Hier, en
pleine nuit, le mot «barbarisme» a sauté dans ma tête. Pourquoi? Peut-être que
je l’avais utilisé quelques jours avant avec mes élèves, pour reprendre un d’entre
eux qui en avait fait un. Aussitôt, j'ai eu envie d'écrire un poème rempli de
barbarismes, comme si le mot, en jaillissant en moi, avait allumé une pulsion
poétique. Un vers puis un fragment de vers me sont venus puis je me suis
rendormi. Au réveil, l'envie s'était estompée mais en fin de matinée, par à
coup, comme autant de ricochets intérieurs, elle s'est ranimée.
Pourtant, je me méfie des barbarismes. Au seizième siècle, Du Bellay a écrit qu'il fallait constamment vivifier la langue française, en transformant la nature grammaticale des mots et en inventant des verbes, des adjectifs, etc. Il voulait un français vivace, mouvant, qui se contorsionne. Qu'en penser ? Il a raison. Ma phrase est bête mais elle signifie ce qu'elle signifie. Une langue figée, c'est une agonie. Rien de plus niais que ces gens qui prônent le bon français. J'ignore ce qu'est un homme bon et j'ignore davantage ce qu'est une bonne langue; sauriez-vous décréter quand on parle mal ou bien? Qu'on me donne un exemple de ce beau langage. Souvent, on l'amalgame avec des vieilles expressions ou des noms rares. Préjugé de ceux qui méconnaissent la littérature et les forces du parler. Dire ne se conjugue qu'au pluriel. Quant au français, il se ramifie en milliers de phrasés, de tournures, de régionalismes, d'archaïsmes, de technicités et de familiarités qui en font un labyrinthe illuminé.
Du Bellay revendiquait un français qui tourne sur lui-même; il voyait sa langue comme on considère les saisons. Je l'applaudis des trois mains même si quelque chose me retient. Ce quelque chose se commente autant qu'il se ressent, s'explique autant qu'il se conteste, tient de la certitude autant que de la rétractation. Il porte un nom qui prête à confusion mais sa définition est simple: le barbarisme.
Pourtant, je me méfie des barbarismes. Au seizième siècle, Du Bellay a écrit qu'il fallait constamment vivifier la langue française, en transformant la nature grammaticale des mots et en inventant des verbes, des adjectifs, etc. Il voulait un français vivace, mouvant, qui se contorsionne. Qu'en penser ? Il a raison. Ma phrase est bête mais elle signifie ce qu'elle signifie. Une langue figée, c'est une agonie. Rien de plus niais que ces gens qui prônent le bon français. J'ignore ce qu'est un homme bon et j'ignore davantage ce qu'est une bonne langue; sauriez-vous décréter quand on parle mal ou bien? Qu'on me donne un exemple de ce beau langage. Souvent, on l'amalgame avec des vieilles expressions ou des noms rares. Préjugé de ceux qui méconnaissent la littérature et les forces du parler. Dire ne se conjugue qu'au pluriel. Quant au français, il se ramifie en milliers de phrasés, de tournures, de régionalismes, d'archaïsmes, de technicités et de familiarités qui en font un labyrinthe illuminé.
Du Bellay revendiquait un français qui tourne sur lui-même; il voyait sa langue comme on considère les saisons. Je l'applaudis des trois mains même si quelque chose me retient. Ce quelque chose se commente autant qu'il se ressent, s'explique autant qu'il se conteste, tient de la certitude autant que de la rétractation. Il porte un nom qui prête à confusion mais sa définition est simple: le barbarisme.
Ecrivationner, crépusculation,
débrouillitude, majestuosité, délivrement sont des barbarismes. Vous ne les
trouverez dans aucun dictionnaire. Ils sont les fantômes insolents d'une langue
officielle et bien qu'ils figurent sur la page, une ombre méfiante les entoure.
Comme un sceau qui ne scelle rien, ils flottent dans les limbes de la
littérature. Je pourrais mettre un point à ce chapitre en invoquant la liberté
insécable de l'artiste: dès lors qu'on crée, on fait ce qu'on veut, on brise
les barrières de la forme et les interdits de la morale. Cependant, je
conclurais sans conviction. De même que je récuse l'amoralité de l'art, je ne
crois pas non plus dans la créativité coq-à-l'âne. Plus j'écris sur l'art, plus
je me sens rigide; il y a, en effet, de la vieillerie en moi. Je sais qu'une
langue doit bouger et que le conservatisme linguistique est risible, comme tous
les conservatismes. Je me réjouis des mots nouveaux qui entrent dans notre
langue, je m'amuse de ceux qui s'illusionnent que la maîtrise du français
consiste à faire la double négation, je m'amuse encore plus de ceux qui me
reprennent quand je dis «au jour d'aujourd'hui». Un jour, quelqu'un s'en est
agacé, en jugeant que l'expression est redondante; je lui ai alors répliqué :
« aujourd'hui est déjà un pléonasme». Et de lui expliquer que son étymologie, en
latin, contient deux mots, diurnus et
hodie, qui désignent exactement la
même chose. Les rigoristes m'exaspèrent d'autant plus qu'ils se servent de leurs
pseudo-connaissances comme d'un piédestal pour jauger et, le plus souvent,
mépriser ceux qui parlent un français approximatif. D'ailleurs, dès que je dis
mon métier à des inconnus, la plupart évoque leur propre rapport à la langue ou
à l'orthographe; aussitôt, je leur réponds que je ne suis pas sourcilleux et
que je ne corrige pas les fautes de conjugaison ou de grammaire.