On
a tort de glorifier la pluie. Les paysans, lorsqu’elle nourrit leurs champs, ne
la remercient pas comme dans les prières ; qui la vante ? Qui la
contemple ? Qui compose des textes sur sa prétendue musique ? Les poètes.
Mais aussi lyriques soient leurs images, aussi invitatrices à se laisser emplir
du double souffle du vent et de l’eau, elles sont fausses, elles disent quelque
chose d’hypocrite, comme un aveu concédé sous la menace. Elles suggèrent que le
monde s’amplifie quand la pluie vient sur nous en sa douce mitraille
verticale ; elles laissent entendre que ces gouttes chutant à une cadence
de métronome réveillent la plus belle part de nous : et ceux qui ne
sauraient pas déceler cette splendeur intime de la nature, ceux qui
répliqueraient « je hais la pluie », ceux qui revendiqueraient un ciel
continuellement sec seraient aveugles à l’authentique suavité du réel :
des citadins ne sachant rien des soifs de la terre ; bref, des idiots.
Mais malgré les métaphores somptueuses que les artistes lui associent, malgré
l’espèce de musique qu’on peut occasionnellement reconnaître en elle (un
dimanche, couché dans son lit, loin des contraintes du métier) et malgré la
nourriture dont elle gorge les champs, la pluie est une larme. Elle
tombe ; et dans sa chute, elle ne se désavoue pas. Descendre, descendre,
descendre : telle est sa vocation. Voici son préjudice qui me déplaît de
plus en plus. Précisément, l’agacement est la sensation qui m’envahit quand la
pluie survient. J’en viens jusqu’à l’insulter, la traiter de pute, lui ordonner
de cesser ; et qu’importe si je suis vain (car je sais qu’elle n’écoute
pas, de la même façon que la mer ne se soucie pas des bateaux qui vont sur
elle) mais une part de moi, clairvoyante autant qu’impulsive, exigeante autant
que régressive, s’indigne de cette humidité venant d’en haut.
Si
tu m’entendais, tu me trouverais ridicule : n’est-ce pas imbécile
d’injurier la pluie ? N’y a-t-il pas dans cette fureur la preuve qu’en
plus de s’imaginer les maîtres du cosmos, nous sommes d’abord les premiers
esclaves de l’instinct ? Et moi qui ai commencé par railler l’eau du ciel,
je voudrais à l’instant, parmi l’obscure tranquillité du soir, l’écouter. Pluie
que je méprise, qui me ramène à l’homme (ou petit homme) que je suis, aucun de
mes mots pour toi ne sera bienveillant, encore moins romantique ou élégiaque.
Je ne t’aime pas. Je ne crois pas dans ta fécondité, je ne vois pas en toi la
plus riche des sources. Mais bien que je te fuie et que ma peau te déteste, tu
tombes et tomberas, indifférente à chacun de nous, aujourd’hui, demain ou dans
quarante-deux étés, parce que le vent veut des pleurs pour l’accompagner, parce
que les nuages se sentent seuls dans le ciel, parce que l’humus frissonne quand
tu le pénètres et que nous, observateurs obstinés mais impuissants, avons
besoin de toi, de ta lumière liquide et de tes refrains qui conjurent tout ce
que les marteaux pourraient avoir de mélodieux.