mercredi 24 février 2016

Précipitation


             On a tort de glorifier la pluie. Les paysans, lorsqu’elle nourrit leurs champs, ne la remercient pas comme dans les prières ; qui la vante ? Qui la contemple ? Qui compose des textes sur sa prétendue musique ? Les poètes. Mais aussi lyriques soient leurs images, aussi invitatrices à se laisser emplir du double souffle du vent et de l’eau, elles sont fausses, elles disent quelque chose d’hypocrite, comme un aveu concédé sous la menace. Elles suggèrent que le monde s’amplifie quand la pluie vient sur nous en sa douce mitraille verticale ; elles laissent entendre que ces gouttes chutant à une cadence de métronome réveillent la plus belle part de nous : et ceux qui ne sauraient pas déceler cette splendeur intime de la nature, ceux qui répliqueraient « je hais la pluie », ceux qui revendiqueraient un ciel continuellement sec seraient aveugles à l’authentique suavité du réel : des citadins ne sachant rien des soifs de la terre ; bref, des idiots. Mais malgré les métaphores somptueuses que les artistes lui associent, malgré l’espèce de musique qu’on peut occasionnellement reconnaître en elle (un dimanche, couché dans son lit, loin des contraintes du métier) et malgré la nourriture dont elle gorge les champs, la pluie est une larme. Elle tombe ; et dans sa chute, elle ne se désavoue pas. Descendre, descendre, descendre : telle est sa vocation. Voici son préjudice qui me déplaît de plus en plus. Précisément, l’agacement est la sensation qui m’envahit quand la pluie survient. J’en viens jusqu’à l’insulter, la traiter de pute, lui ordonner de cesser ; et qu’importe si je suis vain (car je sais qu’elle n’écoute pas, de la même façon que la mer ne se soucie pas des bateaux qui vont sur elle) mais une part de moi, clairvoyante autant qu’impulsive, exigeante autant que régressive, s’indigne de cette humidité venant d’en haut.  
            Si tu m’entendais, tu me trouverais ridicule : n’est-ce pas imbécile d’injurier la pluie ? N’y a-t-il pas dans cette fureur la preuve qu’en plus de s’imaginer les maîtres du cosmos, nous sommes d’abord les premiers esclaves de l’instinct ? Et moi qui ai commencé par railler l’eau du ciel, je voudrais à l’instant, parmi l’obscure tranquillité du soir, l’écouter. Pluie que je méprise, qui me ramène à l’homme (ou petit homme) que je suis, aucun de mes mots pour toi ne sera bienveillant, encore moins romantique ou élégiaque. Je ne t’aime pas. Je ne crois pas dans ta fécondité, je ne vois pas en toi la plus riche des sources. Mais bien que je te fuie et que ma peau te déteste, tu tombes et tomberas, indifférente à chacun de nous, aujourd’hui, demain ou dans quarante-deux étés, parce que le vent veut des pleurs pour l’accompagner, parce que les nuages se sentent seuls dans le ciel, parce que l’humus frissonne quand tu le pénètres et que nous, observateurs obstinés mais impuissants, avons besoin de toi, de ta lumière liquide et de tes refrains qui conjurent tout ce que les marteaux pourraient avoir de mélodieux.