un orage au sommet d’une montagne. Et à cet instant, vous vous effrayerez : vous aurez conscience que jamais de tels éclairs n’ont jailli dans le ciel. De plus, ils ne feront aucun bruit. Ce silence mettra en vous des pensées de mort. Vous serez les témoins de quelque chose de si vaste, si puissant, si violent que vous n’aurez rien d’autre à croire. La mort du monde, vous direz-vous, voici les premiers signes de la mort du monde. Ce ciel strié d’éclairs silencieux vous fera sauter le cœur et cependant, vous resterez immobiles. Anéantis par la peur, vous assisterez à ce spectacle qui viendra tout détruire. Pas une fois vous ne douterez de ce que vous verrez. On ne doute jamais face aux terreurs les plus vives.