dimanche 29 avril 2018

Le paradis ?


                                                                                           Pour Françoise Chevey
 
        Alberto Manguel a une bibliothèque d’au moins trente mille livres. Plutôt qu’une succession d’étagères où tant d’ouvrages seraient rangés dans une discipline d’alphabet et de chronologie (les auteurs classés de A à Z, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours), figurez-vous un musée capricieux, trop vaste pour être arpenté seul, trop confiné pour être découvert en groupe. Imaginez ces galeries où les murs ne se voient plus ; où nos yeux se blessent de lire tant de noms d’auteurs et de titres ; où l’inventivité des hommes crible plus qu’elle n’exalte ; où comme un essaim de papier, les œuvres du passé paraissent nous défier depuis l’à-peu-près d’éternité qu’elles ont gagné.

Ce lieu qui célèbre le savoir, la splendeur du langage, la richesse des sciences, la saveur du seul fruit que les hommes savent produire - écrire ; cet endroit qui devrait me sembler la maison des maisons, l’espace conjurant les oublis, il m’oppresse.

Depuis plusieurs années, chez moi, plutôt que d’agrandir ma bibliothèque, je la fais maigrir. Je suis Alberto Manguel à l’envers. Quand cette pulsion s’est-elle amorcée ? Pourrais-je la cocher d’une croix sur le calendrier de ma vie ? Elle ne coïncide pas avec un souvenir ayant ressurgi ni avec une rencontre rare ; elle ne s’enracine nulle part ; aucune philosophie ne l’a fait affleurer en moi. Je sais seulement qu’elle a grandi d’une année l’autre.

 Il y eut d’abord un je ne sais quoi de honteux dans cette envie. Retirer un livre d’une étagère, sortir dans la rue et le poser sur un banc, en le laissant à quiconque voudra le prendre : je me sentis galvaudeur, bousilleur à cette idée. Ces pages lues autrefois, mes mains ne les tourneraient plus ? Mes yeux qui s’y étaient plongés, ils ne voudraient pas, même une fois, les retrouver, comme on se repencherait sur un pan jouissif de son enfance ? De plus, mon père sacralisant la matérialité des livres, je songeais que je l’offenserais s’il me voyait abandonner un bouquin dans un parc ou ailleurs.

Puis le scrupule se dispersa. Ces recueils de poésies qui ne m’accompagnaient pas ; ces récits qui ne résonnaient pas ; ces romans dont je n’avais pas gardé un fétu de leur intrigue en moi, pourquoi continuer de les posséder ? Je m’en défis.

Dès que mes mains furent vides, je ressentis une sorte de ferveur mêlée de détachement. Il y a des livres inutiles, dont la lecture ne laisse rien en nous - moins qu’une brise sur le visage ou la trace d’un vieux chemin ; émotionnellement et intellectuellement rien, pour lesquels les incertitudes de la mémoire augureraient d’une chance. Même pas des trous - car un trou laisse un espace inoccupé et fait parfois venir le regret d’une absence.

Bien qu’enlever des livres de ma bibliothèque m’ait d’abord paru violent, quasi démagogue, négateur des arts et de l’imaginaire, j’entrevis le bienfait d’un tel acte. Ces textes inertes, prévisibles, d’une contemporanéité avide de plaire immédiatement et qui cinq, trois, deux, un an après les avoir lus, m’indifféreraient plus qu’un cageot trempé de pluie ; en les ôtant de mes étagères et en les séparant des livres qui avait éduqué mon cœur, ces livres séismes où je revenais avec faim et humilité,  comme on entrerait à petits pas dans un palais de feu ; ce geste qui quelques minutes auparavant m’avait semblé complaisant à faciliter l’inculture, devint une évidence ; j’avais trié.

Balayer les pages qui ne me méritaient pas ma mémoire : c’est une hygiène précieuse que j’amorçai. Depuis, elle s’est fortifiée et mes étagères s’allègent. L’espacement entre chaque livre grandit ; cette aération me réjouit. Elle fait remonter le souvenir du compilateur que j’ai été entre la moitié de mon adolescence et mes trente ans. Tout ce que j’avais lu, même de manichéen et dans un style pauvre, je l’avais conservé comme un superstitieux s’acharne à abriter, dans une corniche, l’amulette censée lui assurer une vie de discernement et de grandeur. Cette part d’autrefois me renvoie un Gabriel dans lequel je ne me retrouve plus, obstiné d’archiver à moins de vingt ans.

Aujourd’hui, il a disparu comme la brume dans une nuit froide ; et la seule vérité qui frappe en moi est dépouiller encore ma bibliothèque.  

Dès lors qu’elle enfle, celle-ci brise la liberté. Elle compile, compulse, amasse, accumule ; l’ambition de tout contenir ne l’a pas quittée. Les millions d’ouvrages qui la remplissent se tiennent dans un étau qu’elle ne desserre pas. Que pense-t-elle sur la mémoire ? Rien puisqu’elle est la mémoire, millénaire jusqu’à l’aveuglement. De la créativité, l’ardeur, l’ingéniosité, le courage, l’abnégation, la rancune ou la gloire, la poussivité, l’endurance à nuire, le zèle à injurier, la minutie à tramer ; de tout ce que les hommes ont vécu et raconté, elle rassemble leur témoignage comme un confesseur jetterait dans un sac les aveux qui lui ont été faits avant de les déposer sur le seuil d’une maison.

Elle regroupe les sonnets impulsés par l’amour, les cahiers d’astrophysiciens sur la force des vents de Neptune, les contes peuplés d’animaux qui discutent avec préciosité ; les biographies racontant le destin d’un mystique, d’un navigateur, du fondateur d’une ville, de l’inventeur d’un instrument de musique ; mais ces livres contenant tout ce qu’il peut y avoir d’élévateur, ils se mêlent à d’autres qui ne renferment que le pourri de nous : comptes-rendus de massacres, chroniques sur les infanticides commis au siècle d’avant, autobiographies dont la haine suinte à chaque ligne, tentatives de politiques eugénistes, carnets de guerres rédigés dans une prose épique ; opuscules racistes, théorisations sur la supériorité d’un peuple et l’infériorité de tous les autres ; puisque le pire est notre prérogative, il remplit les bibliothèques autant que les œuvres ambitionnant de nous amender ou du moins, de nous décrasser un peu.

Ces textes sans espoir ni bienveillance, que l’aigreur anime à l’amorce ou la fin de chaque phrase ; ces intimités de boue et de frustration, elles me sont si étrangères que je les refuse chez moi. Ce n’est pas une morale religieuse ou un précepte humaniste qui me pousse à les évacuer : au-delà de leur rancœur et des diverses xénophobies qu’elles déversent, elles sont indigentes. L’exécration étant une muse qui s’essouffle vite, à quoi bon s’en encombrer ? Et quel nom faudrait-il donner à cette déférence aveugle pour tout ce qui vient du passé ? Parce que Gobineau, Cuvier, Qutb, Rassinier, Céline ont vécu avant ma naissance, je devrais les considérer avec une espèce d’égard, comme les petits-enfants affichent pour leurs grands-parents un respect qui ne se discute pas ? Face à l’indignation, le temps s’amollirait comme de la tourbe ? Et la bêtise d’hier serait plus digeste que celle d’aujourd’hui ?

Ces livres gonflés de pus, Alberto Manguel les a-t-il accueillis dans sa bibliothèque ? Leur consacre-t-il un emplacement spécifique comme en médecine, les études de tératologie ? Ou les insère-t-ils parmi des auteurs qui, sans idéalisme ni soif d’amasser les faveurs de la foule, ont affirmé que les fiels de toute sorte sont des passions méprisables ?

Qu’elle soit millénaire ou de la veille, la laideur humaine se combat à l’identique ; et plutôt que de lui accorder, ne serait-ce que trois centimètres sur une étagère, je donnerai tout l’espace de ma bibliothèque à ce qui commémore la beauté et la prodigalité de nous.








28 commentaires:

  1. C’est un vécu dans lequel je me suis reconnue, aussi bien dans l’attitude vis-à-vis des livres que des auteurs. Il faut vivre l’instant présent et la lecture d’un livre, une fois terminée, appartient au passé. Donc s’en détacher est la bonne solution. Faire du vide, que ce soit chez soi ou dans sa tête laisse la place à l’arrivée de nouveaux livres, de nouvelles idées, de nouvelles expériences. Le vide attire le plein !
    Par contre, j’ai du mal avec mes auteurs chéris dont je suis tombée amoureuse et là, j’avoue ne pas avoir encore fait ce travail de détachement.

    Françoise Chevey

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  2. Sur ton blog, la plupart des textes sont très intéressants et tous remarquablement écrits.
    Pour ce qui est de la conservation des livres lus, depuis plusieurs années, je souhaite ne pas acheter ceux dont je sais que je ne les relirai pas ou je les revends chez Gibert.
    En revanche, je conserve et classe ceux dont je pourrai avoir besoin : documents, témoignages, archives, citations qui ont une dimension scientifique. Quant aux biographies et analyses contemporaines, elles ne méritent pas d’être conservées.
    Enfin, ridicules sont les gens qui font visiter leur bibliothèque et s’extasient sur la quantité de livres accumulés.

    Michel Denicé

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  3. Anaïs SANSON2 mai 2018 à 22:38

    Moi j'accumule les livres, qu'ils me plaisent ou non. Déjà parce que j'aime le livre en tant qu'objet, c'est pourquoi abandonner un livre où que se soit n'est pas quelque chose que je pourrais faire. J'estime que quelque soit le livre, quand je l'ai lu, qu'il provoque admiration, passion, haine ou aversion, il fait alors parti de mon histoire.
    Vous dites que vous vous séparez des livres qui contiennent autre chose que « la beauté et la prodigalité » de l'espèce humaine, qui êtes-vous pour en juger ?
    Parce que j'ai une formation en Histoire, ma tendance naturelle à tout conserver, archiver, ranger, à subit une augmentation monstrueuse. Parce que lorsqu'on voit avec mes yeux, chacun de ces livres sont importants, que se soit Céline, Hugo, Zola, ou Twilight et Harry Potter. Ils sont importants parce qu'ils sont le reflet d'une société à un instant précis de l'évolution. Donc d'un point de vue global ils sont essentiels parce qu'ils sont aussi les « sources », « archives », « outils », de l'évolution de la pensée humaine, comme vous le dites dans votre texte, une bibliothèque s'est une mémoire, je dirais même qu'elle contient à elle seule des mémoires, sur des échelles différentes. Que les idées de ces ouvrages soient opposées à vos convictions personnelles ou qu'ils n'aient aucun écho en vous, n'est pas, selon moi, une raison suffisante pour s'en séparer. La bibliothèque est une mémoire, c'est votre mémoire avant tout, mais c'est aussi le témoin de la société dans laquelle vous vivez. De ce qui l'a amenée là où elle en est à votre époque mais c'est aussi une part du chemin de ce qu'elle sera dans 20 ans, les ruptures en histoire, on y croit pas, tout n'est que causes et conséquences. Ces ouvrages sont la cause de votre réflexion, et cette conséquence alimentera d'autres discutions.
    Et si vous essayiez de voir ces ouvrages porteurs de haine et d'horreur comme des outils de réflexion, parce que c'est ce qu'ils provoquent en général, que l'on s'interroge sur le bien fondé des idées ou qu'on les condamne. Et ainsi, par cette réflexion sur vous même, sur la société dont ils représentent l'une des facettes ils font parti de vous, de votre histoire personnelle. S'en séparer c'est comme nier la part monstrueuse de l'humanité, si ces ouvrages existent, c'est que les idées ont plus (aujourd'hui et/ou autrefois) d'un partisan.
    Pensez aux pauvres historiens, ou étudiants en master, qui dans 100 ans (soyons optimistes), regarderont l'inventaire des biens de Gabriel Zimmermann, auteur et professeur, et qui n'auront alors qu'une visions biaisée de ce que vous étiez, des fragments qui composaient votre système de penser. Ne les obligez pas à s'arracher les cheveux sur des documents illisibles, ou à admettre qu'il manque des pièces du puzzle pour comprendre comment tel ou tel ouvrage écrit par vous est porteur et défenseur de telle ou telle idée.

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    1. Anaïs,

      Comment raconter la barbarie ? Comment étudier la cruauté du passé puis en rendre compte à ceux qui ne l’ont pas vécue ? Et si le silence mène à l’oubli, comment décrire la violence en occultant ceux qui l’ont perpétrée ? En te lisant, ces questions affluent, auxquelles je n’aurai pas de réponse mais des propositions de réflexions.
      En parlant d’un tyran, d’un assassin récidiviste, d’un violeur, nous leur offrons une lisibilité dont ils se repaissent : le taré norvégien qui a tué soixante-dix-sept personnes l’été 2011, après son arrestation, en se voyant à la télévision, il s’en délectait ; il en va de même pour les terroristes qui se targuent d’avoir leur photo à la une d’un journal, comme si une notoriété de massacre et de sang se teintait d’un prestige, aussi mortifère soit-elle. Une sorte de publicité hérissée les motive à tuer ; or, en montrant leurs visages et en les nommant, nous agissons comme ils le souhaitent ; qu’importe, pour eux, qu’ils nous effraient ou nous indignent puisqu’ils se sentiront promus dès la seconde où ils seront mentionnés dans les médias. Si j’étais historien, plutôt que d’écrire leur biographie, je me consacrerais à leurs victimes, comme sur les places de villages, les monuments aux morts commémorent, d’un patronyme gravé dans la pierre, ceux qui ne sont pas revenus de la guerre.
      Le terme de « Mal » ne signifie pas grand-chose ; en littérature, tant qu’il est fictif, il a sa place dans ma bibliothèque. En revanche, je ne peux pas garder chez moi un essai ou une étude sur un despote, un serial killer, un fait divers meurtrier. Il n’y a là aucune incitation à l’endormissement de la mémoire ou une indulgence face à la bestialité mais une incapacité personnelle à cohabiter avec ce que les hommes peuvent de pire.

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  4. Beau texte qui m'a permis de revenir sur cette envie toujours inassouvie d'avoir une bibliothèque épurée, parfaite et belle.
    J'ai cédé à cette tentation.
    J'en suis revenu. Ce désir n'est jamais parfaitement atteint.
    Il reste toujours un livre, une brochure, un recueil qui comparativement aux autres livres, recueils et brochures est imperceptiblement
    moins parfait. Il reste toujours un livre qui ne fait pas écho à un moment extraordinaire de découverte, de plaisir.
    Une bibliothèque est par essence une collection de souvenirs.
    Les souvenirs s'estompent et s'érodent avec le temps.
    Une bibliothèque épurée et belle est donc une bibliothèque de l'instant, un oxymore.
    Gilles

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    1. Cher Gilles,

      Comment dissocier une bibliothèque du foisonnement ? Contenant des centaines, des milliers, voire des millions de textes, c’est la quantité qui la constitue, la diversité et la spécificité de ses ouvrages, de même qu’une forêt commence quand ses arbres deviennent innombrables. Mais cette abondance n’a rien de rassurant ; à l’instant, mes années étudiantes me reviennent, je repense aux après-midis que je passais à la bibliothèque Sainte-Geneviève. En arpentant ses allées, j’apercevais un titre qui m’intéressait puis à droite, sur la même étagère, un autre puis au-dessus, à gauche, un autre ; tant de livres qui attisaient ma curiosité et me donnaient envie, non seulement de les saisir et de les feuilleter mais d’en assimiler immédiatement le contenu, sans être entravé par le temps besogneux de la lecture ; autrement dit, de comprendre puis mémoriser cinq cents pages en quelques secondes, comme on gobe un œuf.
      Face à tant de propositions, c’est l’impuissance qui montait en moi ; et je serais déshonnête si je te disais qu’une émotion semblable à celle de Borges m’envahissait ; lui qui entrevoit le paradis comme un temple infini de volumes, je me sentais devant la fourmilière accablante du savoir, d’abord pris d’une sorte de fébrilité culturelle avant d’être ramené au banal constat des mortels que nous sommes : « Oui, je saurai toujours très peu. » Or, parce que les maisons des Yanomamis me passionnent, l’écriture rongo rongo de l’île de Pâques, les rites funéraires des Étrusques, les traditions méconnues de France comme la préparation de l’omelette géante à Bessières, le vocabulaire de la coutellerie, etc, je voudrais engranger des connaissances vite et avec une aisance me laissant croire, même brièvement, qu’il est possible d’apprendre à peu près tout.
      Cette lubie naïve s’éclipse dès que j’entre dans une bibliothèque. Aussitôt là-dedans, me voici submergé par mes lacunes en géographie, ornithologie, mes béances en botanique et dans certains époques d’histoire.
      Ainsi, chez moi, je me suis bâti un écrin où seuls les textes qui m’ont commotionné gardent leur place. Faire le deuil de la profusion m'a guidé vers une certaine insouciance…

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  5. Je ne saurais me sentir plus éloignée de cette démarche. Pourtant je n'ai pas acheté un livre depuis des lustres. Mais ceux qui peuplent mon univers me sont si chers que je ne peux envisager un instant de m'en séparer. Je ne les possède pas, pas du tout. Ils m'accompagnent. Ils m'ont suivie partout, à chaque déménagement, dans chaque nouvelle aventure. Du plus loin qu'il m'en souvienne. Ils ont toujours habité (et habillé) les murs qui m'accueillaient, même quand je n'étais pas vraiment chez moi. La plupart je les ai dénichés pendant mes années de collège et de lycée, dans ce dépôt-vente merveilleux derrière le bahut où nous passions des heures mon amie Rozenn et moi. Je ne pourrai jamais me passer de leur présence, de ce qu'ils représentent, de ce qu'ils convoquent d'émotions et de souvenirs à chaque fois que mon regard se pose sur eux. Je peux pratiquement me rappeler de leur histoire à tous.
    Et puis surtout je n'oublie pas que je me suis construite grâce à la bibliothèque de ma mère, cet espace inouï, presque infini, où j'ai puisé pendant ma prime adolescence tous les ouvrages auxquels je n'avais pas accès à la bibliothèque municipale ou au CDI. Je me souviens encore l'exaltation qui me prenait quand je partais en exploration. Une bibliothèque profonde, avec plusieurs niveaux de livres. Découvrir Marie Cardinal, Le "Journal à quatre mains" des soeurs Groult, etc.
    Et puis il y a les livres de la maîtrise, ceux du DEA, ceux de la thèse. Ces livres choisis, élus amoureusement, ces livres travaillés au corps, au creux desquels j'ai lutté, pleuré, exulté. Ils portent les stigmates de ces années passées en leur exclusive compagnie, ils font partie de moi.
    Aujourd'hui que mes enfants (surtout les deux grands) commencent à être en âge de choisir, je veux pouvoir leur offrir ce trésor infini, à disposition nuit et jour, sans limite, sans contrainte.
    Bon tout cela n'a pas grand intérêt mais j'avais envie d'écrire... ;-)
    Claire

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    1. Bonjour Claire,

      Ton texte est une anamnèse. Tu y racontes le lien qui t’unit à certains livres, un lien où se tissent la ferveur de la curiosité, le plaisir de la découverte, la mémoire de ton enfance, de ta mère, ton amie puis celle de tes études. Ce faisceau de souvenirs, d’émotions et de sensations se rattache à des lieux que tu as arpentés, que tes yeux ont contemplés, que tes mains ont touchés mais dans ces quelques lignes, l’aventure intime que tu nous dévoiles est en toi, détachée de toute matérialité. D’ailleurs, moi qui te lis, je préfère t’imaginer en train de parcourir ces œuvres plutôt que d’en effleurer la page de couverture ou d’en sentir le papier.
      Tes propos me font penser que, parallèlement aux bibliothèques qui ont marqué ta vie, tu t’es construit une bibliothèque intérieure ; moins confortable car elle conduit à une espèce de dénuement mais moins contraignante que des planches ployant sous le poids de manuels, dictionnaires, romans ou biographies ; et surtout plus libre, tellement plus libre…

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  6. 1) Du bon usage de la bibliothèque.
    Quel plaisir, quand on lit ou entend dans une émission radio ou télé une allusion à un livre, que de se précipiter pour se replonger dans le livre, quitte d’ailleurs à être déçu !…Cette réaction habituelle, je crois que je la tiens de mon père.

    2) La sacralisation du livre.
    J’avoue que le jour où ma fille bibliothécaire, Isabelle, m’a dit qu’elle n’avait aucun scrupule à jeter un livre, j’ai été choqué. On admire -et on envie- les « intellectuels » qui se font photographier dans leur bureau aux murs tapissés de livres jusqu’au plafond. Alors, peut-on, doit-on « dégraisser » (le mot n’est pas beau) la bibliothèque, au risque d’éprouver des remords à propos de certaines pertes (cela m’est arrivé) ? Si l’on tient vraiment à relire, nombre d’ouvrages sont réédités à des prix raisonnables et on peut les racheter. Curieusement, notre société mercantile s’oriente vers l’absence de possession : si on a envie de quoi que ce soit, il suffit d’un « clic » et on l’a presque immédiatement ; alors pourquoi s’embarrasser ?

    3) Le primat de la lecture.
    Répéter que la lecture est bonne en soi et opposer systématiquement le livre aux écrans n’est évidemment pas pertinent, même si généralement la lecture « élève » et ne suscite pas la honte que l’on peut éprouver après avoir regardé certaines émissions de télévision.
    Il y a évidemment des livres inutiles, voire nuisibles. Il n’est pas question, bien sûr, d’« enfer » de la BN, ni d’« index » de l’Eglise ou de condamnation du « bovarysme » !
    Peut-être n’est-il pas mauvais après tout que des livres secouent nos certitudes, mettent même en question nos valeurs.
    Abandonner un livre sur un banc ou dans le métro (ou dans ces caisses offertes un peu partout, dans les centres sociaux), est-ce pour s’en débarrasser, en pensant avec condescendance à celui qui se repaîtra de ce livre médiocre ou vraiment par désir de faire partager ce qui a constitué un moment important de notre vie ?

    Lire, c’est comme recharger ses accus pour repartir…

    René

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    1. Cher René,

      Merci pour ce texte, où se mêlent des confidences émouvantes et des considérations philosophiques.
      Déposer un livre dans la rue est une invitation faite avec ferveur. Un je ne sais quoi d’espiègle, de complice et d’érudit préside à cet acte. Ce roman dont je me défais, ce manuel d’allemand, ce guide sur la cinquième république, ils plairont peut-être à quelqu’un d’autre. Les jeter à la poubelle serait plus rapide ; par conséquent, en marchant dans Paris et en cherchant un banc isolé, sans fiente de pigeon ni papier journal, j’essaie d’amorcer avec celle ou celui qui les récupérera une sorte d’affinité culturelle, à la manière d’un semeur.
      Sur son champ, que fait celui-ci ? D’un geste ample et doux il lance des graines, convaincu que la terre les accueillera, les nourrira et les fera fleurir. Son travail, si le doute ou l’anxiété retenait son bras, s’abolirait aussitôt ; ainsi, plutôt que d’être hanté par l’abondance de la récolte passée, bien que la pluie puisse se faire rare ou qu’une crue déferle, il mise sur la prochaine fécondité de la nature. Son enthousiasme contredit les scrupules de l’archiviste : le premier consent à une aventure tandis que le second enclot le réel. À l’évasement de l’un s’oppose la contraction de l’autre.
      De là l’impératif d’un choix, que je trouve rassérénant. Tout garder trahit une inaptitude au dépouillement, voire la crainte de déplorer, quelques années plus tard, d’avoir donné un livre ; surtout, cela empêche d’édifier la bibliothèque de sa tête, où résonnent les textes qui nous ont éblouis et élevés.
      Enfin, pour revenir sur ton premier paragraphe, si le souvenir d’une lecture s’altère jusqu’à devenir approximatif, pourquoi s’y replonger ? N’est-ce pas une façon de réfuter le voyage de notre mémoire, en s’appropriant un texte de façon parcellaire - et pourquoi pas, inexacte ?
      Quoi de plus désenchanteur que de savoir qu’à quelques pas d’ici, dans une pièce de la maison, j’ai la possibilité permanente de retourner à une fiction plutôt que de la laisser cheminer en moi ? Aurai-je encore du plaisir à tenter la récitation d’un poème appris autrefois s’il se trouve sur l’étagère la plus proche de mon lit ?
      Il s’agit donc d’accueillir l’onctueuse nécessité du mystère. Par exemple, sur le peintre Giorgione, nous savons peu, tant sur sa vie que sur ses toiles ; les spécialistes de son œuvre se divisent entre oligogiorgionistes et pangiorgionistes, les uns lui attribuant une dizaine de tableaux, les autres à peu près cinquante. Différence radicale de comptabilisation qui déplaira à ceux avides de savoir qui est le vrai Giorgione alors qu’allumant la flamme capricieuse d’une énigme, elle m’enchante…

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  7. En me faisant lire "Le paradis?", vous frappez à la bonne porte. Combien de fois me suis-je demandé quel sens y avait-il à garder tous ces livres, entassés les uns sur les autres, pêle-mêle, dont certains parfois même jusqu'au titre ne m'évoquent plus rien. À bien y réfléchir, ça n'a pas de sens. Rien de raisonnable. Peut-être tout simplement de la superstition. Jeter un livre, s'en détacher. C'est péché ! Et cependant je sais qu'un jour ou l'autre, qui ne saurait tarder, je ferai ce tri dont vous parlez. Et en cela "Le Paradis?" est venu m'interpeller. Sa lecture m'a permis d'aller vagabonder du côté des souvenirs d'enfance et d'adolescence. Quel est ce rapport que j'entretiens à l'objet livre? Que veux-je donner à voir? De quoi cela me protège t-il?
    Et de cela je ne peux que vous remercier mais également vous féliciter. Au fil des mots jetés sur le papier l'écrivain tisse une toile. Encore faut-il que le lecteur s'y laisse prendre. En ce qui me concerne c'est mission accomplie.
    Peut-être suis-je dans l'erreur mais j'ai l'impression que l'écriture de "Le paradis?" diffère de vos autres textes (hors poésie). Quelque chose de plus direct qu'il m'est difficile de qualifier. La seule réserve que j'aurai, mais elle est peut-être infondée, concerne un "changement de registre" (du moins ressenti comme tel). Impression que le texte débute sur une aventure singulière "Alberto Manguel, vous, les livres". Une histoire va nous être contée. Et au fil des paragraphes, la dimension romanesque qui s'ébauche laisse la place à des considérations, au demeurant que je trouve très pertinentes et intéressantes, mais qui m'ont fait dire "cela pourrait figurer dans un éditorial, une critique...".
    Plusieurs phrases sont remarquables : la présence dans un écrit de phrases dont la musicalité conjuguée à la force du propos arrête le lecteur, le sidère en quelque sorte et ne lui permet de reprendre sa lecture qu'une fois celle-ci apprise par cœur est pour moi un critère majeur d'appréciation. "Qu'elle soit millénaire ou de la veille la laideur humaine se combat à l'identique" Respect !
    La "réserve" (tout relative) qui est la mienne est sans doute de l'ordre de la frustration. J'ai le sentiment que vous avez là un gisement formidable pour embarquer le lecteur dans une aventure romanesque et peut-être fantastique, dans laquelle vous pourriez prendre le temps de distiller vos considérations sur ces lectures toxiques, ce rapport au monde intellectuel, au respect des choses du passé, aux livres, au don.
    Pour terminer, j'ai l'impression que sans doute tout autant travaillé, ce texte est plus relâché, plus libéré que ceux que j'ai pu lire auparavant. Plus relâché dans la mesure où il autorise le lecteur à s'en emparer avec ce qu'il est et là où il en est.

    Jean-Marc AUGUIN

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  8. Cher Gabriel,
    Bonjour,
    J’ai lu votre texte d’une belle qualité de langue!
    Et curieusement il ne me conduit pas vers une étagère de bibliothèque mais vers l’annonce d’une publication en ligne, celle de La Bibliothèque, la nuit d’Alberto Manguel.
    Comment je reçois votre texte:
    Selon moi, il ne manifeste pas la destruction du temple du livre, la bibliothèque, mais l’abolition d’un ordre de penser la mémoire qui thésaurise les écrits, les époques, les cultures, les Histoires, les littératures comme valeur refuge du bien pensant. Une sorte de désacralisation de la compilation étouffante qui aliène plus qu’elle ne libère.
    Il ne s’agit pas de renoncer à la lecture, j’y vois surtout l’envie d’en finir avec un comportement ou une obsession, celle de posséder des livres dont la présence est encombrante plus qu’elle n’est essentielle.
    Comment transmettre la culture?
    Vous invitez à la vivre, à s’affranchir de l’ordre imposé ou que l’on se serait imposé à soi. Il s’agit d’une dépossession matérielle et d’un désir de construire ses propres livres, d’aérer sa mémoire. D’être un être libre, travaillé par l’humain et l’émotion du vivre ensemble.
    Dans cette dépossession des livres, il y a, sans doute, l’envie de ne plus s’entretenir avec des morts qui gisent sur les étagères. Pas de réponse en retour ! Et vous semblez vous tourner vers une autre ordonnance, celle de tourner les pages de l’insaisissable.
    Votre bibliothèque est invisible, imprévisible, mouvante et émouvante : écriture créative, celle du poète, Gabriel !

    Amitiés.
    Françoise d’Avila

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  9. Salut Gabriel,

    J'ai lu ton billet et comme promis, je te fais part de mes impressions. Je retrouve toujours dans tes articles ton style minéral, tranchant, où le feu prédomine (palais de feu) et pourtant, en même temps, ce je ne sais quoi de posé et de ample propre à la méditation et au questionnement. Le billet coule de source, même s'il manque peut-être un peu d'unité, à mes yeux. Tu parles des livres, ou plutôt de cette accumulation de livres que les jeunes esprits avides entassent en eux et chez eux. Et, ce faisant, ils les possèdent et n'en sont pas possédés. Et je suis d'accord avec toi pour dire qu'il y a quelque chose, dans cette démarche, de l'ordre de l'avarice intellectuelle de celui qui accumule et enferme. Ils courent après le savoir mais la sagesse ? Cela me fait penser à une phrase de Gustave Thibon ; de mémoire il disait qu'il n'est pas important de lire beaucoup de livres, mais de les lire en profondeur. Et puis, au-delà de l'avarice intellectuelle, il y a sans doute quelque chose de mondain, de spectaculaire, et de prétentieux à exhiber ainsi son savoir et ses livres - quand bien même nous serions à nous-mêmes nos seuls admirateurs. Le livre est une invitation à se saisir du monde, à créer un lien entre mon espace intérieur et celui de ma vie ; et non pas, au contraire, un espace littéraire que je veux archiver dans ma mémoire. Le livre n'est pas le témoin mort - la stèle - de ma culture qui ô combien perd sa vitalité - et son intérêt - si elle n'entend plus la voix de mon désir. Le processus de maturité intellectuelle passe par le dépouillement, par une nuit obscure comme disent les mystiques, où l'âme doit, petit à petit, larguer ses amarres et éprouver ses affections. Alors, on choisit les livres qu'on garde, et ceux qu'on laisse. J'ai connu également ce mouvement. Et comment choisir ? Je suis d'accord avec toi que les vrais livres sont, pour nous, ceux qui ont donné naissance à l'âme une nourriture vraie - autrement dit ceux qui ont eu une résonance et une fécondité en soi ou encore un prolongement vivant dans le monde. Et les autres livres ? Tu sembles dire qu'il y a les livres superficiels, répondant à la mode du moment ; ou encore les livres pourris parce qu'ils propagent des idées immorales bien que tu te défendes de les juger selon des critères moraux et qu'à tes yeux, leur indigence suffise pour les condamner. Et tu conclus, je crois, en disant qu'exiler les "mauvais" livres et leur fiel de ta bibliothèque est ta façon de les "combattre". Et c'est là que mon point de vue diverge un peu du tien. Car un grand roman est d'abord celui, me semble-t-il, qui raconte la réalité humaine, dans toute sa beauté, sa laideur, sa cruauté - dans tout son paradoxe. Et parfois, de grands livres exposent des gens atroces et des idées haineuses. Si l'homme n'est pas totalement mauvais, le mal habite en lui. Et si le roman cesse d'être la voie par où le mal peut se dire, qui, à sa place, pourra le faire ? Je m'éloigne bien sûr un peu de ton texte mais j'ai le sentiment que même le mal doit être dit pourvu que le génie qui l'exprime soit à sa hauteur - ou à sa profondeur. Céline ? Car le mal est toujours l'envers d'un bien qui manque et la pire grimace, la désespérance la plus haineuse désigne, appelle, en son envers, un bien d'autant plus grand que sa laideur est vile.

    Voici mes quelques réflexions.

    Maxence QUILLON

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  10. Cher Gabriel,
    Je viens de lire ton billet et constate qu'il suscite de nombreuses réactions, réflexions et sentiments.
    J'ai moi aussi eu de nombreux livres à tel point qu'une seule pièce pouvait leur être destinée.
    J'ai eu beaucoup de livres car j'ai suivi de longues études de lettres, comme tu le sais. Victor Hugo côtoyait Suétone, qui lui-même côtoyait Eschyle. Nathalie Sarraute, Emile Zola, mais aussi Henri Troyat, Molière, Douglas Kennedy, Stefan Zweig et bien d'autres. Puis sont venus les livres de Tahar Ben Jelloun, Khatibi, Driss Chraïbi.
    Les livres, MES livres n'ont jamais eu une valeur de faire-valoir ni une exposition intellectuelle. C'est un rapport viscéral que j'ai entretenu avec eux.
    Les visages des écrivains apparaissaient, et les couvertures reprenaient les peintures extraordinaires des artistes qu'ils soient contemporains, modernes, ou appartement à la Renaissance: Le "Horla" de Maupassant avait pour couverture "Le désespéré" de Courbet ou le "Cri" de Munch... toutes ces caractéristiques attisaient ma curiosité.
    J'ai eu pour chacun de mes livres une histoire authentique axée sur l'émotion, la réflexion, l'ouverture vers un autre monde, un départ terrestre vers un univers parfois solaire, parfois lunaire, des étoiles pleins le coeur. M'identifiant soit au héros, soit à l'anti-héros, vivant au gré des histoires en Amazonie, à la cour des miracles, ou dans la chambre d'un angoissé.
    J'ai lu, vécu mille et une vies grâce aux livres. Ils m'ont profondément nourrie.
    Puis, j'ai déménagé. J'ai pris avec moi des cartons et des cartons pour mettre tous mes livres. Il était hors de question que je m'en sépare car ils faisaient parti de moi.
    En en faisant l'inventaire, je me suis rendue compte que j'avais certains livres en deux voire trois exemplaires. Et j'ai senti que je commençais à m'alourdir. Tout était trop. Trop de livres, trop d'histoires... Je devais m'en débarrasser.... J'étais à un tournant de ma vie, je passais à autre chose.
    On se délaisse de livres quand ils nous ont suffisamment nourris. Qu'en ai-je fait de tous ces livres ? J'en ai donné une grande partie à une de mes soeurs qui elle-même en a mis certains en vente lors d'un vide-grenier.
    Depuis, j'en achète quelques uns et quand je n'en ai plus besoin, je les donne à la médiathèque de ma commune.
    Et puis surtout, depuis je les emprunte car cette médiathèque a souvent les dernières parutions. Je les lis, je demande parfois d'allonger le prêt pour prendre le temps de saisir toutes les particularités des histoires.

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  11. Les donner à la bibliothèque permet d'offrir une deuxième, une troisième, une millième vie aux livres....
    Quant au bons, ou mauvais livres? Selon la période, l'âge, notre vision du monde ou notre façon de vivre au moment de les lire influencent peut-être notre façon de les recevoir.
    Le style et la narration de l'auteur comptent pour beaucoup également.
    Les romans que je n'aime pas sont ceux qui appartiennent au courant littéraire du Nouveau Roman. Je pouvais jeter le livre car je n'adhérais pas du tout à ce type de littérature.
    Quoi qu'il en soit, Umberto Eco disait "quand on lit, on devient autre". C'est certainement vrai, lui, l'auteur du roman Le Nom de La Rose, dans lequel Aristophane, auteur de comédies grecques est à l'origine de meurtres en série de moines à l'époque médiéval en Italie...
    Ceci dit, j'en ai gardé une bonne centaine: les classiques et ceux qui m'ont profondément touchée. D'autres sont venus les remplacer, les livres sur l'art, des biographies de peintres, des encyclopédies et revues d'art... de ceux-là, je ne peux désormais pas m'en séparer. Ce sont eux qui maintenant me nourrissent, me remplissent d'un monde d'Histoire, de civilisations, de regard incroyable sur le monde, d'une idéologie nouvelle, d'une perspicacité individuelle et enfin d'un nouveau langage poétique aussi...

    Corinne LUCY

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  12. Une des questions que ton très beau texte aborde, c'est la place que devrait avoir la mémoire collective dans la construction de l'identité personnelle, question que je me pose régulièrement avec mes mots.
    Quand j'étais jeune, une dame est venue témoigner des camps d'extermination dans mon collège. Comme mon arrière-grand-mère, elle nous expliquait qu'elle et ceux qui étaient revenus n'avaient pas souhaité pendant des années reparler de tout cela...Et puis parce qu'ils étaient âgés, ''plus jamais ça".
    La mémoire alors avait un sens, un objectif. Et comprendre, décortiquer, examiner toutes les archives possibles, tous les témoignages pour comprendre et éviter ainsi de telles catastrophes, je te réponds : garde tout !!!

    Et puis quelques mois plus tard, j'entendais parler du génocide rwandais.
    Et je ne comprenais plus ni ne comprends aujourd'hui encore que les politiques et médias aient tant parlé des camps alors qu'en même temps, ils savaient tout ce qui se passait en Afrique.

    Alors, à quoi sert la mémoire ?

    Finalement, tu as peut être raison de jeter tout ce qui ne te ''plaît'' pas, ne t'aide pas à grandir, à t'épanouir. Finalement, la Turquie aurait-elle raison de refuser de reconnaître le génocide arménien ? Finalement, pourquoi tant parler du trafic d'esclaves au dix-huitième siècle, passer sous silence le trafic oriental qui a duré bien plus longtemps et passer sous silence le trafic dans les pays pétroliers des quasi esclaves pakistanais ou indonésiens ?

    Mon cher Gabriel, la seule réponse un peu satisfaisante que j'ai trouvée jusqu'à présent est celle de l'Ancien Testament (l'intercession d'Abraham pour sauver Sodome).

    Merci pour ces beaux moments de lecture

    PR

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  13. Bonjour Gabriel,

    J'ai enfin eu le temps de lire ton texte. Il est très bien écrit (bravo!) et c'est une réflexion intéressante sur le fait de stocker les écrits dans l'espoir de conserver une trace de notre passé collectif. Je fais partie de ces personnes qui ont tendance (c'est même un peu pathologique chez moi), à conserver les livres (et autres objets) pour ne rien oublier ; mais je suis d'accord avec toi lorsque tu dis qu'il faut se débarrasser sans état d'âme de ceux qui ne nous ont pas plu pour faire de la place sur ces étagères et dans sa tête (en appliquant ainsi les principes du Feng shui).
    En revanche, concernant le fait de vouloir à tout prix te débarrasser des livres qui évoquent des horreurs de notre histoire ou dont les auteurs sont sujets à caution, je rejoins le point de vue de notre ancienne élève Anaïs qui, en bonne historienne, veut impérativement conserver toutes les preuves du passé.
    Ceci dit, rien ne t'oblige à posséder les ouvrages qui te dérangent dans ta bibliothèque personnelle. Les bibliothèques publiques et universitaires s'accomplissent parfaitement de cette mission d'archivage et contribuent ainsi à nous permettre de remplir notre "devoir de mémoire" ou plus précisément, comme le disent certains historiens, "un devoir d'histoire".

    Laurence COZANET

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    1. Mes propos vont sentir la banalité, mais le livre est un objet à part, censé porter la connaissance et par ça une sorte de supériorité intellectuelle ou du moins d'avantage. Ce qui rend l'acte de s'en débarrasser assez douloureux, surtout sous la contrainte de l'espace, comme il nous arrive dans nos grandes villes.
      Pour ma part, j'ai un respect pour l'objet lui même qui relève presque du fétichisme, mais je peux me résoudre à en offrir un que je sais je ne vais pas relire, puisque un livre fermé est une lettre morte et garder pour soi un livre qu'on méprise ou duquel on a fait le tour et qui ferait le bonheur de quelqu'un d'autre est, à mon sens, forcément un peu égoïste.
      Comme Laurence Cozanet, je pense que certains livres témoignant d'époques ou cultures moins glorieuses ont toujours une valeur documentaire, surtout dans le cas d'une démarche de chercheur ou d'archiviste. Les garder ne leur confère pas une considération qu'ils ne méritent pas, au contraire ils sont là pour nous mettre en garde, historia magistra vitae, même si, hélas, on perpétue toujours les mêmes crimes et je dirais même que, pour vaincre son propre ennemi, il faut bien le connaître, donc le lire.
      Ensuite il y a des livres qu'on garde, parce qu'il représentent une phase de notre vie, un souvenir d'enfance, les historiettes qu'on lisait gamins, encore les yeux voilés d'innocence et illusions.
      Bref, à chacun son point de vue avec des motivations autant valables.
      Romina Luzi

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  14. Bonjour, merci pour ce texte partagé.
    Voici comme promis ma première réaction en le découvrant :
    Il en va des bibliothèques comme du monde. Parfois, il est trop lourd à porter, et le transmettre est la seule fuite possible. Parfois, la vie appelle à le découvrir et à le redécouvrir de génération en génération au risque de s’y épuiser ou de s’y perdre. Quels que soient les atlas, le chemin entre le bien et le mal exige un choix en actes et souvent, malgré cette exigence, la seule certitude est notre profonde ignorance… En tant qu’homme, en tant qu’espèce… que d’erreurs passées et à venir. Le paradis ?
    et la seconde après avoir lu l’interview d’Alberto Manguel https://www.lexpress.fr/culture/livre/alberto-manguel_809615.html :
    Exécrable, délectable ? Sur le chemin s’interroger et pas à pas, trébucher, se relever au risque de l’émerveillement, de l’éblouissement et de la cécité quelle humaine trop humaine destinée !
    Amicalement,
    N. Roy

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  15. Bonjour Gabriel.
    Superbe texte que ce "Le paradis?" interrogatif! La question du livre, qui taraude encore certains d'entre nous, est en effet cruciale, du moins celle de la bibliothèque... que je ne traite pas religieusement, personnellement, mais qui est un espace de détente, disons déjà visuel, volumique, trop pour certain.e.s, et libérateur ou libertaire assurément.
    Je suis plutôt Manguellien, au sens où j'ai beaucoup de mal et de peine à me départir d'un ouvrage, aussi repoussant soit-il... Ton paradis serait donc un enfer inversé? Je ne vais retenir que deux des fâcheux que tu cites, Gobineau pour le premier, et Louis-Ferdinand Destouches pour le second... Pour le premier, je triche un peu,puisque je l'ai découvert vers 15 ans dans la bibliothèque de mon grand-père magyar qui me disait avoir appris notre (sa) langue dans la littérature française et dans la presse au quotidien... les 15 premières pages de cette sorte de vomissure intellectuelle ont provoqué en moi une nausée toute sartrienne et notre compagnonnage de quelques minutes aura sans doute été déterminant dans quelques-uns de mes engagements ultérieurs...
    Céline est apparu 1 an plus tard, simplement parce que présent dans la bibliothèque de mes défunts parents et parce que je suis de nature littérairement curieux... 15 pages de "Mort à crédit" qui m'ont paru inaccessibles. J'étais tout de même un peu étonné car j'avais quelque peu entendu parler de ce mécréant, et je trouvais ce rejet un peu enfantin; il s'agissait plutôt d'immaturité. Je revins à la charge un an plus tard mais en me plongeant dans le plus classique "Voyage au bout de la nuit". Là, il y eut un éclair! Puis je m'engouffrai à nouveau dans "Mort à crédit" que je considère aujourd'hui comme un absolu chef d'oeuvre. Je place d'ailleurs cet écrivain comme l'un des plus importants du siècle dernier, aux côtés de Marcel, ce qui pourra faire sourire.
    Je sais les pamphlets et toute l'atroce haine qui s'y déverse, je sais le nazisme de Céline (les derniers travaux sorbonnais l'ont confirmé) et j'enrage d'admirer la plume d'un homme fort exécrable et contradictoire tout autant, délateur à ses heures comme médecin des pauvres à Meudon, si,si, il y en avait dans les années 50!Bref un assez pauvre type mais un remarquable écrivain... Et je traîne ce boulet depuis des décennies car nombre de mes proches se refusent à lui concéder un seul moment de lecture!
    Alors en effet se pose la question d'un autre enfer.. et je ne m'y résous pas. Donc, je biaise: soit le grand carton grenat mis en place par ma concierge (on dit dorénavant gardienne, drôle de glissement sémantique!) au bas de l'immeuble et qui permet à chacun d'opérer son choix, soit le bon vieux banc public et ses curieux-ses anonymes potentiel.le.s.
    Là où Gobineau est un piètre théoricien, tout juste sorti de son siècle ( et les français ont malheureusement très activement participé de ces appels à l'ethnicisation, la stigmatisation), Céline est un remarquable écrivain. J'ai du mal à l'admettre mais on peut être un salaud et un grand artiste.
    J'ai dû louer un nouvel espace pour travailler autrement il y a peu (un grand bureau) et j'ai vécu le plaisir de pouvoir reconstituer une autre bibliothèque: je me suis plongé dans les cartons qui vivotaient dans la cave et j'ai redécouvert des connivents qui ne demandaient qu'à ressusciter. Des jours de plaisir silencieux, discret, en une certaine solitude. Car le livre est aussi ceci, un furieux périple solitaire.
    J'aime les livres, donc j'en jouis ou je les donne. Je suis d'ailleurs souvent mal à l'aise ans les zones de vie où il n'est pas.Je reste donc bibliopile (!).

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  16. Cher Gabriel,

    je suis allée faire un tour sur ton blog et j'ai lu ton dernier texte. Je vais te donner mes impressions, même si je ne pense pas être la meilleure critique en la matière, parmi ces pros de la littérature et de la langue française. Tu me définis bien, comme "une femme de sciences et de chiffres".

    Je l'ai trouvé très bien écrit et facile à lire, ce qui ne m'a pas empêchée de faire quelques recherches pour savoir qui est tout d'abord Alberto Manguel. Ensuite, j'ai cherché qui étaient Gobineau, Cuvier, Qutb et Rassinier. Après ce que j'ai trouvé, je t'avoue que je ne souhaite pas que ces hommes restent dans ma mémoire.
    Que dire d'autre? En ce qui me concerne, le thème du tri m'a titillée, mais pas uniquement pour les livres. Ce mois de mai, je m'étais dit que je devais faire un peu de tri dans toutes ces affaires qui encombrent mes armoires. Objectif atteint à 50%. Est-ce l’envie de profiter des jours fériés et des weekends ou la facilité qui m'empêche d'atteindre 80%? Il est sans doute plus simple de laisser les choses à leur place surtout si elles sont bien rangées, même si elles ne me servent plus. Pourquoi ai-je toujours dans ma bibliothèque des livres qui ont appartenu à mes parents et que je n’ai même jamais lus?
    Pourquoi "perdre du temps" à faire des choix : je garde au cas où, je garde par souvenir, je donne ou je jette? That is the question…Je verrai à la fin de ce weekend de 3 jours si mon pourcentage a augmenté.

    En ce qui concerne les livres, la révolution numérique va peut-être régler en partie le problème à moyen terme. Comment les nouvelles générations s'approprient-elles le papier et le matériel? Si tu pouvais me dire ce que je dois faire de mes encyclopédies dont personne ne veut, je suis preneuse. Wikipédia et Cie les ont tuées…
    Devons-nous voir la vie en 2.0??
    A bientôt pour de prochaines lectures.

    Mademoiselle M.

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  17. Très beau et très bon texte. Si j’ai bien compris, tu parles de l’importance de lire, notamment dans le monde d’aujourd’hui et tu as absolument raison. Moi, je lis beaucoup de récits et histoires fantastiques car ça transporte dans un univers de monstres, de fantômes et de mystères. Je me retrouve dans ces fictions car j’ai une personnalité intéressée par le surnaturel et autres légendes urbaines.

    Ewen CASEY

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  18. Être ou avoir ? C’est un peu ainsi que s’était synthétisée ma réflexion, quand il y a quelque temps déjà, tu m’avais fait part de ton désir de te séparer de CDs, meubles. Cela m’avait fait me poser des questions : « Pourquoi ai-je des difficultés à jeter ? », « pourquoi conserver alors que, par ailleurs, l’accumulation me pèse ? » J’ai fait du vide, moi aussi, en m’interrogeant sur la raison qui me fait garder un objet…J’ai évacué beaucoup de choses qui avaient appartenu à une personne que je ne suis plus aujourd’hui. Pas de déco vide de sens. Pour les livres, c’est un peu différent, je chemine. Je ressens une certaine envie/besoin de « voyager léger » maintenant. Le fait d’être bientôt en retraite n’est pas anodin pour moi. Ce ne sont pas des vacances, tu sais. Ton texte donne à penser, c’est important. Je te relirai dans quelques mois.

    Dominique A.

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  19. Buenas tardes Gabriel,

    J’ai vraiment aimé le texte « Le paradis » et ensuite je me suis interrogée sur la possibilité de me débarrasser de mes livres.
    « Faire maigrir ta bibliothèque » ou oublier, c’est vraiment une hygiène ? Ou plutôt, si je décide d’imiter ce que tu proposes, cela serait une sorte d’hygiène intellectuelle pour moi ? Je ne sais pas. D’un côté, oui. Comme tu dis, j’ai accumulé des écrits qui apparemment « ne résonnent pas ». Je ne peux pas revenir sur certains livres avec la même intensité, ça c’est clair mais sont-ils devenus banals ? Je ne sais pas. En revanche, je crois que rien de ce que j’ai lu ne m’est étranger. Je ne suis pas un individu uniforme, je ne peux pas ressentir ce que je sentais en lisant Nietzsche à 18 ans mais je peux m’identifier et me reconnaître dans ces expériences. En plus, je suis arrivée à me maîtriser grâce au fait de revenir précisément sur ce que j’étais (personnellement et philosophiquement). En quelques mots, je suis toujours une autoréférence. Pour cette raison, est-ce que je pourrais me débarrasser de mes livres ? Serait-elle une hygiène intellectuelle ?
    Ortega y Gasset, un philosophe espagnol du vingtième siècle, a écrit que « nosotros escribimos siempre frente los otros ». Cela signifie littéralement que « nous écrivons face aux autres, face aux œuvres et aux écrivains que nous avons lus ». Actuellement, je ne serais pas capable de comprendre pourquoi je lis Zizek si je n’admets pas qu’un jour, j’ai eu besoin de lire « Le banquet » de Platon.
    D’un autre côté, cet espace que tu décris peut t’opprimer. Oui, je comprends. En même temps, faire « maigrir ta bibliothèque », c’est aussi une façon de montrer que tu as déjà trouvé une ligne de pensée, un style, un modèle, une référence. Tu es devenu un peu plus sélectif et par conséquent, artistiquement ou littérairement plus mature et, pour moi, plus puissant. Peut-être le fait de te débarrasser de certains livres implique que tu es déjà entré dans un passage d’autodéfinition, une sorte de pré-clarté.
    Finalement, je considère que ton texte évoque d’une façon très originale la mémoire collective et la manière dont on peut faire face aux horreurs de l’Histoire. C’est très subtil. Très intelligent. L’image de cette bibliothèque et la notion de l’oubli sont très « benjamiennes ».

    Cristina PARAPAR

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  20. D’abord le titre, « Le paradis ? ». Ce mot qui ouvre des portes sur tellement de mondes, visions possibles. Mais il ne m’a donné aucun indice quant au contenu de cet article. Enfin vint le moment où mes yeux ont vaillamment suivi ces lignes de mots durant un paragraphe. A la fin de celui-ci, je me suis arrêté, j’ai contemplé votre article pour voir combien de paragraphes il me restait à lire, en me disant « nous y voilà, le cliché du prof de littérature qui aime, qui adule les livres plus que tout et dont le rêve serait d’avoir une bibliothèque plus grande que tout ce que nous pourrions imaginer. » Bien que déçu, une promesse est une promesse, alors j’ai poursuivi ma lecture. Plus je lisais, plus je comprenais la signification du titre, plus spécialement du « ? ». L’article que vous avez écrit n’est en effet en rien soporifique. Le lire m’a beaucoup plu, il m’a montré que le fait d’accumuler n’est pas forcément lié à une richesse et cela ne concerne pas que les livres. Il a fait naître en moi un léger vent d’incompréhension au début et à présent, il déferle en un cataclysme de questions, de passion et d’envies. Notamment celui qui est de lire vos précédents articles. Ce que je vais faire, soyez-en sûr mais ne vous méprenez pas, je ne le fais plus par promesse tenue, je le fais par pur égoïsme car ce premier article a su me toucher.  
    Pendant sa lecture, deux questions me sont venues. La première, lorsque vous dites « ces romans dont je n’avais pas gardé un fétu de leur intrigue en moi, pourquoi continuer de les posséder ? » Je comprends ce sentiment, certains livres que j’ai lus ne m’ont laissé presque aucun souvenir mais vous, cela ne vous donne pas envie de les relire pour justement vous en souvenir et voir ce que vous avez possiblement raté ?
    Ma deuxième question est liée à ce paragraphe: « Ces textes sans espoir ni bienveillance, que l’aigreur anime à l’amorce ou la fin de chaque phrase ; ces intimités de boue et de frustration, elles me sont si étrangères que je les refuse chez moi. Ce n’est pas une morale religieuse ou un précepte humaniste qui me pousse à les évacuer : au-delà de leur rancœur et des diverses xénophobies qu’elles déversent, elles sont indigentes. L’exécration étant une muse qui s’essouffle vite, à quoi bon s’en encombrer ? Et quel nom faudrait-il donner à cette déférence aveugle pour tout ce qui vient du passé ? Parce que Gobineau, Cuvier, Qutb, Rassinier, Céline ont vécu avant ma naissance, je devrais les considérer avec une espèce d’égard, comme les petits-enfants affichent pour leurs grands-parents un respect qui ne se discute pas ? Face à l’indignation, le temps s’amollirait comme de la tourbe ? Et la bêtise d’hier serait plus digeste que celle d’aujourd’hui ? »
    Je pense connaître certaines œuvres sur lesquelles vous vous appuyez ici mais avant de les acheter, avant même de les lire ne saviez-vous pas qu’elles renfermaient des positions racistes, xénophobes, antisémites ? Si vous le saviez, pourquoi vous êtes-vous alors laissé tenter par ces œuvres ? Et ne pensez-vous pas que les avoirs lues vous a permis de grandir et de créer une certaine barrière entre ce que vous acceptez et ce que vous n’acceptez pas, une barrière fondée d’exemples et de préceptes que vous rejetez totalement ?

    Gian MEATCHI

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  21. salut gabriel
    j'ai un livre tout pourri...il irait très bien dans ta bibliothèque...tu le veux ?

    blague à part ,je comprends ta démarche :pour moi c'est salutaire quant à l'évolution naturelle de ta compréhension du monde...et toc

    signé l'anonyme masqué

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  22. Cher Gabriel,

    « La poésie nous entoure » ! Ô combien ces mots porteurs nous interrogent sur sa signification...
    Voici un texte fragile entre passé et devenir, en prolongement de votre essai « Introduction à une statue de feu », que j’ai découvert dans le numéro anniversaire de la revue Triages :
    J'aime beaucoup le passage sur la place du présent « comme période flottante qui facilite le doute ».
    Nous ne savons pas écouter l'expérience du vécu et être dans le devenir. Bien sûr, le doute comme l'inquiétude est réellement une présence, moteur d'une exaltation. Il y a souvent créativité dans cette recherche. Comment évoluer à travers la poésie contemporaine, comment la comprendre, la définir, la partager et s'en nourrir ? Il nous aura fallu quitter le romantisme, le confort de l'alexandrin, du sonnet pour être libre et vous avez tellement raison : « Nous n'avons jamais été aussi libres. »
    Qui peut se dire poète ? Pourquoi une telle aventure ? S'il est impossible de vivre, alors oui l'écriture permettra la résistance, par le poème.
    Qu'importe les rimes, le renouveau rassemble les cris, la langue ; il faut parfois essorer pour épurer.
    Si l'aventure est solitaire, tout pourtant la questionne.
    Si nous pouvons formuler un mot, ce mot là est idéalement poème. J'aime cette idée. Comme j'aime l'association de deux arts, une résonance avec une autre; la peinture, la sculpture ont marqué chaque courant artistique. C'est dans l'échange aussi que l'on grandit.

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  23. Votre passage « quant à l'émotion » m'a bouleversée, vos mots choisis comme « entaille originelle » dans « la peau du réel » me parlent tant que j'en déroulerais bien une litanie à suivre le craquement d'une branche en froissant juste de mes doigts la feuille brunissant au soir des soleils d'été.
    La « fêlure », voici un ébrèchement, fêlure qui parle d'une main, du geste répété à partager, à voyager, à dire le café chaud ou le matin pluvieux à l'aube vers un port inconnu. La vie entière se situe dans cette « fêlure de la jarre », image magnifique et immédiate. Des hommes ont fabriqué, lavé, transporté un objet utile, le sachant périssable et fragile.
    Concernant les formes courtes comme les haïkus, je reste intéressée mais pas convaincue qu'ils soient poèmes. Aujourd'hui, il y a trop d'amateurs qui se disent poètes de par cet exercice. Facilité ? Non, je ne le crois pas, je leur préfère le tanka où le ressenti peut s'exprimer.
    « Fragilité », ce passage parle de pudeur, et la référence à Philippe Jaccottet me touche tout comme « le contour du corset ». Je me retrouve encore dans l'authenticité et la puissance du mot. Chercher la précision, c'est aller chercher le pépin, l'ADN du poème qui vibre en nous.
    Beaucoup de poètes que je lis dans certaines revues se tournent vers une approche métaphysique, qui manque de force et d'élévation. En cela je rejoins votre passage sur « la poésie et sa pulsion ». Ne pas chercher à être moderne en poésie, juste authentique.
    Le poème me permet d'être au monde, de naître, il me permet d'exister. Je traverse ainsi le temps à l'intérieur de moi et ce que je peux transcrire « est » émotion. Si un poème peut témoigner de ce risque, alors laissons-le faire ce chemin. Aller vers celui qui écoute...
    Toute la dernière partie parlant d'ontologie éclaire ma pensée et toute ma démarche poétique.
    Rester optimiste, humble et nommer le mot, simplement. Ma voix devient alors parole et j'ose dire que lorsque j'ai terminé un poème et qu'il me donne de la joie, je suis comme abreuvée d'une gorgée d'un excellent vin. Tous mes sens convergent vers ce point d'hédonisme.
    La poésie de demain sera je l'espère, déshabillée de nos savoirs, en construction, toujours. Elle devra montrer ses muscles, et plus encore ses os!
    Réinventer une pensée, mais surtout chercher sa propre vérité.

    Chaleureusement,
    Sophie Marie

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