Une ancienne mannequin
l’avait alertée que si elle dormait plus de cinq heures, elle se réveillerait
le visage bouffi ; par conséquent, chaque soir, selon qu’elle allait au
lit tôt ou tard, elle réglait son réveil selon le temps de sommeil qui la
rendrait fraîche et émaciée le lendemain. D’autres auraient renoncé vite à
cette hygiène mais elle, par une sorte
d’endurance sombre qui présidait à chacun de ses choix, elle fit d’un
commandement une exaltante contrainte puis un rituel puis une habitude et
enfin, une évidence. Au premier bruit de la sonnerie, elle se levait d’un bond,
ruait dans la salle de bains et se scrutait devant le miroir de son armoire à
pharmacie. Bien que ses joues soient creuses, elle apercevait un trop-plein ;
le reste de la journée consistait à s’en défaire, comme on gratterait une tache
sur sa chemise jusqu’à ce qu’elle disparaisse.
Après y avoir posé un
sachet de glaçons, elle s’asseyait sur son canapé pendant une demi-heure puis se
rendait dans la salle de sports située à une centaine de mètres de son
appartement ; c’est là, depuis cinq ans, cinq fois par semaine, qu’elle suivait
un cours de fitness avant de courir deux heures sur un tapis. De retour chez
elle, sous la douche, elle se savonnait et frottait sa peau jusqu’à la rendre
rouge. Puis elle s’essuyait avec la même hargne.
Un matin, devant le
miroir, après en avoir essuyé la buée, lorsqu’elle se vit, elle trembla.
Trois jours plus tard,
n’ayant pas de nouvelles d’elle, son frère la retrouva étendue sur le ventre,
du sang autour d’elle. Après enquête, le médecin légiste en conclut qu’elle
s’était asséné plusieurs coups de couteau aux pommettes avant de perdre connaissance
et tomber à terre, sa mort ayant été provoquée par le choc de sa tête sur le
carrelage.
À l’annonce de son
décès, ses parents et ses amis pleurèrent mais ne furent pas surpris. Sa beauté
la terrorisait : à vingt-six ans, bien qu’elle soit grande, elle
s’habillait en taille enfant ; malgré sa jeunesse, elle se recouvrait de
fond de teint ; ses lèvres étaient pulpeuses mais elle passait du crayon
autour afin de les faire ressortir ; quant à sa silhouette, en dépit de ses
quarante-huit kilos, elle se faisait vomir après les repas.
Néanmoins, on l’enterra
avec effarement. Elle que tant d’hommes et de femmes avaient désirée ; qui
avait amassé en une dizaine de défilés assez d’argent pour voyager
partout ; elle dont la blancheur de peau lui avait valu le surnom de
« déesse porcelaine », ceux qui l’avaient connue pensèrent, dans ce
que la songerie amène de culpabilité, qu’ils auraient pu la détourner de ses
peurs.
Avant la cérémonie, sur
son cercueil, sa mère posa un cadre en bois doré contenant une photographie
d’elle, en noir et blanc, la montrant en train de sourire. Chaque fois qu’ils l’aperçurent,
une tristesse les submergea où l’inertie de leur peine se mêlait à la colère.
En sortant du cimetière,
certains eurent soif de parler. Ils rappelèrent l’harmonie de ses traits, la
douceur de sa voix, son goût pour l’art, son érudition ; les larmes
revinrent. Elle qui ne laisserait pour mémoire qu’un sac rempli de laxatifs entassés
sous son lit et des vidéos de défilés où on la voit traverser le podium d’un
regard absent, elle était morte, déjà, mais fidèle à l’obscure promesse qu’elle
s’était faite de ne décevoir pas une seule fois physiquement.
je me suis régalée à cette lecture (mince, "régalée" est un peu suspect comme terme ici, au vu du sujet du texte!)et ai enchaîné avec L'Influent (re-mince pour "enchaîné"!): Gabriel tu as du talent d'écriture et d'imagination,pour sûr! Barbara
RépondreSupprimerp.s. en échange, voici mon blog,dans un tout autre domaine:
http://outdoorart.blogspot.fr/
Et en plus, tu dis "mince"! 😊
SupprimerJ'ai aussi regardé ton blog ! Talentueuse Barbara
Dear Barbara,
RépondreSupprimerWelcome and thanks! Les mots que tu emploies pour décrire ton ressenti de lectrice font penser aux paradoxes que le langage nous offre. À l’instant, le saule pleureur me vient en tête : qu’a-t-il de triste, cet arbre qui s’étend au bord des rivières comme on s’alanguit sur un lit ? Son feuillage n’évoque ni le deuil ni la peine…
Quant à ton imaginaire, après avoir visité ton blog, j’y décèle un mélange d’espièglerie et d’esthétisme. Avec toi, des objets aussi anecdotiques qu’une chaise, une paire de bottes ou un disque de papier deviennent des créations à la fois colorées et cocasses, faisant affleurer le sourire tout en invitant à la rêverie. N’est-ce pas cela, la poésie ?