« C’était
mieux avant » : voici la phrase la plus idiote. De toutes les
conneries que j’ai entendues, aucune ne résonne avec un tel éclat. Ne vous
étonnez pas, la bêtise a son flamboiement. Montaigne en a beaucoup parlé,
Molière s’en est amusé, Flaubert en a fait la charpente de toute son
œuvre : avec elle, les écrivains ont trouvé un filon inépuisable. Elle se
thésaurise mieux que de l’argent. Au fil du temps, les expressions idiotes se
chargent d’une espèce d’onctuosité rieuse, comme on revernit un vieux meuble.
Et parmi celles-ci, il y a le « c’était mieux avant ». D’ordinaire,
je ne traque pas la bêtise. Mes réflexions, mes goûts sont parfois risibles,
j’aime des choses que les gens qualifient d’indignes ou d’enfantines. Par
conséquent, je ne me sens pas le suprême juge de l’intelligence, à l’exception
de cette phrase qui me remplit de colère : « c’était mieux
avant ». Pas d’ineptie plus évidente. Que veulent dire ces quatre
mots ? Le passé serait donc meilleur que le présent ? Tout ce qui se
trouve derrière nous l’emporterait sur ce qui survient aujourd’hui ? Qui dit
cela ? Le plus souvent, les sexagénaires, les quinquagénaires, les
quadragénaires, c’est-à-dire ceux qui ont l’expérience de la vie. Ils parlent
avec regret de leur jeunesse. De leur temps, prétendent-ils, les valeurs
étaient respectées : les mariages duraient jusqu’à la mort, les enfants
respectaient leurs parents et les élèves craignaient leurs professeurs, les
jeunes filles s’habillaient décemment et les hommes tenaient la porte aux
femmes. De plus, les gens s’entraidaient, les voisins étaient aussi des amis et
on ne méprisait pas les vieillards. La vie était moins chère, on mangeait de la
viande fraîche. Que de nostalgie dans leurs souvenirs ! Que de tristesse
que les villes et les coutumes aient changé : « C’était le bon vieux
temps ». Les médecins étudient les gênes de l’être humain, peut-être que,
dans quelques années, ils découvriront le gêne de la nostalgie. Je doute que le
regret du passé soit inscrit dans notre corps car, en même temps que ceux qui
évoquent leur jeunesse comme un lointain âge d’or, il y en a qui ne regrettent
rien. Personne n’est condamné à débiter : « C’était mieux
avant ». Ce travers a toujours existé. L’homme est un animal qui déplore.
Tous les jours, j’entends dire que les enfants ne savent plus écrire, qu’ils
n’ont plus de respect pour leurs parents, qu’ils dorment longtemps, qu’ils
s’habillent mal. J’entends ce reproche partout, dans la bouche des femmes et
des hommes : qu’ils aient soixante-dix ou trente ans, ils estiment que la
société se délite, que la morale est en berne et que la violence s’accroît. Les
convaincre du contraire est une mission difficile, ils sont attelés à leurs
certitudes comme la mousse se fixe à la roche. Quoiqu’on leur dise, en dépit de
tous les contre exemples que vous leur apporterez, ils garderont leur
pessimisme :
-
C’était mieux avant.»
Il y
a quelques années, cette phrase me faisait sourire; aujourd’hui, elle
m’insupporte. Dès que quelqu’un m’exprime son regret du passé, je le contredis.
J’ai perdu toute patience à écouter des gens qui se lamentent sur l’évolution
du monde. Un jour, au printemps, alors que j’étais assis sur un banc, dans un
parc situé près de chez moi, un homme s’assoit à côté de moi. Il faisait dans
les quatre vingt ans. Ses cheveux étaient blancs, son visage large et vif, avec
des yeux qui s’étonnaient. Lorsqu’il me vit, une douce stupeur brilla dans son
regard puis il vint jusqu’à mon banc. On s’est salué puis il a commencé à
parler :
- Il
fait chaud, aujourd’hui.»
Je
lui ai souri et, aussitôt, il a évoqué les printemps de son enfance :
-
Quand j’avais votre âge, on avait de vraies saisons. Maintenant, le temps est
déréglé. En hiver, il ne neige plus. Et en juin, il tombe de ces pluies comme
il n’y en avait pas dans les pires mois de novembre ».
Il
s’est mis à regretter. Après les saisons, il a parlé des hommes :
- A
mon époque, on vivait tranquillement. Quand je sortais de chez moi, je laissais
la porte ouverte. Parfois, je partais pendant des heures et, quand je revenais,
rien n’avait disparu. Il n’y avait pas de voleurs. Aujourd’hui, on n’est plus
en sécurité.»
Ensuite,
ce fut l’enfance :
-
Nous, pendant la guerre, on a connu la faim qui brûle le ventre. La privation,
je sais ce que c’est. Les jeunes d’aujourd’hui se plaignent sans cesse, leurs
parents leur livrent tout sur un plateau d’argent. Ils ne savent plus la valeur
des choses. Mon petit-fils se comporte comme un enfant pourri gâté. Chaque
semaine, il réclame des nouveaux jouets. Sa chambre en est tellement remplie
qu’on ne peut pas marcher sans heurter quelque chose. Résultat, il ne joue avec
aucun. Moi, j’inventais des jeux. Un jour, sous des ruines, j’ai trouvé une
boîte de cirage. Je l’ai percée avec un canif et, dans le trou, j’ai glissé du
gros fil puis je l’ai noué et, comme ça, je pouvais faire rouler ma boîte. Je
me suis bien amusé avec, je l’emmenais partout. Ce fut ma première voiture.»
Son
récit m’a ému. Mais après avoir raconté son enfance, il est revenu sur les
enfants d’aujourd’hui :
-
Ils crient comme des singes. De chez moi, je les entends quand ils passent dans
la rue. J’habite au cinquième étage et, pourtant, leurs voix montent jusqu’ici.
Si leurs parents savaient les tenir, ça se passerait mieux. Mais aujourd’hui,
il n’y a plus d’autorité. La famille, l’école, la police, elles ont baissé les bras.»
C’est
à cet instant que j’ai perdu patience. Ses propos n’étaient pas faux mais ils
m’ont déplu. Surtout, ils m’ont paru étranges. Je lui ai demandé :
-
Regrettez-vous votre époque ? »
Il
m’a répondu :
-
Nous étions solidaires. Aujourd’hui, chacun vit pour soi.
-
Donc, vous étiez plus heureux quand il y avait la guerre ? »
Il
m’a regardé avec stupeur puis, dans un bredouillement :
-
Non, bien sûr ».
Puis
il s’est levé et s’en est allé, en me saluant d’un hochement de tête.
Cette
rencontre m’a troublé. Qu’on sache plus de choses à cinquante ans qu’à vingt,
rien de moins sûr. Méprisez ceux qui vous assènent : « C’était mieux
avant ». D’une part, parce que cet « avant » désigne tout et
rien, comme si le passé était une plaine infinie. De quel passé parlent-ils,
ces nostalgiques ? De 1960, 1950, 1940, 1930, 1920, 1910 ? Du
dix-neuvième siècle ? De l’époque de leurs arrière grands parents ?
Dans leurs bouches, « avant » n’est qu’une brume. Et d’autre part car
le «mieux » est aussi creux qu’un moule à gâteau. Qu’est-ce qui était
mieux ? La vie ? La mort ? Mourait-on mieux en 1931 ?
Aimait-on plus en 1937 ? Naissait-on mieux en 1898 ? Réfléchissait-on
davantage en 1979 ? Les traditions n’étaient pas les mêmes, voilà tout. De
la même façon qu’on change de vêtements selon les saisons, on vit à d’autres
rythmes, avec d’autres préférences et d’autres aversions. Mais les cœurs
n’étaient pas plus heureux.
ton blog ,il était mieux avant...
RépondreSupprimerque je ne commence à le lire !
non je plaisante
signé:l'anonyme masqué
Mais qui est cet anonyme?
RépondreSupprimerQu'il se dévoile, qu'il fasse tomber le masque!
En toute amicalité mystérieuse.
à ton tour tu plaisantes :
Supprimerécoute mes réflexions ,elles ont l'écho d'un masque qui tombe...
Tu m'amuses mais je pense t'avoir démasqué!
SupprimerA l'instant, je sens le vent de la Chine souffler sur moi. Est-ce que je me trompe?
Je suis en effet arrivé à pied de la chine ...Quel flair !
RépondreSupprimerAmis pouêts bonsoir
signé: anonyme masqué (indice :masque anti-odeurs)
Ah le bon vieux temps ...quand mes remarques t'amusaient.
RépondreSupprimerEt je fais quoi moi maintenant ?
Je parle du vide au vide ,quel bide...
Ah le coquin de bon vieux temps...
j'ai enfin pris le temps de découvrir ton blog. Merci.
RépondreSupprimerComme toi, je déteste les gens qui clament que le monde va a volo, qu'il n'y a plus de saison, que c'était mieux avant, qu'en leur temps...etc. Surtout, ne devenons pas de vieux cons mais peut-être que la littérature nous en préserve! Je n'ai pas encore tout lu - il me faut du temps - mais j'ai beaucoup aimé le tempo du poème intitulé "Dernière D." Marie
Merci beaucoup de ta réponse, chère Marie. Je sais que tu es une maman affairée et le fait que tu aies pris le temps de lire quelques textes me fait plaisir et me touche.
SupprimerEt promis, je m'efforce de faire mienne ton exigence, à savoir "ne pas devenir un vieux con"!
oups ! le monde va à vau l'eau et pas a volo!!! c'est bien ce que je disais: de notre temps, les jeunes savaient écrire,aujourd'hui, même les profs ne maîtrisent plus l'orthographe !
RépondreSupprimerne t'inquiète pas, tu es loin de devenir un vieux con, Gabriel !
Tes propos me rassurent!
SupprimerIl faudrait disserter des heures et des heures sur la fameuse orthographe. A l'instant, je ne peux m'empêcher de penser à Verlaine, dont les manuscrits ornant les murs du Procope sont truffés de fautes (confusions entre les infinitifs et les participes passés des verbes du premier groupe!).
En tout cas, je me réjouis de ta hauteur de vue. Peu de profs ont de la distance sur eux-mêmes...