dimanche 23 septembre 2018

Livre pour l'ami



47 commentaires:

  1. Cher Gabriel,

    J'ai hien reçu "Depuis la cendre".

    Sensibilité, beauté, densité humaine et littéraire.

    On ne peut pas lire ces poèmes sans être profondément touché par l'émotion de l'absence, par la succession d'images où le battement du monde dessine un dialogue avec la douleur de l'esprit blessé.

    Avec amitié et admiration

    Carles Duarte

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  2. Cher Gabriel Zimmermann,

    On ne referme pas Depuis la cendre sans émotion ni admiration : vous posez les mots du deuil sur la page blanche avec une justesse, une délicatesse (qui n’ignore cependant pas la brutalité de la maladie et de la mort) sensibles dans le rythme suspendu comme dans les images (ce portrait « à la craie mouillée » ou « Se souvenir de lui/ Comme un drap mis sur l’enfant qui dort »).
    J’espère que votre attention à ce silence de l’Après, votre respect à l’égard de cette absence que vous ne recouvrez pas de faux-semblants prépareront la venue d’une espérance ; ils ont en tout cas déjà forgé la voie à de bien beaux poèmes.
    Merci de votre confiance.
    Croyez à ma cordiale et attentive sympathie,

    Jean-Pierre Lemaire

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  3. Encore merci pour ce cadeau d’une grande valeur et d’une grande profondeur. On dit que « méditer, c’est apprendre à mourir ». Lire tes poèmes m’amène également à cet état vibratoire où l’on est là, face à notre « essentiel », « essence ciel » mais aussi face à nos terreurs les plus profondes, à l’effroi de se savoir périssable, à l’angoisse de ne plus rien contrôler. Apprivoiser tout cela, se confronter à ses démons et fantômes intérieurs, c’est le choix le plus courageux et exigent, c’est ce que tu fais à travers l’écriture sans fuir ni te laisser distraire par le brouhaha extérieur. Le partager est encore plus courageux mais c’est aussi une belle voie de résilience. Je souhaite à ce livre de teneur universelle tout le succès qu’il mérite et vais pour ma part prendre tout le temps de bien le lire et de m’en nourrir.

    Élisabeth Lecocq

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  4. Bonjour Gabriel,

    Reçu ce matin « Depuis la cendre ».
    Je viens de le feuilleter. J’aime l’objet. Si important de le saisir, le toucher, le caresser puis de respirer l’attente sans avoir lu les premiers poèmes. Moment précieux car je sais que l’auteur a donné tout ce qu’il est, dans les pages encore neuves. Voilà, c’est « émotion », cette antichambre de l’attente.
    Je reprends chaque poème, interpellée par ceux qui se posent en italique, qui respirent et donnent corps au poème suivant. Ces trois ou quatre vers plongent dans l’intime, ils ouvrent la brèche de l’âme…Je pense même qu’ils sont nécessaires pour saisir les autres mots qui racontent.
    C’est magnifique !
    Gabriel, je reprends mon mail deux heures plus tard, je viens de mâcher la cendre, je viens de t’accompagner sous des paupières closes. Je suis très émue ! Quelle tenue et quelle justesse à dire ce voyage cassé, ce corps aimé en miettes. Ce qui me touche ? « Dix-neuf ans ! » Tout est dit, posé...cette main du temps maigre, comme on refuse la voix et les cris de l’enfance perdus à jamais.
    Tu me diras son prénom, n’est-ce pas ? Et la couleur de ses yeux ? Tu déroules le chemin, la continuité : « Ce soir là, en rentrant, il avait plu », j’aime beaucoup cette manière de poser le temps, pour l’image même de l’arrêt des poumons, de la mort, de son constat. Et la question de la survie de la cendre, de l’urne, quoi faire ? Où trouver le lieu de l’apaisement, du recueillement ? Un jour, j’ai parlé de « la surdité amère de Dieu ». Dieu n’entend rien, il laisse la mort dans un espace secret. À nous d’appréhender et d’agripper l’invisible ! Tu exprimes vraiment ce que tu as vécu.
    Force est de constater qu’on est happé par cette disparition, elle est le miroir de nos propres morts. J’ai perdu un ami dans un accident de voiture ; il venait me voir. J’ai perdu une petite sœur à 24 ans, brutalement. Je n’ai jamais pu faire le deuil de cette jeune fille rayonnante. J’ai perdu un frère à 52 ans, de maladie... très compliqué aussi. J’ai perdu un père, une mère, ... je connais. Je m’habitue... à quoi ? Aux yeux fermés, au visage de marbre, oui, je me suis habituée à la mort mais pas à la disparition des sourires.
    Mais la poésie résonne autrement en moi. Merci pour ce magnifique recueil, plein, fort, débordant d’amour. Sans désespoir ni mièvrerie. Je te suis avec chaque poème : « Un destin de fruit blet/ de lys flétri/ de rouille/ Même pas ça »
    Tout est sensible, élégance, laisse passer la conscience de la beauté jusque dans la mort.
    Gabriel, sois fier de ce recueil, il va vivre sa vie et je ne doute pas qu’il aura des éloges magnifiques. Il va aussi m’aider à approfondir mon idée de la poésie en rapport à l’humain et à ceux que j’aime.

    Merci
    Amitiés
    Sophie Marie

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  5. Lecture poignante, votre livre, à fleur de mots.
    Un beau chant pour l'absent que vous aimiez.
    Vos scrupules par rapport à son évocation sont preuve de votre noblesse d'âme.
    (Je comprends votre douleur).

    E.

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  6. Un hommage touchant et bouleversant qui pose les mots sur le sentiment le plus intime et solitaire qu’on puisse ressentir.

    Il questionne sur la mémoire et les blessures qui s’y cache. “Et soudain ce rêve/ Que la mémoire s’exile/ Que le passé disparaisse / Comme à l’abattoir le sang qu’on rince/ Des vaches tuées”. Cette métaphore, marquante, criante de vérité.

    Le consentement de l’absent à le rappeler est une notion très importante et très intéressante. Car les relations humaines sont un flux continu d’échange et de partage. Lorsqu’un des deux protagoniste ne vit que via la mémoire de l’autre, quel aurait été son avis ? Aurait il été entierement d’accord de la manière dont on le rappelle, dont on l’évoque ?

    Dans ce recueil enfin, on partage les émotions de l’auteur. On sent la souffrance de l’absence, la douceur et la profondeur du sentiment d’amitié, la douleur du silence, la vivacité du souvenir…

    Merci pour cette belle plume que je reconnaîtrais entre mille, et pour ce moment d’intensité emprunt de douceur.

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  7. Il me semble avoir lu Depuis la cendre comme on lit une prière mais je serais incapable de vous en dire la raison. Je ne dirai rien d’autre que « ça m’a remué ». Si, depuis cette lecture il m’est venu à l’esprit cette phrase « la pudeur m’empêche, la raison me commande. » Il faudrait sans doute convoquer le bon docteur Freud pour savoir de quoi il en retourne mais à n’en pas douter, c’est l’inconscient que convoque Depuis la cendre. Votre réussite dans ce texte, c’est de toucher à l’universel. Cet informulé qui taraude le cœur et l’esprit de celui qui a perdu un être cher, votre livre le formule. C’est peut-être le plus beau cadeau que le poète peut faire au quidam qui court.

    Bravo et merci

    Jean-Marc AUGUIN

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  8. Cher Gabriel,

    je voudrais te remercier très sincèrement pour ton livre que j’ai adoré.
    J’ai découvert en plus ta dédicace hier matin, en prenant le train pour l’Alsace.
    J’ai lu d’un trait tes poèmes et j’ai été très touché de cette livraison si intime. Tes mots sont éclairés de la douleur et de l’absence. Tu mets sur ces sentiments tant de délicatesse et de difficulté à dire la perte. Bravo à toi et surtout un immense merci de m’avoir fait accéder un instant à ton désarroi, à tes interrogations et à tes perditions devant le manque d’un être cher et aimé.
    J’ai aimé aussi les deux pages blanches parce qu’elles sont comme l’incapacité à écrire encore, à dire davantage, à penser une fois de plus et j’ai trouvé cet espace immaculé au milieu du livre d’une très grande justesse et d’une force inouïe. J’ai pu y jeter en pensée toutes sortes de choses qui ne seront jamais définitives et qui m’accompagnent pourtant, moi qui n’écris pas.
    Une fois encore merci du fond du coeur, parce que les jours emplis de poésie se font peu fréquents dans le monde qui est le nôtre.
    C’est magnifique ce que tu écris.

    Guy-Pierre COULEAU

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  9. Gabriel Zimmermann rend un beau témoignage à un frère que le vent aurait fait disparaître. Les mots et les paroles qu'il adresse à son ami vous bouleversent.

    Florence Caubert Féret

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  10. Cerf-volant vibrant dans le ciel enténébré


    Ecrire le deuil est un genre en soi. De tout temps, écrivains et poètes s’y sont con-frontés, de Victor Hugo à Mallarmé, de Michel Deguy à André Velter ou, plus récemment, Frédéric Boyer (bien d’autres encore…) Cette antériorité rend l’exercice d’autant plus redoutable. Mais voilà, l’écriture du deuil n’est pas un genre que l’on choisit : il s’impose à l’écrivain comme une nécessité absolue. « Depuis la cendre » ressortit à cette écriture-là : conjurer la mort d’un être aimé dont on ne saura à peu près rien sinon l’âge (19 ans) et la maladie qui l’a emporté (un cancer), en édifiant une fragile passerelle de mots, de phrases entre l’avant et l’après, le vivant et le mort, la présence et l’absence.

    Le texte alterne en poèmes tenant sur une page et formes courtes se présentant comme des haïkus (ils en ont la brièveté ramassée, éloquente), contrepoints où la sensation épouse la douleur qui colle à l’âme, à la fois respiration et concentration des sens, arrêt sur images.
    « Depuis la cendre » (qui indique tout autant un espace qu’un moment) se construit en monologues intérieurs rompus d’adresses au lecteur pris à témoin et d’interpellations de celui qui a disparu, ressuscitant l’avant, même s’il ne s’agit pas tant d’ausculter un passé que d’interroger la disparition.

    La trajectoire du recueil est celle, ordinaire, d’une acceptation dont le texte même porte témoignage puisqu’à la noirceur sans fond de la disparition s’oppose le mouvement de l’écriture. C’est donc à un travail de ravaudage auquel le lecteur est convié qui ouvre sur le corps gisant et se ferme par le simple « c’est ici que la mort finit » (page 103).

    L’auteur se tient au plus près de ce qu’il cherche à traquer, à tracer, refusant les larmoyantes envolées lyriques, l’épanchement languide par où s’écoulerait un complaisant pathos. La parole est grave, comment ne le serait-elle pas ? mais simple et précise, dépourvue de toute emphase. Nulle violence, nul anathème, nulle rage mais une douleur mélancolique, tenue en laisse, qui s’exprime par la grâce de métaphores où la blessure est « sable noir », l’agonie « ultime oiseau sur les lèvres », les pleurs « forêt dévorant les yeux » (89) et les réveils « de mandarine sèche » (33).

    Mains, yeux, lèvres, visage, dans leur nomination générique, dépouillée, recomposent le souvenir charnel de l’absent mais c’est le verbe qui se fait chair pour reconstituer la possibilité d’un après où la pierre, le galet, « ce caillou source » (46), impuissant à empêcher la mort qui vient, marque cependant la permanence, contredit la disparition, témoigne que cela fut.

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  11. La présence et le regret se font, pour l’essentiel, « bouche » : orifice du souffle, de la parole, de la voix qui énonce, marque du vivant, organe par où s’expérimentent aussi le désir et ce qui ne sera plus : « la mort a jeté dans ta bouche un papillon de plâtre » (38). Bouche et voix scandent le poème, leitmotiv capable de dire à la fois la présence et l’absence, le regret et la lumière que le poète n’ose plus espérer.

    L’écriture de Gabriel Zimmermann, toute en retenues et nuances, tisse un lien ténu, fragile « comme le grésil » (84) pour tenter simplement de maintenir une présence.
    Le vers sera la voie par où la douleur peut sinon disparaître du moins s’amenuiser, être rabotée à la lame des mots, faire place à un passé qui fut heureux et qui peut ainsi faire retour sans désespoir : « de toi / je parlerai avec des mots / heureux » (93). La douleur sera comme une « un hommage de fleurs séchées » (96) « et alors l’aube parviendra à la bouche » (103) « comme un souffle neuf, naissant, naissant ».

    C’est le temps qui est interrogé, les « traces de l’éphémère », quand la vie est brutalement écourtée. La douleur étouffe et efface le monde tangible, « la terre trempée » ou bien « les feuilles / Criblées, (car) seuls les pleurs survivent » (11). Là est le départ de l’écriture au moment où est atteint ce qui semble point de non retour, un no futur et c’est l’écriture qui permettra de rédimer « le jour qui allait à sa mort » (11) quand bien même « nier la blessure » serait vain, quand bien même, à la fin du poème, les mots n’auront pas vaincu l’absence.

    « Depuis la cendre » nous atteint par son écriture suspendue, nue, et pourtant riche en métaphores lumineuses, frêle construction de bambou et de toile, vibrant cerf-volant dans le ciel enténébré et parce qu’à chacun Gabriel Zimmermann aura murmuré mezzo voce sa « cendre intérieure » (89), aura composé ce chant qui n’a rien de funèbre, constat amer d’une absence désormais éternelle ouvrant cependant sur « une faim de lumière » (103).

    Il faut lire « Depuis la cendre » pour ses images, pour sa musique, qui ouvrent une voie littéraire afin de survivre à la perte, en même temps que l’auteur interroge la manière de l’écrire, d’en faire un objet poétique.

    Jean-Pierre Suaudeau, 16 octobre 2018


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  12. Par Marie-Claire Osséja, une lecture de "Depuis la cendre":

    Dès son titre, Depuis la cendre, le recueil de Gabriel Zimmermann, qui est publié aux Éditions Tarabuste, suscite de multiples questions chez le lecteur. Il implique d’abord que nous sommes en présence d’un reliquat, d’une matière, la cendre, qui s’est immobilisée après les éclats du feu. Pour le public, en général, parler de cendre renvoie a priori et majoritairement à des incendies, à des crémations, même si l’art des jardiniers en revendique l’utilisation pour un accroissement des plantes. Le mot « cendre » lui-même n’est-il pas d’ailleurs rarement prononcé dans la vie habituelle ? Mais si le poète écrit le mot « Depuis », cela veut dire aussi qu’à ses yeux, la cendre est un point de départ et que tout est possible pour cette matière muée en origine.
    Les deux poèmes initiaux constituent des ouvertures à la fois franches et fascinantes, qui nous amènent à comprendre qu’il s’agit ici de la mort et du deuil. Cependant, nous devinons immédiatement que le langage et le ton ne seront pas ceux d’un classique planctus ou ceux d’un tombeau poétique. Le locuteur, qui parle à la première personne du singulier, ne chante ni ne s’afflige dans le poème inaugural, pas plus qu’il ne s’exclame. Il parle de sa propre mort avec une étonnante sérénité, avec un naturel qui s’allie à la plus grande élégance. Il ne dramatise aucunement mais il s’adresse à quelqu’un que nous n’identifierons pas et qui restera anonyme et, par le biais de trois anaphores : « promets-moi », il demande instamment à cette personne de déposer avant l’enterrement, sur son corps, ses jouets d’enfant. Le moi affirme que ce geste l’apaiserait « un peu » : il n’y a donc là aucune idéalisation, aucun optimisme béat à propos de la mort, d’autant que le locuteur évoque les gestes douloureux de l’endeuillé en pleurs qui procédera à la présentation du corps :
    Promets-moi, après m’avoir pleuré,
    Lavé, habillé, veillé (p.7)
    Le poème suscite l’émotion du lecteur, qui se sent intensément concerné, ceci d’autant que la littéralité du langage, la familiarité du discours nous conduisent à nous identifier à la fois au survivant écrasé de chagrin et au mort que chacun de nous sera. Ce texte polymétrique, libre et souple, ne comporte qu’une seule phrase, qui devrait être dite sans interruption, avec seulement quelques brefs silences, pour que le message soit pleinement entendu.
    Plus bref, le deuxième texte nous conduit à la raison d’être de ce recueil, à un jeune homme mort à dix-neuf ans, dont le prénom ne sera jamais cité. La simplicité de l’expression met en évidence la limite irrévocable de cette vie qui fut brutalement tranchée. Mourir à dix-neuf ans est un scandale, mais le poète n’émet aucun cri et les trois derniers vers sont simplement une image dérisoire d’un éventuel Dieu qui regretterait cette mort :
    Et comme nous Dieu
    S’il marche auprès d’eux
    En est amer. (p.9)

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  13. À la page 11, le locuteur évoque des arbres mouillés dans un bois, lors de son retour chez lui, vers sa maison. Accablé de pleurs, comme si l’avenir n’existait plus, sans doute est-il de retour des obsèques non nommées, car le poète ne raconte pas et choisit l’ellipse. Dès le début, la forme des textes retient l’attention. En effet, entre les poèmes transcrits en caractères romains, Gabriel Zimmermann a placé de très courts poèmes en italique, composés de quatre à six vers seulement, qui remplissent plusieurs rôles. Certains sont difficiles à déchiffrer car ils émanent d’une profonde et silencieuse intériorité : ce ne sont que des échos et le non-dit est la condition même de leur existence :
    En mire
    L’ancien brouillard

    Les fissures de l’ancre

    La nef engloutie (p.12)
    Ces textes contiennent des pauses, des silences, par le biais des espaces blancs qui figurent sur la page. Dans plusieurs cas, ces textes en italique se suivent directement sans alterner avec les textes en caractères romains (p.22 et 23 ; p.26 et 27 ; p.30 et 31 ; p.44 et 45 ; p.54 et 55 ; p.60 et 61 ; p.74 et 75 ; p.90 et 91). Certains comportent des images de la nature ou des références au temps diurne et nocturne ; ils résultent de comparaisons et de métaphores très proches du symbolique et sont souvent dépourvus de toute ponctuation :
    Pendant que déferle
    La
    Forêt mentale (p.28)
    Le recours aux mots dans les poèmes initiaux ne permet pas de renouer le contact avec l’absent, tandis que le silence s’épaissit entre le mort et le vivant. Si les deux premiers textes étaient compacts, le troisième se subdivise en strophes d’inégale longueur où surgit le mot « cendre », qui nous révèle, sur le même ton mesuré, grâce à l’emploi d’un alexandrin,
    Je t’offenserais moins en dispersant ta cendre (p.14)

    que le mort a été incinéré, ceci coïncidant avec une réduction progressive du nombre de mots dans les vers et aboutissant au silence final de la voix poétique qui prononce un seul mot, terriblement destructeur, au dernier vers :
    Et la blessure, après tant de paroles
    Vers toi, grandit
    De ne capter écho
    Ni murmure,
    Rien. (p.14)
    Désormais, les poèmes consisteront à interroger l’absent-présent mais avec vive douleur. Le jeune mort resurgit à travers les souvenirs et les jeux et ce sont exclusivement ces images conscientes du passé qui permettent d’inscrire l’absent dans le texte poétique, d’où le fait que le locuteur vivant fasse symboliquement le geste de répandre non pas la cendre, mais les cendres du jeune mort, d’où l’usage des virgules et des points –peu fréquents dans le livre- pour inscrire ici un acte qui permettra peut-être de revenir à la vie de l’absent :
    Ce matin,
    Sur la plage,
    J’ai dispersé ses cendres (p.19)

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  14. La permanence de l’ami mort se manifeste dès lors grâce à des substantifs tels que « son visage, », « sa voix » et le locuteur, qui instaure un ici du défunt, réaffirme fortement l’impossibilité de l’oubli :
    Immuable pour ceux qui le pleurent (p.21)
    À la page 24, la parole du survivant conduit à une autre question essentielle, celle du lieu où le mort aurait pu se trouver s’il n’y avait eu crémation puis dispersion des cendres. Nous parvenons ici au cœur de la méditation poétique : le poète, en effet, affirme que son souhait aurait été non pas le feu pour le corps ni la dispersion des cendres, mais une mise en terre, donc une stèle où aurait été inscrit le nom, ce qui aurait permis à l’endeuillé de venir s’y recueillir. Il y a là l’amère expérience d’une absence irréparable et tout lecteur, quels que soient ses choix, ne manquera pas de s’interroger :
    Cette question qui revient, est-ce
    Pour la sépulture
    Qu’il n’a pas, pour la stèle
    Où je voudrais me recueillir ? (p.24)
    Un rêve s’ébauche, celui qui consisterait à placer un objet particulier dans la maison pour que le jeune mort se perpétue. Avec la même clarté, le poète évoque une autre source de vive souffrance, c’est-à-dire l’absence de tout objet sur le corps de son ami :
    On l’a laissé nu
    Pour partir, pas même une fleur
    Sur sa poitrine (p.34)
    Il insiste sur la beauté des statuettes égyptiennes qui accompagnaient les morts et l’on peut ici mieux mesurer en écho l’importance du premier poème de Depuis la cendre, où le poète sollicitait la présence sur son corps défunt de ses jouets d’enfant.
    Le survivant se souvient et la mémoire est une auxiliaire indispensable, même si l’absence ne cesse de s’imposer. À la page 38, le locuteur évoque littéralement la maladie, le cancer, les métastases qui ont détruit la vie de son ami. Les mots précis sont mentionnés avec rigueur, même si parfois surgit la tentation d’avoir recours à des paroles rassurantes, à minimiser le réel pour parvenir à l’illusion de la présence,
    Viens, viens,
    Je dirai que tu n’es pas affaibli (p.38)
    Surgit alors, à la page 40, presque au milieu du livre, un poème composé de trois strophes (six vers + six vers + cinq vers) qui, apparemment, s’éloigne du thème fondateur puisqu’il dépeint des chevaux, en hiver, dans leurs boxes. Ces scènes ne constituent pas une transposition symbolique d’une situation de mort : elles sont là à la place d’une scène de mort qui aurait concerné le jeune ami, parce que le poète jugeait sans doute impossible de décrire ce moment, mais les deux derniers vers ouvrent une perspective inattendue vers l’angoisse universelle de tout vivant, homme ou animal, qui entre avec peur dans sa mort :
    Ils ont, dans leur cloison en bois, le regard immense
    Et effaré des mourants. (p.40)
    Cette lecture se confirme dans le poème de la page 42 :
    Le dernier regard des aimés
    Ne s’oublie pas. (p.42)
    Les questions se pressent : faut-il des objets et des images pour retenir celui qui n’est plus ? Le Poète se demande si les mots sont suffisants et s’il ne faudrait pas avoir recours au chant ou à la chanson. Lui-même, n’ayant gardé aucun objet concret de son ami, ne se fie donc qu’à sa propre voix, même hésitante, qui est celle qui mène l’écriture poématique :
    Ni objet ni photo
    Pour le perpétuer, seule
    Ma voix qui bégaie. (p.64)
    Des signes négatifs occupent l’espace textuel et le poète comprend qu’il ne pourra pas trouver ceux qui remplaceraient l’absence. Un vers évoque concrètement mais brièvement la crémation de l’ami ; en effet, le poète est parvenu à un moment décisif car il refuse la prééminence de la mort alors que résonnent les sons de la vie :
    Malgré les pleurs dans le soir
    Son cercueil glissant vers les flammes
    Je n’ouvrirai mon cœur à la mort

    Une clameur commence (p.69)

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  15. Désormais, la poésie n’existera que par l’usage du paradoxe. Le moi implore l’impossible dialogue avec la mort, mais le risque de systématisation est éludé, car la violence de la douleur ne s’inscrit que dans le dénuement langagier, sans aucune déclamation, sans la moindre concession du côté de l’émotion :
    Dans ton silence où le vent ne vient plus
    Parle-moi (p.71)
    Le compagnonnage est dès lors affirmé à travers la variété et le nombre des strophes et aussi dans les petits textes en italique qui ne contiennent que quelques mots essentiels, issus d’une expérience incontestée :
    Avec toi, frère dévasté
    Je dois
    Cheminer (p.72)
    Les signes de souffrance du jeune homme, à la veille de sa mort, conduisent le locuteur à mesurer ce que son ami a vécu : les références à un corps détruit, « sans souffle », « bouffi », « aveugle » (p.87) sont violentes et cruelles, mais il fallait les inscrire dans le poème et le locuteur n’a pas choisi l’élégie qui aurait été un manquement à la vérité, une trahison vis-à-vis du défunt :
    Pas un tombeau
    Ni prose élégiaque

    Rien que le maintenir
    En son grésil (p.84)
    La métaphore est ici savamment employée : la réalité corporelle –le signifié- devient une image de la nature puisque l’agonie est un oiseau et les larmes une forêt. Métaphoriser impliquera donc de parvenir à l’essence, à la nudité :
    La métaphore
    Malgré sa magie qui fait d’une brise un tourbillon d’or
    Ira toujours à l’os

    Elle a le plus pur des visages
    Le plus nu (p.89)
    Le poète se sert donc du langage sans en oublier le côté transitoire et il côtoie le chant sans jamais en faire une dominante :
    Dire
    De lui ce qui survit
    Avec le bref soleil des mots

    À la lisière
    Du lyrisme (p.90)
    Si la mort du jeune homme de dix-neuf ans ne cessera jamais de susciter les interrogations du survivant, le poète précise ici que son langage sera « heureux », dans la mesure même où l’ami mort devient poétiquement, par métonymie, « ton rire adolescent » (p.94). L’image du mort est harmonieuse car ces « quelques pages » (p.100) et la comparaison finale –procédé assez rare- confirme l’aspect unique de cette évocation, :
    Comme un cairn sur le chemin désert. (p.100)
    Le poète confirme que tout ce livre porte sur cette seule absence ; il reconnaît avoir écrit et il accepte le fait que les mots n’ont pas vaincu la mort :
    Et c’est ici que la mort finit. (p.103)
    Lui-même enfin est en chemin vers ce qu’il appelle « une faim de lumière » (p.103), c’est-à-dire en tant qu’être vivant, détenteur de vie.
    Les poèmes de ce livre se fondent sur la présence d’expériences diverses et de brèves images très intenses, ainsi que sur la fréquence de silences annonciateurs de formes nouvelles. Les textes en caractères romains consistent en un déploiement actif de la parole de deuil, tandis que les poèmes en italique sont des abrégés ontologiques qui incitent à comprendre et à méditer. Depuis la cendre révèle deux manières de parler poétiquement, deux registres qui évoquent l’absence, le deuil de l’ami mort et la survie. Nous sommes donc entre la parole quotidienne et le murmure. L’écriture de ce très beau livre de Gabriel Zimmermann, dont la forme est splendidement maîtrisée, ceci en toute indépendance, invite à interroger cette poésie qui a si bien su aborder le douloureux territoire de la mort et du deuil.

    Marie-Claire Osséja

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  16. Par Tristan Felix, une note de lecture publiée sur le site Poezibao, le lundi 15 octobre 2018:


    Le mort qui chante

    Pour son troisième opus chez Tarabuste, Gabriel Zimmermann choisit d’écrire « depuis la cendre ». Est-ce élan d’écriture suscité par la mort de l’ami si proche ? Plus mystérieusement, les poèmes sont eux-mêmes enfantés par la cendre, comme une émanation, presque une dictée du défunt. La poésie s’origine dans le discours avec les morts, avec les dieux aussi, toujours avec un au-delà de soi - fût-il immanent comme c’est le cas ici - tellement étrange que seule la forme du poème peut espérer récupérer dans son urne une familiarité, une intimité, un dernier souffle qui dans la mémoire et dans l’ouïe du lecteur disperserait une poudre de vie. Le recueil s’inscrit dans la très ancienne tradition du « tombeau » mais il en ouvre largement les portes puisque, dès le seuil, parle le mort au poète : « Promets-moi … » et sur le point de nous quitter, le poète dit : « Et c’est ici que la mort finit. » Les stances ont réussi à finir la mort, à faire naître « une faim de lumière ». On ne peut vaincre une absence mais les mots, lorsque prosodie et cadence consonnent avec le manque, sont des talismans qui possèdent le cœur tant ils gardent la tiédeur de l’être aimé. Ainsi :

    « On entend mâcher. Dans les boxes.
    Le jour n’a qu’un sursaut face à la nuit
    Et pendant que l’air gifle et gerce les hommes,
    Ils ont, dans leur cloison en bois, le regard immense
    Et effaré des mourants. »

    Le vers libre ne conserve pas la mémoire de la forme fixe, du moins disperse-t-il en tous les règnes une absence rendue au monde, à l’humus, aux chevaux, aux cerfs, aux loups, aux noyés, aux enfants, aux étoiles, aux billes qui se brisent, aux jouets de l’enfance, et épouse-t-il la légèreté de la cendre qui n’est plus organiquement affectée à un seul être et ignore tout de la sépulture qui arrime le corps.

    Sur la droite ou sur la gauche, parfois sur les deux faces, remontent à la surface, comme des cercles de L’Enfer de Dante (ce texte qui a tant impressionné le poète), de très courts poèmes comme des doutes âprement gravés sur la page, des apnées de la langue qui nous ont semblé retenir l’âcreté de la douleur en des termes d’une grande densité - qu’il faut bien libérer face au cancer :

    « Massive/ La science acquise / De l’éclipse »

    « Pendant que déferle/ La/ Forêt mentale »

    « Palper l’écharde/ Puis étudier le trajet/ De la chair meurtrie »

    « Guéable/ Ce passé ? Enjamber l’enfer / Puis remarcher d’un pas régulier ? »

    Cet émouvant recueil invite non à la plainte amoureuse, propre à l’élégie, mais au chant vagabond qui traverse l’espace de la vie pour tenter d’en rassembler l’épars. La langue de Gabriel Zimmermann ne se brise pas à tort et à travers, ramenant une seule et maigre couverture à soi comme il se lit si souvent dans la poésie-loft dite moderne, qui semble avoir rompu tout lien avec le pouvoir magique des mots au profit de ce fastidieux « cri » narcissique. Elle ne s’englue non plus dans nul salmigondis philosophique ou pseudo-surréaliste. Elle part d’un verbe classique pour, en cheminant aux côtés de l’ami perdu, tenter de « Perpétuer les défunts/ Avec ce que peut la voix/ Avant de s’éteindre ». Car elle bute parfois sur un caillou, « scandale » de la conscience, éclipse ou énigme que les poèmes en italiques révèlent. Ce qui est troublant ici c’est que la voix du poète épouse celle du défunt, l’accompagnant littéralement, comme si venait de s’effacer la frontière entre le vivant et le mort.
    Ne serait-ce alors le mort qui chante, celui à qui le poète a enfin rendu la voix ?

    Tristan Felix

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  17. La souffrance due à la mort d’un être cher, crée en nous tant de désespoir et de regrets qu’elle nous prive longtemps du repos et nous empêche parfois de sortir du deuil. Ces poèmes sont le témoignage inspiré et souvent saisissant de tes états émotionnels, oscillant entre le souvenir douloureux de celui qui est parti et le clair-obscur d’un état entre songe et réalité (Le sommeil redessine Les profils perdus). Tes poèmes, ce sont aussi des odeurs (De la terre Montait une odeur d’herbes et de roches… De son haleine L’humus me remplissait) des matières (le sable, la cendre évidemment qui est aussi dans le titre du recueil) mais aussi des émotions intenses que tu parviens à matérialiser par ton écriture, d’autant que tu n’as pas d’endroit où te recueillir (Pour la sépulture Qu’il n’a pas / Or le voilà absent partout Et j’agrippe l’invisible) et c’est pour toi une souffrance supplémentaire. Tu convoques la nature entière et les éléments comme l’air, l’eau et forcément le feu, pour réaliser une sorte d’oraison funèbre à ton ami défunt. Il y a aussi dans ton recueil comme une volonté de nouer un contact avec lui par-delà la frontière invisible de la mort, comme une incantation peut-être… il y est question de murmures, de fantômes (Et si ma voix Te parvient, quelle est cette voix ? Comme un hommage Aux fantômes ?) car sa bouche restera muette à jamais (… et ma bouche La double lande du silence ;) L’absent reste toujours présent dans les souvenirs (C’est ma mémoire Qui rouvre ses paupières) mais heureusement, il semble que peu à peu l’ombre va le céder à la lumière (Le deuil a moins faim, c’est un sourire) et à la fin du recueil, il y a une note d’espoir « C’est comme une faim, une faim de lumière Et c’est ici que la mort finit ». Un dernier point sur la tache judicieusement choisie pour illustrer la couverture de ce recueil, cela me fait penser à « un masque de peste » avec les deux trous oculaires et le nez crochu, masque porté par les médecins lors des épidémies au XVIIème siècle.

    Stéphane Chominot

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  18. Concernant « Depuis la cendre », j’ai apprécié de le lire et le relirai sûrement. Malheureusement, la douleur est toujours présente au quotidien mais je pense que c’est inévitable, un être cher ne peut pas partir sans que nous soyons anéantis, nous ne sommes jamais prêts à cette séparation.

    Sabrina ABED

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  19. Par Françoise MORCILLO, une étude sur « Depuis la cendre » :

    Depuis l’intériorité de la cendre, le poète dans une tension entre parole et écriture, retrace les sillages de la bouche absente de l’ami prématurément perdu, à l’aube de ses 19 ans. Il ne s’agit pas dans ces pages d’un requiem, mais d’incarner par la main du temps, le passer outre du deuil, de ces premières et obsédantes images de séparations à l’autre aimé, si douloureuses, comme l’inhumation du corps, l’être gisant sans regard sans souffle pour l’éternité, emmuré ou plutôt incinéré dans le silence d’une nuit profonde ou encore comment oublier le bruit heurté, sec, du cercueil dans sa descente crématoire, instant à la fois troublant et révoltant.
    Ce livre est une déflagration d’une amitié perdue à qui la voix en son grain le plus émotif du poète prête souffle pour exaucer un passage à l’éternité autre que celui que lui octroie une dernière volonté :

    Promets-moi, par égard pour mon éternité/ de poser sur moi les jouets de mon enfance

    À ce non accompagnement de la dernière heure du souhait du défunt (Cette demande/ d’obole/ qui ne fut pas/ exaucée) s’ouvre une nouvelle béance, celle d’un compagnonnage entre voix et écriture évoquant non pas des fragments de vie mais des partages de vie dans des abordages ou rivages de langue.
    On éprouve l’Immersion de l’inerte, de la mort en devenir une mutation poreuse (et non plus pleureuse), sursauts, alors, alertes de temps forts de la vie partagés, qui extraient de leurs éphémères invocations d’écumeuses paroles diaphanes, libérant les souvenirs en chroniques.
    L’enjeu créateur est clairement annoncé au lecteur. L’expectative s’oriente vers celle de « reconvoquer l’adieu sans inhumation, l’enfance qu’il n’a pas quittée ». Ce livre lui construit un autre linceul, le refuge phonique de « l’un seul », d’une vie en dissidence avec le martèlement absurde et inexplicable du rituel de l’inhumation : « Pourquoi ce coussin sous sa tête? »
    Une seconde vie, celle du phrasé de l’intime qui le revêt, le réanime au-delà de la dispersion des cendres sur le rivage heureux de son enfance. Mais l’ami clame pour lui un autre linceul, l’aveu de la confidentialité, un partage de mots, de bonheur:

    Mais je parle d’autre chose

    D’un bonheur qui écouterait ses frayeurs anciennes
    Oui, je parle de tout autre chose que l’oubli
    Du coup de couteau qui effondre et mène à la mort,
    De la foudre qui brise les regards
    Je voudrais que la douleur d’autrefois survive en un
    Hommage
    De fleurs séchées.

    Ce livre me fait revenir sur « Feu la cendre » de Jacques Derrida qui auditionne les silences de la cendre, de cette présence à soi de l’intime parlant. Le lecteur retrouve ce là dans « Depuis la cendre » :

    Et le sentir quelque part,

    Parmi les naissances
    fragiles

    Les veines
    Du sable
    Sur la dune

    Les aubes sans cuirasse.

    « Depuis la cendre » exauce, intégralement, la poétique d’« Introduction à une statue de feu », car il y est dit que « par delà les déchirures antérieures, la poésie de demain se devra d’entreprendre une aventure sans commandement ni précepte, emplie de fougue et de mémoire, ardente à clamer l’inconnu autant que de commémorer. Balayant l’idée selon laquelle tout je est indécent, elle fera entendre sa part d’autobiographie et avec elle, une spontanéité renouvelée, une solennité réassumée, une célébration recommencée de la langue et un souffle où le futur s’unit aux souvenirs ; bref une déflagration. »
    Après « L’indiscipline de l’eau », œuvre de Jacques Darras, le recueil de Gabriel Zimmermann semble correspondre par l’indiscipline de la liquidité des mots à une mise à nu des « aubes sans cuirasse ».

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  20. Le billet suivant est à retrouver sur le blog de Denis Morin, via le lien ci-dessous:
    https://denismorinauteur.blogspot.com/

    Je connais Gabriel Zimmermann, enseignant, pour avoir lu et commenté sur ce blogue son émouvant recueil de nouvelles « Une dizaine de femmes ». Il va son chemin, discret tel un esprit mélancolique qui hante une maison ancienne.
    Cette fois-ci, il nous revient en poésie avec le recueil « Depuis la cendre » publié en 2018, à Saint-Benoît-du-Sault. Recueil parfait pour octobre-novembre en ce glissement inéluctable vers l'hiver.
    Le poète nous cause du deuil, de la mort qui emporte tout, même les enfants dans les hôpitaux ou un jeune homme de 19 ans. Au-delà des corps enfouis en terre, des cendres dispersées en mer ou sur le bord d'une rivière, on s'interroge sur les traces d'un passé commun, les souvenirs, la peine, rarement la joie, laissés en héritage. On reste là témoin et on voit les êtres aimés s'éteindre comme des lucioles englouties par les ténèbres opaques de la nuit.
    Avis aux lecteurs, son écriture est envoûtement. Jugez par vous-même...
    « Promets-moi, par égard pour mon éternité,
    De poser sur moi les jouets de mon enfance,
    Ces figurines,
    Mets-les contre ma tempe,
    Qu'elles soient mon bijou pour l'au-delà,
    Dans la nuit si proche
    Mes bras ne saisiront plus
    Mais si quelque chose
    Survit, j'en serai de les avoir là, tout près,
    Apaisé un peu. »

    « Est-ce impudeur
    De le chercher dans son silence ?
    De remuer la nuit
    Qui a pris ses yeux ?
    D'écouter plus loin que sa cendre ? »

    « En peintre
    Qui commence
    Un portrait
    À la craie mouillée. »

    « Se souvenir de lui
    Comme un drap mis sur l'enfant qui dort. »

    Denis MORIN

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  21. Une chronique de Patrice Maltaverne, qui est aussi à lire sur le site de sa revue, "Traction-brabant":

    http://poesiechroniquetamalle.blogspot.fr/

    Deuxième recueil de Gabriel Zimmermann à être édité par les Éditions Tarabuste, cette fois-ci dans la collection "DOUTE B.A.T." (un premier recueil, "La soif et le sillon", est paru en juin 2017 dans la collection "Anthologie"), "Depuis la cendre" rend hommage à un ami du poète, mort du cancer.

    Si les livres consacrés à des disparus sont légion en poésie, j'ai été touché par cet hommage là, qui sort du cocon familial et évoque quelqu'un de mort vraiment trop tôt.

    J'ai été plus particulièrement touché par le fait qu'à travers ces pages, l'auteur cherche désespérément les traces du disparu à travers l'existant, alors que ne restent plus de l'ami que ses cendres. Traces, objets, signes d'une quelconque présence, son d'une voix perdu.

    Ces quelques choses me préoccupent aussi beaucoup. Et je ne suis certainement pas le seul à être dans ce cas-là.

    Bien sûr, je salue la justesse de ton de ces poèmes (avec une préférence nette pour les textes les plus longs, même s'ils restent courts, par rapport aux séquences de deux ou trois vers - mais la brièveté n'a jamais été mon fort !): le ni trop, ni pas assez, avec une gravité et une dignité non feintes.

    Extrait de "Depuis la cendre", de Gabriel Zimmermann :

    "En Égypte
    Ils sculptaient pour leurs morts des statuettes
    Qu'ils peignaient en noir et bleu :

    Était-ce une étrenne
    Pour les dieux, ces ouchebtis
    Ou jouets pour un au-delà moins âpre ?

    Des femmes,
    Le plus souvent, au visage doux,
    Nattées, gainées, qu'ils déposaient
    Dans la tombe avant le séjour
    Où lune et soleil
    Ne se succèdent plus.

    Mais lui, dans son sommeil,
    Aucun objet ne l'accompagne

    On l'a laissé nu
    Pour partir, pas même une fleur
    Sur sa poitrine."

    Si vous souhaitez en savoir plus sur "Depuis la cendre", de Gabriel Zimmermann, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur:
    http://www.laboutiquedetarabuste.com/fr/collections/doute-b-a-t/autres/zimmermann-gabriel-depuis-la-cendre/231

    Patrice Maltaverne

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  22. La poésie est toujours une forme d’expression difficile à saisir pour moi, effectivement, mais dans ton livre on peut apercevoir une réflexion profonde autour de la disparition d’un être cher. Je dirais qu’il y a de l’espoir dans la plupart de tes poèmes et une intention de garder en toi celui qui est parti trop jeune. Il y a bon nombre de poèmes que je n’arrive pas à apprécier correctement car je ne connais pas bien la signification de certains mots. Mais je m’aventure à affirmer que ton chemin d’écrivain a de l’avenir. Bonne soirée, auteur du vingt-et-unième siècle !

    NURIA RODRIGUEZ TORAL

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  23. Bonjour Gabriel,

    J'ai lu votre ouvrage hier soir du début jusqu'à la fin car il s'agit d'une suite, en passant par les différentes étapes du deuil, la souffrance laissant peu à peu place, non pas à l'oubli, mais à une forme de résilience.

    Le sujet est brûlant car perdre un ami d'un cancer, si jeune, est horrible. Votre ton est juste, humble, pudique et beau. Il s'agit d'un bel hommage.

    Ces poèmes interrogent aussi sur la crémation. Et effectivement, cela peut rendre le deuil plus compliqué.

    Je suis restée sur ma faim, j'aurais aimé y lire la suite de la dernière phrase, ce "quelque chose qui appelle en vous, comme une faim, une faim de lumière", y entrevoir une autre dimension, celle de la vie "après", y voir plus d'espoir en un ailleurs meilleur, comme une délivrance. On pourrait aussi inverser les croyances des non croyants : penser que la vie est une mort et que la mort est l'entrée dans la vraie vie !

    Vous parlez de ces petites statuettes égyptiennes : les chaouabtis, avez-vous lu des extraits du livre des morts égyptiens ? Ce peuple était persuadé de la vie après la mort et les Égyptiens préparaient leurs sépultures durant toute leur vie car ils considéraient la vie terrestre comme un passage et la mort comme une vie éternelle. D'ailleurs, Osiris était le Dieu du monde des morts, c'est à dire d'ici. Je suis allée en Égypte et ai eu la chance d'y séjourner au bord de la mer rouge puis de descendre le Nil, j'y ai rapporté une petite statuette de Thot en lapis lazuli, de nombreux papyrus aussi, dont un du "passage de la vie à l'autre monde" représentant "la pesée du cœur", très symbolique.

    Il y a aussi le livre des morts tibétains, tout aussi intéressant, et bien sûr le nouveau testament de la bible.

    Dans votre recueil, le questionnement sur ce qu'il reste d'un être cher perdu inscrit la mort dans un concret, le quotidien tant recherché et qui nous manque. Seul le souvenir recrée le passé de manière intemporelle. Ce livre est infiniment triste car l'on y voit, à la fin, que l'acceptation, la fin de la mort, mais pas le mot "vie".

    J'ai aimé certains passages qui ouvrent un peu sur la lumière :

    "Saisir avec une voix
    Qui a éteint ses pleurs
    L'anse du temps"

    "Dire de lui ce qui survit
    Avec le bref soleil des mots
    À la lisière
    Du lyrisme"

    Voilà ce que j'ai ressenti de ce partage.

    Corine BLANC

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  24. Je reviens à ton livre, bouleversant, j'y trouve comme dans tout ce que j'ai lu une voix, un ton, une justesse et une délicatesse qui forcent l'admiration. De nombreux auteurs se sont confrontés à l'exercice - J'ai fait mon mémoire de maîtrise sur Les Contemplations, lu les textes bouleversants de Michel Deguy, André Velter… - ce qui le rend plus redoutable encore mais on ne choisit pas et je ne peux qu'être admiratif face à une sensibilité si profonde, à l'élégance et à la maîtrise de ton écriture, qu'il s'agisse de textes courts apparentés à des haïkus ou de textes plus longs… Tout y est sensible dans le rythme comme dans les images… Toutes mes félicitations encore et mes remerciements pour cette belle lecture très, très touchante… Et j'espère pouvoir te relire encore très bientôt...

    Bien amicalement.

    Jean-Paul BOTA

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  25. Depuis la cendre : quelques réflexions nées d’une lecture attentive et prosaïque, sinon profane…

    Depuis la cendre est un recueil de poèmes d’une centaine de pages dont la lecture suscite et entretient une émotion intense, associant une tristesse douloureuse et parfois révoltée à une forme d’attente que l’on ne saurait qualifier d’espérance, puisqu’elle s’enracine dans un événement bouleversant, véritable négation de l’humanité et du monde, rejet de l’existence elle-même, la mort d’un jeune garçon de dix-neuf ans.
    La forme du recueil frappe par son originalité ; elle consiste en une alternance de poèmes d’environ une page écrits en caractères romains et de mini-poèmes de quelques vers (deux à quatre, exceptionnellement cinq), écrits en italique et apparemment intercalés entre les poèmes principaux dont, dans la majeure partie des cas, ils semblent constituer sinon une suite, du moins un complément. Même si la formulation demande à être justifiée et précisée, les poèmes, presque tous écrits à la première personne, sont l’œuvre, sinon de l’auteur (terme devenu ambigu et récusé par les poéticiens), du moins du locuteur, de celui auquel le poète/écrivain, celui qui tient la plume, cède sa place et reconnaît le droit de s’attribuer la paternité de l’écriture, mais qui peut être lui-même.
    La place, le rôle et la signification des mini-poèmes intercalés, appellent la réflexion ; leur présence, au premier regard factuelle sinon factice, engendrée par un simple mot du poème précédent, apparaît comme un complément du poème, un prolongement explicatif, un commentaire ou une réponse, une appréciation de son contenu, parfois aussi comme une interrogation ou une rectification ou au contraire une amplification, une ouverture du propos ; plus généralement, ils représentent une forme d’objectivation réaliste du discours poétique qui entraîne, parfois avec une concision en forme de sentence, une émotion supplémentaire. Le lecteur peut avoir l’impression qu’ils témoignent d’un autre regard que celui qui nourrit le poème précédant ; ils pourraient constituer l’expression impérative, sinon brutale, mais aussi nuancée, de ce que le locuteur aurait voulu, aurait dû, aurait pu écrire, à condition de s’éloigner de l’affectivité poétique propre à entretenir notre émotion. Particulièrement significatifs apparaissent les échanges entre les poèmes des pages 64 et 65, et entre ceux des pages 66 et 67. La page 65 répond de manière brutale aux interrogations de la page 64 et entérine la décision de l’ami de ne pas conserver (« loques de phrases. Des verbes qui font constat de leur errance ») le moindre objet ayant appartenu au défunt (« hygiène des ténèbres »). La page 67 au contraire est un cri d’espérance encourageant à la redécouverte de la nature et du monde surgie à la page 66 et à sa traduction par les mots. Les quelques vers en italique imposeraient un ordre, l’ordre de l’objectivité pour caractériser « en vérité » le contenu du poème : le propos n’est presque jamais revendiqué ou pris en compte par un « je ». Les quelques vers en italique pourraient-ils constituer un dénouement réaliste, une sorte de révélation ou ouvrir un nouvel espace à la sensibilité, à la vie ? Leur forme brève, leur écriture dépourvue de tout décor grammatical inutile et de toute terminologie imprécise pourrait correspondre à une mise en ordre qui mettrait un terme à l’ « approximation » de l’écriture poétique antérieure. Après le poème de la page 71, qui est une supplication douloureuse et vaine à l’ami défunt, les trois vers de la page 72 expriment la décision et la nécessité d’un cheminement commun (« Avec toi, frère dévasté /Je dois/ Cheminer »).

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  26. Il est clair que cette construction en diptyque, dialogue entre le locuteur qui écrit et sa propre conscience, appelle une analyse approfondie ; il apparaît en effet, si l’on se place au point de vue de l’auteur, que les vers en italique ont été écrits après l’achèvement et peut-être la relecture de chaque poème. Mais il est aussi concevable que les vers en italique constituent un projet ou un programme d’écriture encadrant la créativité du poète et laissant la voie ouverte à l’expression préalable ou prioritaire de l’émotion et de l’interrogation.
    S’imposerait une étude de la langue et d’abord du vocabulaire employé dans les textes. Celui-ci est à la fois précis et concret, parfois assez recherché, l’auteur préférant la précision étymologique d’un terme rare à l’usage d’un synonyme de contenu sémantique extensif. Mais l’écriture reste naturelle et presque simple ; le texte des poèmes n’est jamais encombré par une adjectivation pléthorique ou emphatique et l’expression ne s’égare pas dans des constructions grammaticales trop élaborées ; l’auteur s’appuie sur les mots et s’applique à rechercher des mots rares mais d’une signification précise, évitant l’adjonction d’épithètes sonores à des substantifs pseudo-conceptuels.
    L’écriture prend parfois une forme très dramatique qui n’est pas sans rappeler les mises en scène théâtrales qui nous rendent témoins de retournements de situation ou d’anticipations de ce qui fera l‘objet de séquences ultérieures.
    Certains poèmes sont de lecture difficile, même lorsque l’écriture en paraît spontanée et immédiate ; certaines formulations sont très suggestives et l’usage de l’oxymore accroît la densité douloureuse de certains vers (« Il n’en finira d’appartenir/ À l’absence », p.36). Le recueil n’est bien évidemment pas écrit d’un seul jet et les poèmes peuvent traduire des sentiments variables ou exprimer des sensations diverses, même contradictoires mais c’est la voie même d’une quête longue et douloureuse, celle d’une sortie de l’exil, qu’il nous fait vivre.
    Ce qui s’impose très vite là la lecture de cette œuvre, au-delà de l’alternance graphique déjà évoquée, est que le recueil de poèmes ne peut pas, en aucune façon, être lu dans le désordre ; il ne doit pas être parcouru négligemment mais seulement dans sa continuité éditoriale. Les poèmes ne s’alignent ni ne se juxtaposent ; ils se suivent, ils se succèdent. Le recueil épouse un itinéraire que le lecteur est appelé à emprunter, même s’il reste dans l’impossibilité de mesurer et surtout d’anticiper la durée et l’issue des étapes successives. On ne saurait bien évidemment parler de récit, ce qui serait aberrant et constituerait une négation même de l’écriture poétique, mais il y a entre les poèmes une réelle continuité, se déroule une histoire qui, certes, ne s’achève pas mais trouve au terme du recueil non pas un dénouement, même fictif, mais une forme d’ouverture, de découverte. Le locuteur nous associe à son histoire, une histoire intérieure, qui n’a rien de matériel, d’événementiel, de spectaculaire.

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  27. Une première lecture pourrait laisser croire à une ébauche de dialogue. Le locuteur s’adresse dès le début à quelqu’un de non identifié (« Promets-moi », p.7) puis, dans un grand nombre de poèmes, il s’adresse à une personne, un ami défunt dont le décès nous est révélé subitement (p.9) ; cette mort, plus qu’atroce, est inadmissible puisqu’elle finit par indigner Dieu lui-même (« comme Dieu/ S’il marche auprès d’eux /En est amer »). Le locuteur ne cesse ensuite de s’adresser à son ami défunt, de lui lancer des appels mais ne reçoit jamais de réponse. Car la mort est d’abord un exil et il est frappant de constater que ce mot est récurrent dans l’œuvre (on le retrouve plus d’une dizaine de fois, au singulier le plus souvent, quelquefois au pluriel) ; c’est à la fois un constat et une dénonciation ; s’il est vrai que la mort est un exil, le locuteur ne se résigne pas à ce qu’elle se traduise par le silence. L’un des caractères les plus originaux, mais aussi les plus bouleversants et les plus beaux de ce recueil, consiste peut-être dans le fait que les désirs manifestés par le locuteur, ses diagnostics et jugements aussi, apparaissent aberrants à celui qui se limite au simple point de vue de la réalité matérielle ou humaine ; pour le locuteur en revanche, la mort ne doit, ne peut pas rester un exil ; la formulation est répétée comme un leitmotiv. Bien sûr, le défunt ne se réinstallera jamais dans la proximité de ceux qu’il a quittés ; ce qu’il est advenu de lui, personne ne peut le savoir ni le pressentir, même si le mot « éternité » apparait dans un poème. Mais des contacts, des liens peuvent se perpétuer ; il est souhaitable, nécessaire que le mort reste accessible par des objets, par un site (la stèle funéraire), des itinéraires de compagnonnage, qu’il conserve une présence.
    L’évidence la plus immédiate prouve que le terme de « dialogue », dont nous venons d’esquisser l’usage, est inapte à décrire le contenu des poèmes ; il constitue même un contresens radical ; en effet, ce dont le lecteur est témoin n’est pas un échange permanent mais un appel de la part du locuteur, qui ne reçoit aucune réponse de celui auquel il s’adresse ; nous sommes en présence d’une totale absence de dialogue, du triomphe du silence.
    Mais il importe de revenir à l’ordonnancement du recueil poétique. L’histoire qu’il nous rapporte s’enracine dans le premier poème (p.7), qui constitue une sorte de préface encadrant l’ensemble de la poésie, une sorte d’appel anticipateur. Le locuteur/auteur parle à la première personne ; il parle de lui-même et demande à quelqu’un, après sa mort, à un ami, de poser sur son corps les jouets de son enfance qui seront ses bijoux pour l’au-delà ; leur présence, l’idée qu’ils sont près de lui, même s’il ne peut plus les saisir, lui permettra d’être « apaisé, un peu ». Le texte traduit la peur de la mort ou plus précisément la peur de l’inconnu qu’elle représente, la crainte de ce que peut être l’après-vie, l’éloignement, l’exil, le vide, le silence, l’éternité même et le désir d’y inscrire la mémoire (ou la présence) de la vie terrestre qui l’a précédée. L’au-delà de la vie doit rester inscrit dans la vie, dans l’existence terrestre ; il n’est pas concevable, il n’est rien sans la mémoire de la vie. Le locuteur ne demande pas aux vivants de se souvenir de lui vivant ; il demande, lui, une fois mort, de pouvoir se souvenir de la vie. Ce poème pourrait facilement être transféré au terme du recueil et être un appel du locuteur à son entourage futur. Mais de qui émane-t-il en vérité ? S’agit-il d’un appel du seul locuteur ? Il serait alors une sorte de prière anticipatrice. Ou est-il à la fois celui du locuteur et celui qu’aurait pu lancer l’ami défunt ?

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  28. Le propos, aberrant en termes de logique matérialiste aussi bien que de spiritualité eschatologique, et contradictoire, surprend. Comme si le mort, condamné à un monde de vacuité et d’inertie, avait besoin d’entretenir la mémoire de sa propre vie. Les objets - les jouets - de la vie maintiennent la vie, entretiennent la relation à la vie ; ils procureraient au défunt quelque apaisement. Les vers suivant écrits en italique se hâtent de préciser que ce désir, cette demande fut ignorée (« Cette demande /D’obole /Qui ne fut pas/ Exaucée », p.8). Le texte introduit une rupture temporelle évacuant les étapes d’une histoire personnelle puisque les vers en italique évoquent la non- réponse à une demande anticipée dont la mise en œuvre n’a pas été amorcée. Il constitue une préfiguration ancrée dans l’expérience et la généralisation la plus banale.
    Mais le poème suivant (p.9) et tous ceux qui lui succèdent nous aident à comprendre le sens du poème liminaire. Si la demande émane bien du locuteur, son contenu apparaît d’abord en contradiction avec ce qui est arrivé à son ami, cette épouvantable mort d’un jeune homme de dix-neuf ans, que la maladie a privé de la vie et qui a été réduit en cendres. Cette mort atroce n’a pas laissé à l’ami la possibilité de faire sa demande ; il ne l’a pas faite et par conséquent ce qui aurait dû être sa demande d’obole n’a pas été exaucé.
    En réalité, les premiers poèmes du recueil proposent et mettent en scène un renversement des rôles dans le cadre d’une présentation dramatique qui bouleverse le lecteur condamné au silence et à l’impuissance. Le lien entretenu par le défunt avec des objets, des jouets de sa vie l’apaise peut-être (le mystère de la mort reste total) mais il apaise surtout les survivants, leur permet de continuer à aimer le défunt, à vivre avec lui par la mémoire et la présence physique (importance et portée symbolique de la stèle). Ce n’est pas le défunt qui s’apaise mais sa présence parmi les hommes qui apaise les survivants. Les vers en italique ne sont pas une réponse à ce que pourrait être la demande du locuteur. Ils anticipent ce qui va être ensuite dit et répété par le locuteur dans sa déploration ; alors que les bougies et les papillons laissent des traces, son ami mort est parti sans laisser la moindre trace, ce qui sera précisé ensuite. En demandant à ce qu’on ne l’oublie pas demain, le locuteur se met à la place de son ami qui a été privé de cette faveur, de cet appel qui aurait dû être le sien mais n’a pu avoir lieu. En adressant sa demande, le mourant pense à son propre apaisement, qui ne peut être que celui des survivants qu’il n’abandonne pas totalement. En ne pouvant pas obtenir cette obole, le défunt a été condamné à l’exil et ses amis et parents ont été privés de toute relation ; l’absence de cette obole matérielle a coupé toute forme de communication entre les partenaires de l’affection. Les objets qui ont accompagné la vie sont des bijoux et leur présence matérielle maintient un lien entre morts et vivants. Et bien davantage encore le lieu de sépulture, la stèle, qui perpétue non pas l’existence mais la présence du défunt.
    À partir de là, le locuteur exprime les effets de la mort de son ami sur son existence ; le mot qui revient régulièrement, nous l’avons vu, est celui d’exil ; l’exil de son ami l’exile lui-même de ce monde. Non seulement il n’a plus accès à son ami mais le monde lui-même lui échappe ; la mort conquérante impose pluie et obscurité.

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  29. Très vite, le locuteur s’adresse à son ami défunt pour l’appeler à l’aide, lui demander s’il garde le droit de s’adresser à lui (« Tu restes dans ta nuit ; /Ma voix ne viendra plus à moi…/Que ferai-je de ton silence ? »), alternant les requêtes et les interrogations (« Mais répondre est désormais ailleurs qu’en lui », p.16) S’engage une sorte d’appel au dialogue, un dialogue de sourds, une absence de communication ou échange entre le mort et son ami qui l’a accompagné jusqu’au dernier jour. La mort de l’autre interrompt le temps, prive de tout regard ; la nature elle-même s’efface et disparaît. La mort de l’autre, brutale, inimaginable, sans quoi que ce soit qui puise aider à la supporter, détruit le locuteur ; il ne reconnaît plus la nature, perd ses repères dans l’espace et le temps (« la lumière /Ne se lèverait plus, j’en resterais /À marcher sans voir devant moi /Ni chercher demain », p.11)
    Les appels de l’ami sont une nécessité mais seul le silence répond (« Que ferai-je, comme un vent sur la main, De ton silence ? »…… « Et la blessure […] grandit/ De ne capter écho/ Ni murmure,/ Rien », p.14)
    La mort ne doit pas être un exil ; d’où la nécessité d’un objet réalisé pour lui, que ce soient ces bateaux en bois perpétuant le marin disparu en mer ou les objets égyptiens placés dans le sarcophage. Pour que la mort ne soit pas un exil, il faut accompagner le défunt, tisser un lien avec lui : « Mais lui dans son sommeil aucun objet ne l’accompagne ». Pourquoi désormais vouloir essayer de le retenir, l’accompagner de rites matériels et d’objets « Quand le réel (pas même un apaisement) /Est un corps couché / Qui ne respire plus »?(p.16)
    N’est-ce pas offenser l’absent que de continuer à honorer les cendres auxquelles il se résume désormais : « Je t’offenserais moins en dispersant ta cendre » (p.14) ? Et ne serait-ce pas l’honorer que de les disperser sur la plage, de les fondre dans des lieux où il était heureux ? C’est après avoir pris cette décision que le locuteur ne cesse de le rechercher. Les poèmes, qui se succèdent et décrivent cette quête impossible, sont émouvants, parfois pathétiques, d’autant que les interrogations qu’ils incluent sont comme rejetées, écartées par les vers en italique qui semblent ironiser sur les efforts inassouvis : « L’aube/Comme une douane /Qu’on ne franchit pas / Qu’on ne franchira pas » (p.3) ; « Guéable, /Ce passé ? Enjamber l’enfer/ Puis remarcher d’un pas régulier ? » (p. 49); « Mots / Enlisés dans la tourbe / Loques de phrases / Des verbes / Qui font constat / De leur errance. » (p.65)
    Les poèmes qui jalonnent cette quête incessante font alterner deux thèmes ; d’une part, l’appel resté vain : « C’est moi avide et béant qui le questionne/ Et parmi tant de silence/ Imagine la possible élocution des défunts » et d’autre part, l’effort douloureux pour le « retrouver », puisqu’aucun objet ne saurait plus incarner sa mémoire (« Mais tes mains désormais sont deux exils » (p.46) ; « J’ai tout jeté de lui/ Ni objet ni photo » (p.64), « Ma main court après sa trace/ Mais lui, l’absent,/ Voudrait-il d’un sillon/ D’une mémoire écrite/ Avec le silence ? » (p. 56)

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  30. Dans un premier temps, la vision qui se dégage des poèmes est très sombre et purement négative ; l’absence est omniprésente et le locuteur ne peut y faire renaître la vie (« J’en reste à peupler/ L’absence » (p.48) Mais, à un moment, une évolution se manifeste, grâce à la mémoire. Le bouleversant poème de la page 62 inaugure un tournant : « Je continue de l’appeler,/ Les mots ne sont plus les mêmes,/ Il faut le nommer autrement, / Dire ce qu’il est aujourd’hui/ Sans pleurer, je n’ai pas guéri de ses regards/ Mais le deuil a moins faim, c’est un sourire/ Que je veux à présent écrire ». La voix ramène la vie et la nature réapparait dans le poème. Les textes suivants sont d’une richesse exceptionnelle ; ils nous font assister à une résurrection de l’ami mort ; le locuteur entreprend de cheminer en sa compagnie (« Avec toi, frère dévasté,/ Je dois/ Cheminer », p.72); le bonheur de la mémoire se substitue à l’appel angoissé du présent, le surgissement du passé réduit la souffrance (« Dans ce vert qui fait surgir/ Le passé par la fenêtre/ Sans m’emmener vers /Des pleurs ou de regrets » (p. 76). Parler de l’ami défunt finit par créer l’apaisement (« Ce chien de la mémoire [….] Cette insulte sans exil/ Voici qu’elle s’entend moins » (p.85) et même une sorte de bonheur (« Au-delà du deuil invaincu/ Quand l’amitié se fait oratoire/ De toi/ Je parlerai avec des mots/ heureux » (p.93). Le recueil s’achève par un poème remarquable d’humanité et de confiance en la vie. Le locuteur reconnaît avoir écrit sur l’absence et ses mots ne l’ont pas vaincue mais l’écriture a mis un terme à la mort : « Le souvenir maintient sa pierre/ Mais quelque chose appelle en moi/ Comme une faim, une faim de lumière/ Et c’est ici que la mort finit » (p.103) Sans doute serait-il abusif de parler d’optimisme mais de sens de la vie; elle triomphe de la mort puisqu’elle se montre capable d’associer la présence du défunt à la vie des vivants et d’être même une cause de joie.
    C’est pourquoi le lecteur reste en communion, en émotion constante, dans une reconquête de la vie. La mort est une monstruosité mais elle ne saurait se réduire à un exil. Aussi le lecteur est-il en droit de s’interroger sur le titre du recueil. La souffrance vécue et présente à chaque page ne doit pas rester vaine ; elle ne rendra pas la vie au défunt mais elle redonnera valeur et sens à la vie, en permettant d’y associer par le souvenir, par la fidélité, le défunt qui ne sera plus absent, ignoré, exilé. Ce recueil ne saurait être une réflexion sur la mort et l’au-delà ; il reste immergé dans le présent, dans le vécu quotidien. En aucune façon, nous ne pouvons savoir ce qu’il est advenu de l’ami mort mais les vivants qui l’ont aimé continuent de le faire vivre dans l’humanité.

    Michel Denicé

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  31. "Le dernier regard des aimés ne s'oublie pas", par Claude VERCEY, étude publiée le 27 novembre 2018 dans le Magnum de la revue Décharge:

    http://www.dechargelarevue.com/I-D-no-786-Le-dernier-regard-des-aimes-ne-s-oublie-pas.html

    Dans le même temps où son Atlas de l’Invisible s’inscrit comme 179ème livraison de notre collection Polder, les éditions Tarabuste accueillent du même Gabriel Zimmermann Depuis la cendre. Celui que récemment encore nous nous réjouissions de faire découvrir comme voix nouvelle à nos lecteurs, - dès mars 2017, dans Décharge 173 (mais je ne vais pas reprendre ici les étapes déjà évoquées dans l’article Progressif dévoilement des Polders d’automne, du 7 novembre 2018) – doit compter à présent parmi les poètes les plus convaincants de la jeune génération.

    Ce matin
    Sur la plage
    J’ai dispersé ses cendres.

    On ne peut évoquer avec plus de simplicité l’ami mort d’un cancer à dix-neuf ans. Gabriel Zimmermann ne se paie pas de mots, et c’est cette sobriété et cette précision dans les termes (dans quelle autre poésie parle-t-on de métastases ?) qui donnent en premier lieu son prix à cette écriture, - langue parlée, mais tenue, avec un sens aigu des ruptures, des respirations qui découpent avec justesse le vers libre, - ici attachée à une méditation autour de la perte, de l’absence :

    Est-ce impudeur
    De le chercher dans son silence
    De remuer la nuit
    Qui a pris ses yeux

    D’écouter plus loin que sa cendre ?

    Dans l’I.D précédent(n°785), je notais que les livres de deuil me semblaient actuellement plus nombreux que les poèmes d’amour (on objectera à juste raison que Depuis la Cendre est aussi un poème d’amour). La singularité de celui-ci, le point par lequel il me touche, est dans les questions qu’il lève autour des pratiques de la crémation et de la dispersion des cendres : comment dès lors peupler l’absence de l’ami sans stèle ? : Vous les morts en mer, un petit bateau en bois / vous garde auprès de nous, est-il rappelé ; et aussi :

    En Egypte
    Ils sculptaient pour leur mort des statuettes
    Qu’ils peignaient en noir et blanc

    Etait-ce une étrenne
    Pour les dieux, ces ouchebtis
    Ou jouets pour un au-delà moins âpre ?

    Des femmes,
    Le plus souvent, au visage doux,
    Nattées, gainées, qu’ils déposaient
    Dans la tombe avant le séjour
    Où lune et soleil
    Ne se succèdent plus.

    Mais lui, dans son sommeil,
    Aucun objet ne l’accompagne

    On l’a laissé nu
    Pour partir, pas même une fleur
    Sur sa poitrine.

    Néanmoins, à la question posée, Gabriel Zimmermann répond : le livre construit le tombeau absent, en ces quelques pages / qui le racontent / comme un cairn sur le chemin désert. Dès lors, l’auteur peut s’engager sur le chemin de la résilience :

    Malgré les pleurs dans le soir
    Son cercueil glissant dans les flammes
    Je n’ouvrirai mon cœur à la mort

    Et c’est ici que la mort finit, affirme le dernier vers du livre.

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  32. Cher Gabriel,

    Je voulais te dire toute l’émotion que j’ai eue en lisant ton œuvre et, paradoxalement, tout le plaisir aussi qui a été le mien en accueillant tes mots car en moi ils avaient leur place. À chaque instant j’ai été émerveillé que tu aies pu les trouver. Merci. Je suis vraiment heureux d’avoir ce recueil dans ma bibliothèque !

    Bien amicalement,
    Daniel Lecler

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  33. Un titre, en caractères plus hauts que le nom de l’auteur : c’est que désormais le texte parle seul - encore qu’on puisse en rendre grâce à son auteur. Du « recueil » : des textes et notes ordonnés chronologiquement ou du moins dessinant une ligne narrative, on dirait, pour le mot, cette fois un doublé ou bouquet de sens : on y aura recueilli (sa peine), on s’y sera recueilli, trouvé et ressaisi. Vigilance du cœur et de l’esprit, un chemin de douleur, un parcours en douceur. Tension et délicatesse : grâce des mots. Grâce et vertu rendue aux mots à fleur de silence pour dire l’absence, l’étrangeté, la persistance et la renaissance en autre. Le même, plus grave et vif.
    Présence de l’ami gravée en dur et creux d’absence :

    Direz-vous que je le chante/ L’entendez-vous dans ma voix/ Lui dont les lèvres sont au vent

    par les mots qui se font chair :

    Il n’y a ombre/ Ni brouillard autour de lui/ Pas même un trait de nuit/ Le voici après tous les exils/ En ces quelques pages/ Qui le racontent/ Comme un cairn sur le chemin désert.

    Présence du lecteur à lui-même, cœur, esprit, dans le corps des mots, qu’il se choisit ou qui l’appellent

    Pendant que déferle
    La
    Forêt mentale.

    Pour moi souvenir de l’Ardèche, du bruissement violent de la forêt en tempête nocturne, tout au bas du chemin bouche d’ombre. Mais à nos âges - je pense à Patricia et quelques autres proches, c’est la vie même qui bascule, s’absente ou bien appelle selon l’heure. Un arbre fait venir les larmes, des voix dans la nuit, une rue déserte…Les larmes ou bien tout aussi prompte et violente, la joie ; et le désir de vivre.
    Merci Gabriel, pour ces pages, dont je recopierai certainement plusieurs et que je relirai toutes.

    Françoise Savarin Nordmann

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  34. Une note de lecture par Olivier MASSÉ, parue dans le nouveau numéro de la revue Diérèse, mars 2019

    L’écriture du deuil, deuil d’un jeune ami, tel se présente Depuis la cendre. L’écriture comme un talisman emporté dans la mort, comme l’émouvante adresse, d’emblée, du mourant :

    Promets-moi, après m’avoir pleuré,/ Lavé, habillé, veillé/ Et avant de me descendre en terre/ Promets-moi, par égards pour mon éternité, /De poser sur moi les jouets de mon enfance.

    Divers mouvements animent le recueil, habillant le cri et la douleur, toujours avec une grande tenue. Le désarroi tendant à affoler l’écriture qui elle-même se pose en vision de l’éternité demandée, les paroles peuvent devenir personnelles, interrogative :

    Est-ce impudeur/ De le chercher dans son silence ?/ De remuer la nuit/ Qui a pris ses yeux ?

    Parfois en effet cède la digue, et les visions du passé déferlent, avant que l’on ne passe à la survie, à la clameur d’avenir, de petits poèmes en italique, alternant, comme souffles plus profonds, apportant distance

    Pendant que déferle/ La/ forêt mentale.

    Du là-bas supposé, à peine imaginé et tout en sachant qu’il n’y a plus de visage, on revient aux rires passés, ou aux derniers instants de la maladie, mais, surtout à l’absence évidente, omniprésente. Si la lecture du recueil s’effectue avec tristesse et sérénité, c’est que l’ensemble, au fil des évocations et visions, réussit à devenir, ici-même, veille dans la nuit, résidence, dans le respect, la pensée, le mot juste, et la sortie du deuil, avec vérité dite toujours simplement, dignement :

    Dire ce qu’il est aujourd’hui/ Sans pleurer, je n’ai pas guéri des ses regards.

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  35. Par CHANTAL DANJOU, cette analyse textuelle qui vient d'être publiée dans le numéro 1079 de la revue Europe:

    Comment ne pas être sensible au titre : Depuis la cendre, à sa discrétion dédicataire – l’auteur s’adresse à un ami mort – comme à sa force signifiante puisque si « la cendre » matérialise la fin, la préposition consacre une origine et, le fil du texte en témoignera, une forme de regain comme croître et pousser à partir de neige et cendre ? Le maître-mot de ce recueil de Gabriel Zimmermann est « Déceler » et apparaît dans la dernière partie du livre. Pourquoi à ce moment-là et pas avant ? C’est la façon sensible du poète de noter le temps nécessaire avant de pouvoir parler de l’événement. Écrivant, il décèle effectivement, c’est-à-dire qu’il découvre à la fois physiquement, comme on ôte un drap jeté sur une sculpture, et intellectuellement en signalant comment la mort fait retour sur l’écriture et la façonne poétiquement, bouleverse voire subvertit ses codes, dédouble le phrasé. Ainsi ne s’agit-il pas ici de l’évocation stricte de la mort – ou du mort – mais de l’inscription dans « une humeur vive » et dans « la sève » à l’œuvre de toute ramure hivernale, de toute disparition, de la composition-décomposition d’un texte. Il nous est alors étrange de constater une parenté de lecture avec un recueil lu précédemment, Hush : A Fugue, autre titre sur le deuil, de la poète australienne Dominique Hecq (UWA Publishing, The University of Western Australia, 2017). Sa posture adoptée face au langage initiait un travail duel non sur la langue mais à l’intérieur de la langue, la mise en mots étant aussi une mise à mort que soulignait le rapprochement étymologique en vieux français entre « duel » et « deuil » qu’elle nous rappelait opportunément. Les deux poètes s’engagent alors dans l’apparition-délitement, dans la présence-absence qui la transcrit. Dominique Hecq : « And death is present in the pupils of the absent eye, the holes in the mask that summons them, not us » avec, en écho, les vers de Gabriel Zimmermann : « Observez ses yeux/ Il fixe/ Depuis les statues de l’enfance/ Mais ce regard n’est pas le sien/ C’est ma mémoire/ Qui rouvre ses paupières ».
    Nous trouvons bien au cœur de Depuis la cendre le duel évoqué plus haut, notamment dans la double écriture, les italiques pour des textes courts et sans ponctuation et les caractères romains pour des pages plus chronologiques, les premiers, dans leur brièveté incisive, étant comme des miroirs profonds et concentrés du déroulement des autres pages. Ainsi, « les papillons leur poudre/ Traces de l’éphémère » renvoient-ils au paysage troublé par les pluies, à la mémoire traversée par le doute, aux « feuilles/ Criblées », à « la lumière [qui] ne se lèverait plus » et au poète qui « resterai[t] À marcher sans voir devant [lui] », que l’on trouve à la page mise en regard. C’est aussi consigner les métamorphoses de l’écriture, ses voix plurielles – l’autre, soi, la voix troisième constituée de leur timbre mêlé et ouvrant au poétique,– ses sillons – un terme récurrent chez Gabriel Zimmermann, ses hachures de lignes d’encre comme de pluie, de bois ou de fissures, telles qu’elles apparaissent successivement. C’est encore toucher du doigt la limite en admettant que la parole peut être celle « qui n’a plus de bouche », sorte de tutoiement d’indicible, de battement entre profération et mutisme, entre « voix » et « rien », « main » et « cendre » tout en questionnant ces « rien » et « cendres », capables de reformuler la « figure », l’ « éphémère », comme morcèlement de présence que nous pourrions écrire pré-sence. Mais le duel, nous le retrouvons aussi dans des notations picturales telles « nuit » et « blanche », cette blanche pouvant encore figurer la note de musique, son temps interrompu ou ralenti, son contrepoint au nocturne, presque son contretemps et celui de l’écriture.






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  36. Ce qui est par ailleurs frappant dans ce recueil, c’est l’importance de la notation de lieu qui est à la fois lieu d’effacement, d’obscurité, d’entre-deux et de dispersion : « dans ta nuit », « en terre », « depuis la cendre », « dans leur cloison en bois », « au plus près de sa neige », « près de la fenêtre », « dans l’ombre », « sur le sable », « dans le fleuve », « dans la tourbe », certains de ces éléments rappelant le magma originel d’où s’organise le monde, passant, par exemple, de cette terre ensevelissante à cette tourbe à forte plasticité qui semble modelable, permettant de tenter une cosmogonie. Deuxième série de lieux, celle, métonymique, qui consacre une partie du corps, ainsi « d’un visage », « sur sa poitrine », « sur ta peau », « sur tes yeux », « dans ta bouche ». Et c’est – semble-t-il – la conjugaison de ces deux variantes de lieux qui permet de passer de l’inconsistance et de la métonymie à la métaphore, c’est-à-dire la recréation, et même si « La métaphore/ […]/ ira toujours jusqu’à l’os », un déroulement est visible, contrariant l’arrêt sur image, jusqu’à ce que « Dire reprenne/ À la lisière/ Du lyrisme ». À cet égard, il nous apparaît opportun de relever que « Depuis la cendre » devient, au centre du recueil, « de sa cendre intérieure », comme un glissement vers la personnalisation, l’intériorisation du processus double de création-altération, de même qu’il y a trace, ici, d’une expérience sensible et intellectuelle inhérente à tout être humain. Les frontières de la vie et de la mort sont poreuses puisque c’est aller « Vers cohabiter/ Avec/ Ce rugueux réel de jute ». Et lorsque l’auteur poursuit en notant « Pendant que déferle/ La/ Forêt mentale », c’est relier la question du lieu à celle de la mémoire. L’article « La », majestueusement isolé sur une ligne comme un arbre premier en avant de la forêt, nous frappe de sa syllabe et constitue un pré-langage, presque une onomatopée. Serait-ce aussi une nomination conjointe ou diphonique d’absence et de reconstitution ? Ébauche aussi du « là » adverbial qui cherche un hors-lieu/ hors-temps où mémoire et langue adviennent enfin, intriquées, consignant « La matière qui finit », « le texte en son gisant » ?

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  37. Et pourtant, en dépit des cendres, il y a le « Réveil/ De mandarine sèche », une vie qui reprend donc, « sèche » ne dénaturant pas le parfum ni le goût du fruit mais témoignant avant tout de la décantation de tout travail de deuil et d’écrit, du passage de la perception et de l’émotion au poème. S’il n’y a pas d’objet qui accompagne le mort comme les offrandes déposées dans les tombes dans la tradition égyptienne, ainsi que le rappelle l’auteur, il y a cependant l’objet du texte, thème et désir, traversée donc du concret à la symbolisation. Ce mouvement est, de façon très imagée, signalé par : « On entend mâcher. Dans les boxes/ Le jour n’est qu’un sursaut face à la nuit » ou « qui ira vers plus de nuit ». « Mâcher » peut ainsi se comprendre en tant que rumination de la parole, sa préparation et sa maturation, et dont l’accent circonflexe rend effectivement l’élocution plus lente, plus rauque, plus profonde. De la même façon, la nuit n’est plus seulement une vacuité et un indiscernable mais matière ingérée ; elle n’appelle plus à l’immobilité de la mort mais au geste, à la geste qui implique « De remuer la nuit » et donc de la travailler. Et si les mots ne parviennent pas à vaincre la mort, ils la contiennent. Il suffit d’observer qu’un « r » s’ajoute à « mot » pour créer la « mort », ce « r » de pierre qui roule au torrent, consonne gutturale, de fond de gorge, très loin dans le dire. « Et c’est ici que la mort finit » dans cet archaïsme du langage. C’est ici, dans ce retour aux limbes linguistiques, que le verbe repart. C’est ce vers conclusif qui « décèle » ce que le poème fait à l’existence, il la proclame. Il s’agit dès lors d’un ouvrage qui ne referme ni ne se referme, adoptant le rythme rocailleux et herbeux d’un écrit du cahot, du sursaut, du rebond. Il se pourrait bien que ce soit à ce bord extrême du dire comme du taire – les deux – que le poème liminaire résonne à nouveau, questionnant sa fin autant que ses scansions : « et ma bouche/ La double lande [faudrait-il entendre langue]/ Du silence ».
    « Depuis la cendre », qu’est-ce à redire ?

    Chantal Danjou

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  38. J’ai lu votre livre d’une seule traite (plus exactement en deux fois) avec la gorge nouée et l’impatience de vous remercier de m’avoir fait revivre un drame que j’ai moi aussi vécu, et quatre fois même, et de vous féliciter pour l’étonnante réussite de ce livre qui semble être le premier que vous ayez publié, sinon peut-être écrit. J’ai retrouvé, exprimé dans une poésie brûlante et palpitante cet ensemble d’émotions, de révolte, de scrupule aussi, que j’ai bien connu et traversé plusieurs fois et tenté d’exprimer moi aussi mais peut-être avec moins de retenue et de concentration que vous. Vous avez su vous placer « à la lisière du lyrisme », faisant preuve d’une maturité étonnante à votre jeune âge et je vous cite encore : les mots chez vous « vont plus loin que leur vent triste ». La force contagieuse du livre tient largement à cette simplicité qui toujours tombe juste : « Le dernier regard des aimés ne s’oublie pas » ou « se souvenir de lui/ comme du drap mis sur l’enfant qui dort » ou ceci « on l’a laissé nu/ pour partir, pas même/ une fleur sur sa poitrine » ou encore « il n’en finira pas d’appartenir/ à l’absence ». Les métaphores, employées avec une certaine discrétion, sont toujours (enfin presque toujours) neuves et fortes, elles vont « toujours à l’os » comme vous l’avez souhaité.
    J’aime aussi beaucoup votre prosodie, ce vers souple, imprévisible, qui ne s’appesantit jamais, avec un usage si expressif des rejets et des anaphores qui propulsent le rythme et structurent le poème. Quelle réussite, ce poème de la page 51, qui se déroule impétueusement jusqu’à cette belle trouvaille conclusive : « D’inventer une ombre/ qui ne le crible pas ».
    Un autre aspect du livre m’a enchanté, c’est sa construction. Non seulement dans l’évolution thématique qui nous guide insensiblement des pages ténébreuses, accablées du début jusqu’à l’éclaircie et la perspective d’un apaisement - mais aussi dans sa forme même. J’ai vraiment aimé cette alternance des « récitatifs » souples et murmurés et de « loques de phrases » en italiques, d’une impressionnante concentration, plus obscures certes et plus crispées dans leur brièveté et leurs italiques, mais qui lacèrent le récit comme des sanglots qui vous échappent. Et là aussi, que de merveilles ! « Les veines/ du sable/ sur la dune/ les aubes sans cuirasse », fragile impression de douceur et sa paix lumineuse, ou celui-ci, taillé au scalpel : « Blanche ou la mort/ tumeur de craie/ neige invasive/ avant, lunes/ affamées de grouiller/ les métastases ».
    Mon dernier ami adoré et perdu est mort en 2005 d’un cancer du pancréas apparu cinq mois plus tôt alors que nous étions tous deux en vacances à Bali et Java - je sais ce que vous dites. Un des poèmes qui m’ont le plus frappé, parce qu’il en émane un pathétique d’autant plus fort qu’il est indirect, c’est le poème de l’écurie, ave ce trait si exact et troublant : « Ils ont dans leur cloison en bois le regard immense/ et effaré des mourants. » Ce retour au sujet, à l’image obsédante et torturante, vous coupe le souffle !
    Vous vous demandez, page 56 : « Mais lui, l’absent/ voudrait-il d’un sillon/ d’une mémoire écrite/ avec le silence ? » C’est une question que je me suis moi aussi posé et qui fatalement restera sans réponse. Je ne peux que vous donner la réponse d’un lecteur : la mort inadmissible de votre jeune ami n’apparaît jamais comme un « sujet de poème ». Au contraire, on ressent dès le premier poème qu’écrire ce livre a été pour vous un exorcisme, un effort de survie et pour lui un « tombeau » qui devrait braver le temps et conjurer l’oubli. Et sur un plan plus littéraire, ce livre aura été pour vous un « baptême du feu », courageux, forgé dans la douleur et le doute, qui vous donne d’ores et déjà la stature (la statue ?) d’un vrai poète.

    François LESCUN

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  39. Mon cher Gabriel

    Je viens de lire Depuis la cendre. C’est un très très beau texte, qu’on pourrait dire « sombre » mais qui ne l’est pas puisqu’il célèbre en fin de compte, et l’expression ici prend au moins deux sens, rien moins que la vie. J’y ai senti la présence forte, très forte, même, de Nicolas Lepuil. Je me trompe peut-être. Même si je ne le crois pas vraiment. Tu interroges la mémoire, bien sûr, et aussi l’Esprit. Mais surtout, tu rends à la fidélité sa noblesse, sa distinction, sa vertu, sa beauté.
    Tu le sais, je ne lis pas beaucoup, doux euphémisme, de poésie. Mais je trouve vraiment ce texte très vivant, qui en invoquant ce qu’on appelle la « mort », s’inscrit dans la respiration de la vie.

    CLAUDE OBADIA

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  40. Dedans les pages de ton livre il y a de l’absence. Une absence noire de nuit mais d’une nuit d’encre qui t’appartient. Que tu dessines. Et je me suis pris à errer dedans ce musée vivant. Me laissant happer par un mot, un rythme, pour suivre le poème qui m’avait choisi. Tu as su donner à l’absence le poids de ce manque dont on emplit le sac qui pèse sur nous épaules ; et qui nous penche toujours plus vers cette terre d’où l’on vient.
    J’ai goûté tes poèmes du bout des yeux et du cœur.
    Les livres sont les seuls cimetières où peut se produire le miracle d’une résurrection. Pour ce faire, il faut que le poème, le roman ou la fiction soit écrit avec une juste passion, un bel amour…
    J’ai lu « Depuis la cendre » avec émotion, comme assis devant le miroir de mes absences et je t’en remercie, Gabriel.

    Je t’embrasse,

    Gérard

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  41. Gabriel,

    J’ai bien pensé à vous et à votre ami lors de cette fête de l’Assomption. Les chrétiens célèbrent un Mystère incompréhensible : la montée au Ciel de Marie sans être affectée par la corruption de la mort. Je sais que ce sujet vous touche au point d’oser un dialogue avec cette « invisible » présence. Votre enquête est admirable et courageuse. Toute la foi-réponse ne pourra jamais enlever le drame que vous portez et nommez mais seulement déplacer la frontière de la souffrance vers une insondable vie. Aucun désespoir mais l’appel à regarder avec votre profondeur l’instant qui se fait présent à notre vie. Aucune corruption ne pourra ôter cette intensité sauf la distraction et la banalité du monde. Chaque nuit porte ses étoiles.

    Silvio GUERRA

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  42. Je viens de finir ton livre sous un pin. C’est très beau et émouvant. Il y a des poèmes que j’aime vraiment beaucoup et j’ai appris de nouveaux mots comme toton. Bisous,

    Mathilde Russo

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  43. Cher Gabriel,

    Je profite de la nouvelle concernant le prestigieux prix que tu as récemment reçu pour ton œuvre pour te féliciter et t’écrire - ENFIN - quelques lignes concernant ton recueil que j’ai beaucoup apprécié. J’avoue candidement que je ne suis pas une lectrice assidue de poésie et que je me sens bien mal outillée pour te faire part de mes commentaires. La poésie m’impressionne dans tous les sens du mot. Je suis admirative de ce que l’on appelle communément des « belles plumes » et de la puissance de certaines écritures mais souvent, j’ai aussi le sentiment de rester « extérieure », d’être mise à distance par un texte qui me semble trop hermétique. Concernant ton recueil Depuis la cendre, je peux assurément te faire part de mon émotion. Je l'ai lu puis relu, à l’occasion du décès d’un jeune enfant dans mon entourage. Télescopage des temporalités et des expériences, aussi singulières et uniques soient-elles. Dans de telles circonstances, comment exprimer incompréhension, sentiment d’injustice, colère voire rage ? Qu’en faire dans sa vie, celle de ceux qui « restent », comme on dit ?
    Je te livre ici en toute humilité quelques impressions produites par la lecture de tes pages, en écho à ma propre vie.
    Certains de tes vers sont particulièrement fulgurants; violence des mots qui s’entrechoquent :
    « Quand le repos/ N’a pas estompé son visage : Réveil/ De mandarine sèche. »
    D’autres ont fait jaillir les larmes de mes yeux : « Dix-neuf ans : comptez/Comme il y a peu dans ce nombre/Comme elle est maigre, la main du temps/Quand les enfants se taisent/Pour toujours. Cet âge/ Qui ne grandira pas,/Regardez-le : à peine/Plus que des limbes,/La vie s’est retirée si vite/Et comme nous Dieu/S’il marche auprès d’eux/En est amer. »
    Finalement, peut-être particulièrement au moment où j’écris, alors que s’achève cette période dite « des fêtes », je pense à celles et ceux qui ne sont plus là, peu importe l’âge de leur départ. Je relis: « Le dernier regard des aimés ne s’oublie pas. »
    Se souvenir permet de revivre pour quelques instants des paroles échangées, des moments partagés qui, heureux ou malheureux, nous accompagnent dans cette partie de notre vie qui commence « après ». Mais la mémoire ravive aussi souvent la douleur de l’absence, le vide laissé… Apprendre à s'en nourrir ?
    En pensant aux amis et (grands-)parents disparus, je t’emprunte ces vers :
    « Nous ne marcherons plus/Dans la nuit/Ses pas qui précédaient les miens/Pas un de plus, la terre/En restera veuve/Comme le vent, les arbres, les oiseaux/Et seul je n’irai pas dans l’ombre/Sentir son absence/Ce serait réveiller le deuil/Lui offrir regain de pleurs/Quand malgré la lame/Du souvenir, la plaie,/De notre amitié sur les chemins/Tout appelle en moi/À l’envol/ Au jet du jour. »
    Je suis heureuse pour toi que ton œuvre continue d’être reconnue par tes pairs. En te souhaitant de nombreux lecteurs et des échanges stimulants avec eux, je t’embrasse bien affectueusement.

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  44. Bonsoir Gabriel,

    Avant d’oser m’exprimer sur tes textes et ton livre, je tiens à te préciser qu’il s’agit d’un exercice difficile pour moi, la crainte de la lourdeur et le risque de la dissection m’empêchent de me livrer à la précision de l’analyse.

    Cependant, j’ai été très sensible à ta démarche. Au-delà de la recherche esthétique, sobre et dépouillée qui m’évoque l’art de la gravure, il me semble que tu vises à refléter l’harmonie naturelle de l’Homme avec l’univers. En cela, je ressens une poésie « calligraphique », extrême-orientale, où la respiration et le souffle du silence ponctuent la recherche de Sens:« La nuit dans la forêt me revient. »

    C’est un soleil noir qui illumine tes mots mais sans complainte, avec pudeur, retenue, élégance et justesse. Ton cheminement d’écriture indique la Voie, celle de la discipline, de la patience et de la persévérance.

    L’illustration de couverture, aquarellée, m’invite sans doute à ce rapprochement. Contrastes entre « liquidité » et « minéralité ». Un paysage de pierre, d’ombres et de poussière où l’Eau quelquefois vient purifier l’Air pour mieux faire briller les étoiles.

    Tu as su plonger au plus profond de toi et de cette pierre brute de l’Épreuve, tu as su polir ta souffrance, « ce caillou source » en est pour moi le signe.

    Sois certain que tu as fait ton devoir. Si j’osais, je te dirais que « comme un parfait chimiste et comme une âme sainte » tu as, de chaque souvenir, « extrait la quintessence », la Mort t’a donné sa boue et tu en as fait de l’or.

    Anne-Sophie Dunet-Iannello

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  45. Gabriel,

    Un grand merci pour ce très beau recueil. Même si je ne partage pas ta vision de la mort, je suis vraiment très touchée par la délicatesse de tes mots et par l'amitié que l'on y perçoit.
    L'amitié est pour moi précieuse et mystérieuse et je comprends la douleur de l'absence de l'ami.
    J'ai un vrai plaisir de poursuivre ma lecture avec Lapidaires.

    Élodie Florant

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  46. Par Jean-Luc Maxence, sa note de lecture parue dans le numéro 30 de la revue Les cahiers du sens, aux pages 235-236 :

    Qu’importe la date du Copyright ! Ce poète est rare, parfois exceptionnel, « à la lisière du lyrisme », son art poétique s’interroge sur la « sciure dans l’atelier » (p.86). Zimmermann dit le deuil impossible des êtres que nous avons tant aimés qu’ils défient la mémoire pour ne pas oublier leur inavouable présence. Sans fioriture ni « blabla » pseudo-romantique, le poète nous aide à sortir de la nuit intérieure. Sa poésie n’a d’étroite que ses mots ciselés et finement choisis. Sur son habit d’images pudiques, on retrouve « la peau, l’odeur, la sueur/D’un défunt » (p.64). Il dit le ciel « métastasé » comme personne !

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  47. Dire/ De lui ce qui survit/ Avec le bref soleil des mots
    A la lisière/ Du lyrisme

    Quand s'abat la mort, dans toute sa violence, il n'y a plus que les mots pour tenter de la dire et retenir ceux qui n'auraient pas dû partir. Et pas la mort abstraite, avec son cortège de paroles vaines, non, mais bien un mort, cet ami, qui n'est plus là, incompréhensiblement, avant même l'âge mûr où se déploient les forces, et a laissé sans voix...Depuis la cendre, c'est cette voix que le poète cherche, foudroyé, à reprendre depuis la cendre où son ami désormais s'est éteint. Un lyrisme traverse tout le recueil, mais pas un lyrisme romantique, orageux, narcissique de celui qui fait de son cri le but de son poème; mais un lyrisme à la lisière, violemment retenu, qui, bien sûr, dit une peine, mais qui d'abord va sonder le mystère du gouffre, d'abord veut ressaisir - qui lui dira si c'est possible ? - la main de l'ami perdu. Le poète, resté là, cherche à faire quelque chose de sa douleur; il voudrait par la puissance du verbe et des images convoquer la mort à son tribunal - la révoquer, la conjurer, la condamner; mais impuissant, il voudrait du moins, de ses mots, faire une stèle à son ami dans le monde des vivants, rendre un visage à celui qui n'en a peut-être déjà plus. A la lisière de l'émotion qui refuse la mort et de la réflexion qui déjà ne peut qu'y consentir, Depuis la cendre est aussi une méditation poétique sur le pouvoir que la poésie, désespérément, cherche à reprendre sur ce qui échappe au monde - de ce qui s'échappe du monde...C'est in fine un lyrisme minéral qui imprègne le recueil où chaque mot, pesé au poids du gouffre, est comme un silex brandi qui fouille les apparences jusqu'au sang. La poésie de Gabriel est souvent prise dans la brutalité d'une émotion qui, par pudeur, par idéalisme, s'engouffre dans des images tenues, altières, parfois abstraites - dans des images poétiques qui, au coeur même de l'émotion, se font quête de sens. Mais, à bien y réfléchir, c'est sans doute avant tout un hommage rendu à l'ami avant que d'être réflexion sur la mort, ce recueil qui parfois halète de vers brisés en poèmes qui s'échouent sur des rives trop lointaines...C'est avant tout un éternel salut d'un vivant rendu à celui qui n'est peut-être plus rien que ces mots qui le disent. Mais, qui sait...

    Je voudrais que la douleur d'autrefois survive en un
    Hommage/De fleurs séchées

    MAXENCE QUILLON

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