samedi 19 octobre 2024

Les arbres avec nous


 

16 commentaires:

  1. Deux notes de lecture rédigées par Claude Vercey et parues sur le Magnum de la revue Décharge :
    https://www.dechargelarevue.com/I-D-no-1124-Mon-poeme-est-un-pistolet-dans-la-bouche.html

    Retour de Gabriel Zimmermann à l’écriture, après plusieurs mois de silence. Premier poème depuis trois saisons, est-il encore précisé en ouverture à Plus loin que l’atelier, copieux ouvrage de plus de 160 pages, que nous proposent les éditions Tarabuste, désormais fidèles à ce poète après qu’il a eu imposé sa voix et son lyrisme avec Atlas de l’invisible, n° 179 de notre collection Polder.

    Passé cette coupure, Gabriel Zimmermann renoue avec la phrase ample qui le caractérise, éloquente et qui ne craint pas une certaine emphase, une solennité de l’expression dont le poète est bien conscient qu’elle tranche avec la poésie majoritairement pratiquée aujourd’hui, "bridée par le minimalisme", si bien que cette œuvre, en ces longs vers non mesurés mais bien rythmés, quasiment hugoliens qui ruissèlent sur la page avec son art de l’enjambement, paraît isolée parmi les archipels de la création poétique actuelle. À juste titre suggérera-t-on cependant une proximité avec l’œuvre de Jacques Darras, préfacier d’Atlas de l’invisible, faut-il rappeler et un des rares destinataires d’un poème du présent ouvrage.
    Sans doute est-il nécessaire au lecteur de faire un effort pour s’attacher durablement à cette langue de "rituel", dit l’auteur, - de rigueur, dirons-nous - qui ne concède aucune faiblesse que serait l’emploi d’un vocable familier ou une tournure de langage parlé. Bref, une manière de classicisme dont pourtant le lecteur serait bien avisé de ne pas se détourner par préjugés : sous la glace brûle le feu et il apparaît, à qui s’attarde, que ce langage qui se veut de maîtrise, maîtrise mal des pulsions insidieuses, un "goût de détruire", une "envie de saccage" qui lui vient, confesse-t-il, pour peu qu’il découvre "une cabane en forêt". Et encore : voit-il une rivière qui pour d’autres évoque des scènes heureuses,

    ...pour moi elle est l’homme qui emmène
    Dans le soir un garçon sur le sentier
    Où il ne sera vu de personne pour l’étouffer,
    Le ligoter avec une corde puis l’y jeter.

    L’écriture dès lors devient un combat que livre le poète avec des mots qu’il sait impuissants ("Écrire amour n’est pas l’amour/ Écrire fenêtre ne mène pas dehors") mais auquel il refuse de renoncer. Les mots de laideur, en particulier, le fascinent ("dans leur sonorité, entendez-vous comme ils ont une suave musique ?") et d’aucune manière, par on ne sait quel artifice d’écrivain, il se refuse à ensevelir notre finitude.

    Tu as des mots pour les fruits talés,
    La vache dans l’étable qui transpire du sang,
    Tu dis que les maisons se souviennent des cris,
    Que chaque blessure a le contour d’une main
    Et dans les yeux des poupées les enfants devinent
    Les débris futurs de leurs jouets.

    Poésie globalement inconfortable. Avec ici et là, un retour sur soi et un début d’autocritique : "Ce que je n’ai pas assez chanté, abordé, même nommer : aimer." Mais ce mouvement n’est pas dominant et la tonalité de Plus loin que l’atelier est davantage dans ces vers de fin de poème :

    Face aux chemins, aux gens qui n’enchantent plus,
    Le désir survit par un défi vers le néant
    Et ma réponse est un pistolet dans la bouche

    RépondreSupprimer
  2. https://www.dechargelarevue.com/Gabriel-Zimmermann-Deux-ecrits-d-atelier.html

    Dans la première approche, livrée dans la chronique précédente (I.D n° 1124), du livre de Gabriel Zimmermann, Plus loin que l’atelier (aux éditions Tarabuste), je me suis appuyé sur des fragments de vers. Or, la poésie de cet auteur ne prend toute sa dimension, toute sa vérité que dans le déploiement du poème. Je pallie aujourd’hui ce manque en reproduisant dans leur intégralité deux poèmes.

    Par la même occasion, je marquerai la sensible inflexion de la tonalité générale du livre, d’une poésie de la cruauté, que j’ai soulignée et d’où le premier poème est extrait, à davantage de bienveillance, une sorte d’apaisement, dans les pages ultimes, qu’illustrera le second. Dans l’un et l’autre, une thématique commune, qui court à travers tout l’ouvrage, celle de l’atelier, du travail du bois en particulier et que marquent les titres des trois chapitres qui constituent l’ouvrage : Une Saison de rabots, Ramassage des sciures, Plan pour une table à rallonges. "Les mots des poètes, écrit par ailleurs Gabriel Zimmermann, proviennent/ D’un artisanat sans matière".

    (p. 15)
    L’atelier est fermé, il suffirait d’ouvrir la porte
    Et l’air y entrerait comme le vent
    Ôte un peu de sa moiteur à la forêt.

    Debout et penché sur l’établi, un homme
    Perce une lanière avec une alène

    Cette bande de cuit où il fait un trou
    Ressemble à une chevelure qui se met à brûler

    À défaut de la précision de ses gestes
    De l’outil qu’il manie, de l’odeur de peau tannée
    Je vois la chair d’un animal criblé

    Dans la minutie d’un maroquinier
    Qui crante une ceinture mes yeux trouvent la mort

    *
    (p. 149)

    En franchissant l’entrée ils s’étreignent
    Devant eux s’étend le lieu qu’ils ont cherché
    Pour donner davantage à leur union

    Dans un sourire l’odeur de bois les rassemble
    Ici commence la matérialité d’une promesse

    Ils marchent la main dans l’autre et regardent
    Vers un homme de dos qui scient

    Le bois coupé fait un bruit de bercement,
    Ne pas voir son visage amplifie leur écoute
    Et l’interpeler casserait la musique
    De l’atelier où ils n’attendent
    Ni ne contemplent

    Après avoir sectionné la planche il se retourne
    Aperçoit un couple immobile, une audace
    Mêlée de pudeur les a amenés à lui
    Et de ce moment il se doit plus qu’eux à la parole

    Face à leur double silence il se hâte
    À leur demander quel meuble qu’ils voudraient
    De lui et leurs lèvres répondent
    Un berceau

    RépondreSupprimer
  3. Cher Gabriel,
    Décidément, cette maison d’édition me plaît de plus en plus ! Le papier, le livre. Que c’est agréable d’aborder l’écriture et la lecture d’un livre si exigeant !
    J’ai lu une première fois « Plus loin que l’atelier » en me laissant porter par tes poèmes si différents, complexes et d’une grande richesse. Certains, où je me disais : je dois le relire, je veux comprendre l'âme ou vers qui va ce poème. L’intérêt de cet ensemble, c’est une succession de textes attrapés dans plusieurs zones de ta vie et moi qui connais un peu ton œuvre de poète, j’ai assez vite retrouvé le frère, la sœur, le manque, la mort...si subtile et parfois presque obsessionnelle et la main de l’homme à travers le travail du bois !
    En deuxième lecture, car je pense qu’il faut creuser chaque partie, j’ai ressenti les odeurs de l’atelier à pousser la porte de la saison des rabots, le ramassage des sciures et le plan de table : trois univers.

    « Face au miroir/ l’âge ne s’effrite pas/ les cris ne heurtent plus/ dans les cicatrices de frère/[...] scandale de se voir vieillir. » Ce deuxième poème me touche profondément, il puise dans l’arbre que tu es toutes tes douleurs de ton paysage.

    « En écrivant, même la main desserre son profil d’araignée/ À un début de patience [...]/ Scander la phrase où se faufile un peu de mort. » Toujours la recherche et le questionnement du poème. Retrouver le souffle et dire le labour des bœufs, dans sa nature sobre et au milieu du champ sans horizon.

    « Plaquer la main sur nos yeux n’appauvrit pas/ Maintenant que nous avons vu le deuil [...]/ Une guêpe blanche/ » Quelle beauté dans ce poème où tu libères le handicap en fermant les paupières.

    Le manteau lourd, gorgé de pluie amène les odeurs de terre mais aussi de pourriture. Tu cherches le réconfort à rentrer pour goûter ce moment de jouissance à reprendre couleur de vie !

    Et cette veine que tu fixes à vouloir la nommer au plus juste du mot, gorgée du sang des hommes. Ce questionnement déjà ressenti à la lecture de Pascal Quignard sur les origines des nommés. J’aime !

    Viennent ensuite l’atelier et la transmission : le silence, le regard et le geste pour enseigner. C’est très beau : « Sa main est traversée d’un tremblement ».

    Tout le poème de la page 41 m’émeut : « J’ignore d’où provient ce que je crie ». Vient-il après les ombres de la mort, « sous les arbres où son fils a disparu » ? Est-ce un hasard de les avoir juxtaposés ? Le trouble me vient avec tant d’images d’enfance. Je me trompe peut-être…je ne sais que mon émotion, non feinte ! Faire état de chaque page, de souffrance et de réminiscence, pourrait faire recueil. J’ai retrouvé la soif et le sillon, la sève des mots comme tu le dis du bilan avec « ce que je n’ai pas assez chanté, abordé, même nommé : aimer. »

    RépondreSupprimer
  4. Passons au « Ramassage des sciures » : dès le début, je plonge dans l’univers que nous connaissons bien, la nature et le vivant, tout ce qui nous a touchés enfant ! TU es l’enfant, tu nommes le simple grillage, le terrain d’à côté, le bousier, le goulot et chaque blessure. J’aime « Et dans les yeux des poupées les enfants devinent les débris futurs de leurs jouets. »

    « Maintenant que s’affaissent nos paupières/ nous vieillissons ensemble/ et nos paroles se heurtent/ » : pas de regret, tu dis ce que nous sommes et vas plus loin en croyant au refleurissement après la dormance…

    Certains poèmes se lisent avec ta maîtrise du rythme, c’est ici que je me retrouve en grande émotion vers une lecture limpide, directe, ton écoute de l’autre, qui boite avec son trésor entre ses mains : ses chaussons. « Déjà se pressent une peine qui fera taire la mienne quand je tombai dans le champ d’orties » Magnifique !

    Tu ramasses ces sciures avec délicatesse. Oui, l’art naît de la fébrilité et avec le doute immense du créateur et du poète. L’homme au tablier apprend, transmet, c’est beau ce corps d’homme aux gestes sûrs tout en étant fébrile de son savoir.

    Tu attaques assez ? Comme nécessité…oui, avancer après avoir nommé me semble juste. Lacérer, piétiner n’est plus dans ton camp. Tu sors de terre la statuette et la pierre parle à nouveau. Ce poème nous rapproche de « Lapidaires ».

    Le maître, sa douceur à travailler le bois, te voilà frissonnant ! J’aime son atelier mais je n’oublie rien moi non plus. L’atelier veut dire arbre et revenir en forêt pose l’écorce et ses sillons dans l’épaisseur du temps. Nous nous retrouvons par le savoir, par le geste, par ce que nous savons décrypter : le vivant de peu. Tu retrouveras le bois dans ce morceau décroché dont les noms t’appartiennent !

    Une question que je me pose souvent : pourquoi tant d’effroi, de hurlements alors que tout devrait tendre vers ce fameux murmure en s’approchant du silence et de l’apaisement ? Les poèmes se suivent avec des parfums, l’odeur du bois nauséeuse et de très belles célébrations. Je relis les poèmes en boucle comme un seul poème, la maturité du bois, le séchage, la continuité de la planche et du futur plan à venir.

    « La pauvreté me réveille », superbe humilité jusqu’à oser « je me sens fruit inaccompli », ce poème est d’une vérité émouvante pour arriver à « une sociabilité dans sa houle de lumière », juste admettre l’histoire qui est la tienne !

    « Plan pour une table à rallonges » : ce titre pour le dernier opus m’attire, je sens qu’il y a quelque chose qui va rassembler et je ne crois pas avoir tort puisque d’un coup le « vous » arrive et je tourne les pages, sourire aux lèvres, sous la douceur des mots. Tu as bien travaillé « depuis la cendre », Nicolas est ton soleil. Tu as trouvé des réponses en continuant à regarder, sentir, écouter mille soleils. Tu n’as pas fini de naître, Gabriel ! Je t’accompagne !

    Je t’embrasse,
    Sophie Marie Van der Pas

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour Gabriel,
    J'ai lu "Une saison de rabots" et commencé le "Ramassage des sciures". Je vois que le talent est toujours là et qu'en bon artisan des mots, tu nous fais voyager dans tes ressentis et tes souvenirs. Les accroches des poésies sont souvent très belles : "À l'heure où nous ne voyons plus nos lèvres, /La nuit parait disperser l'intimité de chaque parole" ou encore "En entrant dans la forêt, l'obscurité/ Le recouvre et continue devant lui : / Le voici quelque part qu'il ne connaît pas."
    Le ton devient souvent grave, la vieillesse et la mort sont omniprésentes (je retrouve le poème sur Van Gogh), elles semblent te tarabuster.
    Le travail du bois jalonne tes poésies, ce n'est pas simple d'écrire, on se met à nu, les mots ne se laissent pas domestiquer si facilement, comme tu le dis pour l'ébéniste : "L'art naît de la fébrilité."
    Dans cette optique, pourrais-tu m'expliquer la guêpe blanche dont tu parles à la fin d'une de tes poésies ?
    Cela ne m'aurait pas déplu que tu donnes un titre à tes poésies, histoire de nous donner un petit éclairage, un avant-goût pour aiguiser notre curiosité mais peut-être ne voulais-tu pas trop dévoiler et nous laisser découvrir par nous-mêmes le cheminement (souvent complexe) de tes pensées.
    Merci pour ce voyage (encore inachevé) en poésie, je m'y suis laissé entraîner même si c'est souvent empreint de tristesse et de mélancolie.
    En repensant au titre de la première partie et vu le côté sombre d'une partie de ton œuvre, j'ai pensé à Rimbaud au lieu de "rabots" et pour moi me venait à l'esprit "Une saison en enfer". N'y vois pas de malice, nous savons tous que le temps est impitoyable : " Face au miroir je vois un front traversé par des ruisseaux."
    Amicalement,
    Stéphane

    RépondreSupprimer
  6. Par Mathias Lair, deux notes de lecture :
    (mathias.lair@wanadoo.fr)

    Cher Gabriel,
    Votre livre aussitôt reçu, j’ai vite parcouru les 50 premières pages, pour une première impression.
    Premier constat : on est dans la narration. Ce que j’essaie d’éviter en poésie.
    Je sais qu’il n’y a plus de genre en littérature : on est trans. De la même façon que, dans l’art contemporain, on se doit de transgresser : telle est la non-loi (!?)…D’où le nombre de proses découpées en lignes supposées être des vers que l’on voit fleurir ? J’y vois la marque du néolibéralisme et de son idéologie de la liberté absolue ennemie de toutes les limites, en sexualité comme en économie…et en littérature ? Pour moi, en poésie comme ailleurs, existe un combat entre diverses sensibilités : c’est là pour moi que se nicherait le combat politique en littérature plutôt que dans les déclarations d’intention. Mais je m’égare…
    D’autant plus que votre poésie réfère, plutôt qu’à une modernité, à la tradition bien établie d’une poésie qui raconte et qui s’était estompée depuis…le symbolisme ? En tous cas depuis le surréalisme.
    Second constat : votre poésie me fait penser ! (C’est chez moi une manie…)
    Pour éclairer mon propos, je vais partir d’une distinction entre le plaisir et la jouissance – le récit étant du côté du plaisir et la poésie de la jouissance. Quand on raconte, on est du côté du Moi de la psychanalyse, c’est-à-dire dans un compromis entre la pulsion et la réalité établie et normée. On se trouve donc dans un champ bien balisé socialement et littérairement. Le genre est alors bien identifié, il y a identité.
    La poésie serait pour moi du côté du surgissement du Ça, celui des psychanalystes. Elle fulgure, elle ne raconte pas. Le temps du racontage s’étale, on risque de sombrer dans le bavardage, la discussion de salon alors que l’illumination foudroie : la poésie est dans l’instant ; celui du vacillement du Moi. Toute épiphanie est de l’ordre de l’instant (comme dans le haïku ?) Le désordre mis dans le sens, son suspens (et donc l’obscurité) peut y contribuer.
    En poésie, ça jouit !
    Du moins, j’aimerais y parvenir quand j’écris…Ce pourquoi je nomme de plus en plus « proème » ce que j’écris, donc sans prétention…ou par aveu d’échec ? Je pourrais ajouter que pour les psychanalystes (je le fus), la jouissance est du côté de la mort, de l’anéantissement dans un grand Tout, heureusement son objet est à jamais perdu bien que toujours recherché. La poésie serait donc le supplice d’un désir voué à l’échec (d’où mon dégoût vis-à-vis des poètes autosatisfaits ? Manifestement vous ne l’êtes pas.)
    Personnellement, quand je lis, je cherche la jouissance. Quand je ne l’entrevois pas, je m’ennuie. Le registre du plaisir me lasse d’ignorer ce qui lui manque : l’excès de la jouissance.
    Pour s’en approcher, un des moyens réside dans la sensualité du texte. Une sensualité dans la forme. J’imagine un axe : à gauche, les sens que je résume par le terme de musique pure (soit le concret, le corporel) ; à droite, le sens, la signification (soit l’abstrait, l’esprit).
    La poésie penche à gauche : elle est musique des phonèmes, concrétude des mots employés et rythme, surtout le rythme : ça doit battre, pour moi comme dans le jazz. Le sens doit s’incarner, être dans le son (je ne pense pas aux performances).
    Un romancier illustre la belle alliance du sens et des sens : António Lobo Antunes. En voilà un, pour moi, qui parvient à tenir les deux bouts ! Il a d’ailleurs intitulé un de ses romans « poème » : N’entre pas si vite dans cette nuit noire.

    RépondreSupprimer
  7. Par Mathias Lair :
    (mathias.lair@wanadoo.fr)

    Je viens d’entendre, en écho, ce qu’avance Nietzsche (qui a illuminé mon adolescence) : les philosophes se fourvoient d’être spirituels, c’est-à-dire de chercher l’absolu d’une vérité au caractère métaphysique alors que c’est le physique qu’il faut chercher : ce qui, dans la vie, et d’abord la vie du corps, nous guide malgré nous, nous prodigue des illusions diverses (dont celle de la vérité). Sa décriée « volonté de puissance », c’est en fait la puissance de la sève qui s’élève dans l’arbre jusqu’à faire éclore les feuilles.
    Voilà pourquoi un poème doit pulser, débarrassé des oripeaux métaphysiques qui s’attachent encore trop à lui.
    Pour l’instant, je vois dans votre écriture une tentative de renouer avec, de reprendre, de poursuivre en notre temps la veine élégiaque des temps baroques. La musique baroque recèle une belle jouissance !
    Je ne sais pourquoi, le premier abord fut difficile, je n’ai jamais ou rarement rencontré une telle écriture. Je la trouvais « poétique » avec l’impression que vous avanciez masqué derrière des images, des métaphores. Alors, je suis retourné à votre première page et je me suis dit que je lisais un JOURNAL. Ce mot fut mon sésame : depuis, ma lecture coule de source, je n’attends plus qu’une suite d’instants, de sensations, de réflexions, de souvenirs et j’en trouve à foison !
    Sans doute que pour moi un livre de poésie n’est pas un recueil. J’y veux une thématique et une construction. C’est bien le cas de mes cailloux que vous avez lus alors que bien sûr en poésie tout est possible.
    Voilà pour mes tribulations de lecteur abordant un nouveau paysage où, surtout, et magnifiquement, vous nous donnez à sentir.
    Tout est là : dans le sentir. J’ai parfois supposé que nous avons, les uns et les autres, des capacités diverses, plus ou moins intenses, de sentir et ressentir. J’en déduis que chacun doit se constituer une carapace pour ne pas être envahi et emporté par les odeurs, les sons, les caresses que nous percevons : c’est une question de survie ! Nous devons nous confectionner une enveloppe pour ne pas être éparpillés dans le monde. Mais si le cuir est trop épais, nous devenons sourds et aveugles : insensibles.
    Proust était sans doute doué d’une sensibilité exceptionnelle.
    Vous nous faites bénéficier de la vôtre, merci !
    À votre propos me vient le mot : élégie, qui implique une douce légèreté – bien que triste. On y chanterait la perte, ce qui pour moi reste ambigu : comment et pourquoi chanter la douleur ? À moins d’être à la fois la victime et le bourreau ? On dit que le mot élégie renvoie au chant qui chez les Grecs accompagnait le sacrifice du bouc. Le poète en tant que bouc, ça me plait assez…

    RépondreSupprimer
  8. J'ai retrouvé avec plaisir dans Plus loin que l'atelier ton univers poétique très conscient de lui-même, l'exigence parfois altière de ton écriture qui, de rejet en enjambement, se tient et se retient avant de se laisser aller, soudain, à des constellations de métaphores qui fusent dans le ciel du poème comme des feux d'artifice ; ton écriture sans concession qui se concentre sur la matérialité de son objet comme le menuisier, le peintre ou l'ébéniste, mais avec l'ascèse que suppose la pénible distance entre les mots et les choses.

    Hier, Le Nouvel An, était allé au bout du hurlement jeté à la Mort à travers cette descente, au cœur des mots, jusqu'aux cercles les plus noirs ; aujourd'hui, comme après une énorme gueule de bois poétique, on a le sentiment que le poète revient à la vie, la très-quotidienne, avec, éparpillés autour de lui les lambeaux de ses luttes, de ses déchirements et de ses doutes. Plus loin que l'atelier sonne comme un moment de bilan ; il apparaît un peu comme l'inventaire de soi à la fois personnel et poétique d'un écrivain qui veut se délester d'un passé avant de partir en quête d'une voix nouvelle. La composition du recueil est assez spontanée ; les thèmes et les images, familiers au poète, surgissent au fil du recueil comme au détour d'un chemin que l'on suit en forêt : ici c'est une méditation sur la mort et les amours passées, là c'est l'enfance révolue, là encore c'est la figure du père, décidément centrale, qui apparaît ; et puis il y a ce désir de conjurer, semble-t-il, l'étrangeté du monde dont on est pourtant et qu'il faut toujours poétiquement prendre et reprendre comme le boulanger pétrit la pâte ; ce monde qu'il faut assumer, conquérir presque, au cœur des mots, des images et des rythmes, de peur, peut-être, qu'il ne dérive trop loin de nous.

    Dans le creux des poèmes, on entend jouer, en sourdine, du début à la fin du recueil, une basse continue métapoétique : le poète s'interroge sur son propre geste et sur la posture éthique qu'elle suppose face à un monde traversé par la contradiction. Plus loin que l'atelier est le travail qui précède une "mue du langage" qui finira par éclore à la fin du recueil où le vers s'élargit pour accueillir l'amour et le berceau, dans une sorte de dénouement où le poète jette la "cognée de l'élégie" et en appelle à plus de fantaisie, voire de gratitude. Mais en attendant, il convoque les avis de ses pairs, médite poétiquement leurs conseils poétiques, cherche un autre souffle pour éviter que sa bouche, à trop répéter "la part de cendre de l'enfance", ne soit qu'une "fosse/ Dans une fosse". Et c'est un renouveau poétique assez tendre qui point au bout du recueil, avec même un certain enthousiasme qui reste pourtant enraciné dans un ici-et-maintenant qui ne consent guère à plus de mystère, à plus d'invisible, que celui que le poète porte en lui. "Dieu ne viendra pas sur ses lèvres".

    Un mot sur cet impératif d'authenticité qui semble être une pierre d'angle de toute une poétique (si je puis dire) dans Plus loin que l'atelier. Il y a quelque chose de la confession dans ce recueil où il convient de se dire sincèrement, sans enflure, avec tout son poids d'invisible, de souffrance et de sang. Cette sincérité poétique rivée au réel donne une tournure parfois distante, cérébrale, au poème ; elle fait surgir (c'est selon) des mots nets ou crus, métaphoriques ou plus abstraits, pourvu qu'ils assurent la vérité d'une expérience vécue jusqu'au "ravin" ; et elle peut même, dis-tu, aller jusqu'à exiger une ascèse poétique qui se dissolve en-deçà du langage, en un "murmure" ou en un "cri". Il n'y a pas pour autant condamnation de l'émotion à proprement parler - par endroits elle jaillit, très simple, du rocher des mots, comme en un désert - mais on a le sentiment que le lyrisme est conçu pour être le fruit et non la source d'un aveu poétique qui ne peut se faire tant que le réel n'est pas épuisé.

    RépondreSupprimer
  9. On pourrait développer mais je voudrais terminer en évoquant le poème dialogué de L'Ensableuse, au début du recueil, qui m'a beaucoup intrigué. Le décor est mystérieux, nocturne ; l'espace s'étend entre la mer sans fin et cet arbre enraciné au bord d'une plage où l'Ensableuse, sans mot ni pleur, enterre un enfant mort. Deux voix poétiques, l'une jeune, l'autre plus sage, s'interrogent en donnant un tour dramatique à la scène. L'Ensableuse serait-elle la Poésie elle-même qui fait son œuvre de deuil face à la Mort aussi infranchissable qu'une mer ? En tout cas, les images du sable et de l'arbre sont topiques - il est d'ailleurs question du "sable du langage" à la fin du recueil ; et dans le tout dernier poème, empreint d'une liberté nouvelle, que glisse donc le poète dans son sac ? Le sable ramassé dans le désert avec les feuilles le branchage et les mousses de la forêt. C'est sans doute surinterpréter (tu me pardonneras !) mais je crois que ces deux symboles de la racine et du sable, de la forêt et du désert, de l'arbre et de la plage (l'un creuse le sol et l'autre se déploie avant de buter contre une mer où nul Passeur n'attend) résument assez bien ton écriture : on y trouve à la fois l'intransigeance idéaliste qui traverse la soif des déserts mais qui s'arrête au bord de l'Au-delà ; et l'enracinement concret, vivant et parfois luxuriant d'une écriture qui veut s'incarner dans le monde comme un arbre en sa terre - arbre toujours plus là à force de creuser, et qui d'hiver en printemps, finit toujours par refleurir.

    MAXENCE QUILLON

    RépondreSupprimer
  10. Comment supporter la frustration de ne vivre qu’une seule vie ? Comment satisfaire une curiosité insatiable ? Gabriel nous offre une solution sous la forme d’un recueil de poésies.
    « Les heures communautaires et ludiques,
    Accusées d’avoir prospéré sans nous,
    Comme en découvrant une cabane dans la forêt,
    L’envie vient de la saccager. »
    Ces quatre petites phrases propulsent l’esprit dans une autre vision du monde. L’altérité offerte est saisissante.
    Les tableaux dépeints sont délicats, et ils sonnent justes. La vraisemblance est criante et vous emporte. Gabriel vous mène, en temps voulu, au sens de ses scènes, jouant avec finesse d’un certain suspens. La chute, toujours percutante, fait l’effet d’une bombe. Très addictif ! Puis arrive la dernière page et, avec elle, le deuil du livre.
    Certains mots restent gravés en mémoire, et ces émotions, au départ étrangères, deviennent les miennes. Ma curiosité est nourrie, et je ressens un apaisement. Mille mercis, Gabriel

    RépondreSupprimer
  11. Publié en 2024 aux éditions Tarabuste, le nouveau livre de Gabriel Zimmermann a pour titre Plus loin que l’atelier. D’un bout à l’autre, dans tous les poèmes qui y figurent, apparaît et s’impose un locuteur éminemment présent, qui s’affirme comme tel, non seulement pour se décrire mais pour exister face à un lecteur qui s’inscrit textuellement en tant que personnage majeur, prêt à écouter et à intégrer la parole de celui qui parle. Nous découvrons fréquemment, en cours de lecture, des strophes ou des vers isolés qui contiennent des images multiples, précises et variées, de divers espaces et paysages en dehors de tout recours à une dénomination géographique mais le titre du livre se réfère essentiellement à « l’atelier » ou plutôt à un atelier qui nous renseigne sur un lieu identifiable pour n’importe quel lecteur. Implicitement, l’atelier évoque le visible et l’expression « plus loin que » complète l’image en suggérant l’existence d’une distance ou d’un déplacement, peut-être celle ou celui d’une ouverture, donc d’une nouveauté que confirment les titres des trois parties du livre : Une saison de rabots (p.7-53), Ramassage des sciures (p. 55-126), Plan pour une table à rallonges (p.127-159), corroborant l’existence de l’atelier qui peut renvoyer à une diversification ou à un désir de créativité et surtout à un enrichissement de la perspective (« rabots, sciures, rallonges »), c’est-à-dire à un travail sur le bois qui symboliserait fondamentalement l’avancée de l’écriture poétique.
    Cependant, de manière très claire, le locuteur se définit avant tout comme poète doté d’un corps et dont la bouche joue un rôle essentiel : « La bouche s’ouvre, un souffle s’en échappe avec un raclement ». Il fait allusion à ses lèvres où murmurent les mots tandis que le chant semble inaugurer un parcours inédit puis d’anciens mots réapparaissent. Le lecteur accède donc à un langage transparent mais le locuteur introduit ici ce qui va devenir l’axe central du livre, c’est-à-dire le fait que le poète vient de connaître une dure période de silence, à laquelle semble succéder un retour aux mots encore très fragile : « Après plusieurs mois de silence/ La voix recommence, et bien qu’elle soit ténue/ (Qui, à part nous, l’entend alentour ?)/ Parmi les résidus de sa nouvelle nativité/ Elle reprend d’anciens mots. »
    Il s’agit bien de poésie et d’un poète et les références au temps de silence sont deux fois mentionnées ; les trois derniers vers mettent en évidence le retour difficile dans le monde et la solitude sans recours du moi, à la fois fébrile et dépouillé : « Avec ce premier poème depuis trois saisons/ Je reviens en terre/ De fébrilité – nu parmi les siècles. »
    Le retour à l’écriture suppose d’abord la prise de conscience du passage destructeur des signes de vieillissement et de la présence latente de gestes et de situations vus de manière ponctuelle et parcellaire. Le locuteur apparaît alors comme pressé de parvenir à l’écriture et se reproche d’avoir trop libéré les mots et surtout le silence, ce qui témoigne d’un sens critique immédiat et strictement personnel : « Dans la hâte à jeter ici du langage/ Tant qu’une attente entre chaque syllabe/ Restera perceptible, une authenticité/ Manquera, j’aurai laissé trop respirer/ Le silence et faire saillir la poésie/ Se froissera en un défi que rien n’exauce. »
    Ici se succèdent des interrogations relatives à des comportements, à des choix qu’adoptent personnellement les poètes : la lenteur, apprendre à écouter le répit, en particulier la scansion de la phrase par une « pause » qui a sa part de négativité, avec l’irruption possible d’un danger pour les mots : « Où se faufile un peu de mort ? », surtout pour le dernier mot dans l’interrogation finale du poème.

    RépondreSupprimer
  12. Plusieurs strophes dont les vers commencent par « ou » permettent l’entrée d’histoires diverses, venues de toutes sortes de lieux ou bien d’actes violents qui désignent des malheurs et des morts. L’objectif est alors, pour le poète, de démythifier les langages habituels du monde, qui peuvent plaire musicalement alors qu’ils conduisent à l’horreur et à la mort : « Ou avalanche/ Ou coma/ Ou neurasthénie/ Dans leur sonorité, /Entendez-vous comme ils ont une suave musique/ Ces mots de laideur ? »
    Le poète est un homme entouré, questionné, qui accepte toutes les écoutes mais qui mentionne aussi ses rejets, son ennui lors de certaines lectures, d’où des références fréquentes mais durement ponctuelles, sans insistance, uniquement pour inscrire la mort ou le suicide. L’insignifiant est aussi mentionné et le poète a bien conscience de ne pas parvenir encore à l’amour dont il a parlé dans le passé : « Quand parlerai-je à nouveau d’amour ? »
    Le malheur des autres est souvent évoqué : ainsi, une femme a-t-elle perdu son fils ; cependant le moi poète affirme avec sobriété son ignorance de sa propre intériorité même si celle-ci est très intensément inscrite dans son langage : « J’ignore d’où provient ce que je crie. »
    À ce stade de la première partie de Plus loin que l’atelier, surgissent des personnes de la famille du poète, une femme aimée, tout simplement « elle », ce qui amène le locuteur à affirmer ponctuellement la prédominance reconnue de l’amour dans sa poésie, mais aussi pour dire que son écriture ne l’a pas suffisamment abordé : « Ce que je n’ai pas assez chanté, abordé, même nommé :/ Aimer. »
    Les expériences individuelles sont nombreuses mais ne consistent pas en récits détaillés jugés anecdotiques et inutiles du point de vue poétique. En revanche, le moi fait souvent allusion à ses propres limites en se prévalant de formes brèves et de phrases tronquées, après un ou plusieurs vers blancs. On citera deux exemples frappants : « Des larmes noires ont coulé sur mes joues/ Et j’ai admis ma bêtise » puis au dernier vers de la première partie « L’urgence à entreprendre la lessive/ De soi. »
    Intitulée Ramassage de sciures, la deuxième partie du livre contient initialement un très beau sonnet qui, lorsqu’on le lit pour la première fois, donne l’impression d’être composé de vers accentués sur la sixième syllabe de chacun des deux hémistiches. Cela est vrai de quelques cas mais, dans d’autres vers voisins, les hémistiches sont accentués sur la cinquième et la septième syllabes. Ce léger décalage permet au sonnet de transcrire à la fois amour et mort, entre positif et négatif, en associant indéfectiblement les termes de la négation pour concilier « eau » et « lumière », évoquer la beauté existante, « une forêt, un ruisseau » mais dans la dépossession.
    Ramassage des sciures implique qu’a eu lieu ou bien que s’est tenue une activité qui a laissé des traces accessibles, qui remet en question l’expression « loin de » mais qui, de fait, permet l’irruption de divers espaces, personnages et objets, tous liés au mouvement et nécessairement porteurs de signes négatifs que le poète a inscrits dans son texte. Des distiques alternent avec des sizains et leur dynamisme s’accentue. Cependant, le poète est plus que jamais conscient du contraste qui existait entre les gens du passé et ceux d’aujourd’hui. Il souligne la facilité avec laquelle la famille d’autrefois lisait et écrivait et il souligne les limites indéniables du discours alors adopté : « Les poètes lus par nos parents, par les parents/ De nos parents, dans leurs textes ils disaient/ Le cœur d’emblée : prévenir qu’ils s’apprêtaient/ Dans leurs prochains mots à dévoiler une part d’intime/ Aurait sonné comme une précaution glaciale. »
    Diverses parties des corps étaient certes notifiées : « Leurs sourcils, leurs ventres, leurs hanches » mais il n’y avait là que décalage, contact non réalisé : « Leurs nuques le pont qui ne brûle plus sous leurs langues/ Et il n’y avait d’amour qu’époustouflant. »

    RépondreSupprimer
  13. Quelle que soit la beauté d’un lieu, il ne suffit pas de s’arrêter à sa contemplation : il faut se libérer, porter un autre regard sur le visible pour parvenir à le nommer. Des personnes amies sont parfois évoquées ainsi que des membres de la famille ; chaque évocation devient l’objet d’une riche célébration imaginale ; ainsi peut-on découvrir ces deux taureaux qui apparaissent en Aubrac et dont le souvenir est celui de l’enfant de six ans qu’il était alors : une activité gestuelle a ici laissé des traces accessibles qui permettent l’irruption de l’expérience intérieure : « Pour transcrire l’œil de mes six ans/ Effroi est le premier mot, il redit mon arrêt/ Face à ces bestiaux sortis de leur enclos, pas d’outrance ».
    Peu à peu sont citées des personnes qui comptent pour le moi mais l’on constate que le locuteur est quelqu’un qui sait et affirme que celui qui s’exprime et raconte est d’abord un poète, d’où la fréquence et l’importance des mots liés à la poésie et à l’œuvre du poète : « Vous qui continuez de croire dans ma voix, écoutez ». Il parle des cheminements de son écriture, de sa phase révélatrice, se réfère à son travail qui inclut des interrogations suivies de recommencements du langage poétique.
    L’on parvient alors au titre de la troisième partie : Plan pour une table à rallonges. Le locuteur évoque ici sa pratique actuelle de la poésie, ce qui implique à la fois une confirmation intense du langage de la voix et la riche présence d’une intériorité complexe : « La voix d’aujourd’hui, la décantée/ N’a pas perdu sa gorge, elle possède même davantage/ De justesse par le contour net que prend/ Le dévoilement d’une intimité aride. »
    C’est dans les premiers vers de cette plus brève troisième partie que le poète va le plus loin possible dans l’inscription de sa démarche qui fait alterner le dynamisme d’une voix prête à se faire entendre et l’extrême rigueur autocritique de son écriture : il se sait et se dit conscient des erreurs qui accompagnent toute diction poétique. L’écriture et la lecture s’inscrivent dans la pluralité mais l’auteur exècre les redites et les artifices. Toutefois, le lecteur perçoit des images risquées, généralisantes que le public devra relire et commenter, étant donné la puissante simplicité du langage où l’adjectif inspire souvent une relative méfiance : « Je suis celui qui ne croit pas dans la mort/ Comme à la veillée de sa mère, son fils tend son bras et l’appelle, /Elle la gisante dont il a le visage. »

    RépondreSupprimer
  14. Les deux derniers poèmes du livre mettent en exergue la présence omniprésente du poète : leur présentation en fait des sommes poétiques où est assurée une forte unité du moi dans un double rôle : en effet, l’avant-dernier texte contient le langage que le poète adresse à tous ses lecteurs et le dernier est consacré à l’écrivain qui se met à marcher et fait allusion à son sac de voyage, qui est rempli d’objets. Il ne s’agit pas d’un portrait anecdotique : le moi, en effet, ôte les objets du sac pour que ne subsiste que ce qu’il appelle « l’invisible », ce qui n’a rien à voir avec l’énumération des choses visibles. Le poète reste voué à l’inconnu : c’est là une confirmation de la démarche amorcée dans ce livre : « Ceux-là, en plongeant le bras, un par un je les ôterai/ Pour ne laisser peser que l’invisible. »
    Le dernier mot du dernier vers aboutit à un adjectif substantivé qui ne désigne pas l’invisibilité lorsqu’elle est propre au langage de la foi : l’invisible est ici l’universel, le dématérialisé qui, cependant, a une forte présence, ce qu’annonce le verbe « peser » dont le sujet grammatical est « l’invisible ». La scansion du dernier vers est à rapprocher de celle d’autres vers de ce poème mais il s’agira surtout de repérer le façonnement des phrases dans les vers où le poète est aux prises avec le rythme de certains mots qui se doivent de devenir poésie. Un livre de poèmes tel que Plus loin que l’atelier met en valeur la permanente et fabuleuse inventivité langagière de Gabriel Zimmermann. Il s’agit d’un grand livre de poèmes dont on souhaite qu’il ait des lecteurs aussi nombreux qu’exigeants.
    Marie-Claire Osséja

    RépondreSupprimer
  15. Mon cher Gabriel,
    J’aurais tellement envie d’un cours, des explications très profondes et personnelles au sujet de ton écriture. Cela me passionnerait.
    Je serais ravie d’apprendre le sens de ce message « caché », de cette recherche esquissée. Je lis et j’analyse avec mes « pauvres atouts ».
    Comment parvenir à percer les profondeurs d’une aussi riche écriture ? Comment faire pour y parvenir ?
    Le mystère persiste, la beauté perdure.
    Et mes questions se multiplient tout au long de ma lecture.

    Carmen Correard

    RépondreSupprimer
  16. Cher Gabriel,

    Il ne reste qu'à lire quelques vers pour refermer "Plus loin que l'atelier". Sept semaines, un peu plus d'une période entière pour lire ce livre. Mais il n'est pas de ceux que l'on quitte facilement. Parce qu'il faut tout d'abord y entrer, ce qui a été plutôt agréable, dès le début, un beau papier, un bel objet. Ensuite, les premiers mots, les premières pages, un style inhabituel pour moi qui suis davantage une lectrice de romans. Mon mari s'en est étonné "tu lis de la poésie ?". Ça m'a amusée.
    Ton livre ne se lit pas dans un hall de gare ni dans un métro. J'ai eu besoin de prendre le temps, parfois rester longtemps sur une page pour écouter la musique des mots, dissonante souvent, un rythme déconcertant, inattendu. Le fil conducteur n'apparaît pas de façon évidente, sinon au travers de l'expression de la sensibilité, de l'écoute des sensations, des émotions qui sont ressenties par le narrateur, que je peux supposer être l'auteur.
    Ce que je partage est intuitif. J'ai beaucoup aimé ton livre. J'ai apprécié l'ambiance générale qui en émane. Parce que c'est la vie, avec ses vagues, des veines sur une planche de bois, des nœuds.
    Je vais terminer ma lecture ce soir et je vais éprouver un sentiment de solitude, comme chaque fois que je quitte un livre qui m'a fait du bien. Merci.

    Irène T

    RépondreSupprimer