Les
faussaires vont en prison. Parce qu’ils ont peint une toile avec tant de
minutie et de virtuosité mimétique qu’ils ont leurré les marchands d’art sur sa
provenance, ils sont punis par les tribunaux de la justice. Ont-ils dépouillé
tel musée d’une de ses œuvres ? Jamais. Ont-ils volé le tableau d’un
mécène ? Encore moins. Ont-ils agressé quelqu’un ? Pas à ma
connaissance. Ont-ils tiré au fusil ? Blessé au couteau ? Les seules
armes que vous trouverez chez eux sont des pinceaux. Ont-ils menacé ?
Diffamé ? Harcelé ? Dans leur atelier, ils travaillent sans
quereller. Alors, quel est leur crime ? Pour quel chef d’accusation se
sont-ils retrouvés devant le box ? Qu’ont-ils commis de mal pour être
passibles d’une peine d’emprisonnement ? Reproche-t-on à un poète de nous
émouvoir ? Accuse-t-on le clown de nous avoir amusés ?
Intenterons-nous un procès à ces comédiens qui nous ont, le temps d’un
spectacle, fait voir le monde autrement ?
Car j’ignorais que dessiner
puisse relever d’une activité criminelle ; que poser des couleurs à
l’intérieur d’un cadre puisse constituer quelque chose de dangereux, de
blâmable : et dans cet étonnement qui n’est même pas un tiraillement ou de
l’incrédulité, la certitude qu’ils sont puissants affleure en moi. La
malhonnêteté qui les entoure, le mensonge sulfureux qui les encercle,
l’imposture dont les commissaires-priseurs et les galeristes les recouvrent
comme d’un drap trempé de boue ; ce qu’à propos d’eux on nomme contrefaçon
ne dévoile-t-il pas au contraire un je ne sais quoi de talentueux, une amorce
de force créatrice, une promesse d’inventivité qui a déjà dépassé le stade de
la promesse ? N’a-t-il pas malgré les mots négatifs avec lesquels on le
mentionne une authenticité évidente ? Décelez-vous comme moi la beauté d’une
posture, qui ne choquera que les choquables et ne fera gueuler que les
académistes agrippés à la certitude que l’art suit un seul chemin, au tracé
lisible et confortable, qu’ils ont plaisir et arrogance à arpenter ?
Ceux-là qui passent pour trompeurs, malversateurs, bluffeurs des splendides
entreprises de l’âme, sont-ils moins sincères que les milliardaires levant
l’index lors d’une enchère à Drouot pour montrer qu’ils sont preneurs d’avoir
chez eux une toile de maître ?
Pas moins de vérité dans ces hommes qui composent
dans la brume ! Pas moins de dignité pour ceux qui se sont toujours
imprégnés d’une œuvre qu’ils ont reproduite comme un mime soucieux d’implicite
et de complicité. Qu’ils survivent sans contestation, Wolfgang Beltracchi, Guy
Ribes et d’autres pour avoir réinterrogé la source de l’art comme à la
maternité, une famille se demande d’où provient la beauté de celui qui vient de
naître !