A Paris, au 77
rue Philippe de Girard, il y a trois portes, peintes en vert, qui marquent une
entrée d'immeuble. Qui dit porte dit accès, à moins qu'elle soit murée. Ce sont
trois portes basses et sobres, sur lesquelles rien n'est placardé ni affiché. Le
plus souvent, lorsqu'on passe devant elles, on continue son chemin car elles
n'ont rien de particulier; ce sont trois portes vertes, dépourvues de clinquant
et derrière lesquelles on n'entend aucune voix ni aucun son. Trois portes
vertes, semblables à des piliers qui provoquent l'indifférence généralisée.
Cependant, quand on y revient, on voit parfois des hommes groupés, la plupart
habillés en djellaba et qui se déchaussent avant d'en franchir le seuil; et
soudain, on découvre que le 77 rue Philippe de Girard est un lieu de culte.
C'est le vendredi que les fidèles y sont le plus nombreux; à d'autres jours de
la semaine, une porte y est ouverte, qui donne accès aux croyants mais le lieu
n'est pas solennel. Il ressemble à une officine où seuls se réunissent ceux qui
le connaissent, dans une confidentialité inquiète. A moins de cent mètres, dans
la même rue, une salle de culte hindouiste accueille ses croyants. Elle est
plus petite mais n'est pas cloisonnée: une vitre permet de voir à l'intérieur.
Ce
sont des endroits de piété et de dévotion religieuse; pourtant, ils
m'attristent. Qu'importe le Dieu que j'invoque avant de me coucher. Il ne
s'agit pas de militer pour une religion ou d'en stigmatiser une autre. Ceux
qui, en lisant ce chapitre, penseront que je suis islamophile ou
christianophobe, que je glorifie une religion et en pourfends une autre, ne
m'auront pas compris. Imaginez ce que j'ai vécu: vous marchez dans une rue qui
n'est ni large ni étroite, ni silencieuse ni bruyante, ni sale ni luisante de
propreté; néanmoins, vous vous trouvez dans un quartier modeste, où les
appartements sont moins chers qu'à Saint-Germain-des-Près et où les cultures se
croisent davantage que dans la rue de Passy. Soudain, vous apercevez des hommes
qui ôtent leurs chaussures et entrent dans une salle aux murs blancs et au
plafond bas. Dans ce lieu où on pénètre par les trois petites portes vertes,
des centaines de croyants se retrouvent pour prier leur Dieu. Se satisfont-ils
de cette salle au 77 rue Philippe de Girard, Paris 18ème, à cent mètres de la
station de métro Marx Dormoy?
On
prie Dieu partout: dans un lieu somptuaire et somptueux, renommé et visité par
des millions de touristes ou dans l'intimité d'une chambre, volets et porte
fermés. Là encore, je n'écris pas sur la dévotion ni sur les rituels de la
piété. En ce début de vingt-et-unième siècle, nous vivons dans la crispation de
Dieu. Quand j'avais quinze ans, les adolescents évoquaient autrement leur spiritualité.
Rien de brusque ni d'abrupt dans leurs convictions. Ils ne brandissaient pas
leur foi et celle de leurs parents comme un sceptre éblouissant; une sorte de
pudeur présidait à leur pratique, comme quand on se voue à une passion joyeuse
sans la revendiquer (car clamer ses faveurs, publier sa religion, officialiser
tout ce qu'on aime et faire savoir tout ce qu'on prise, n'est-ce pas le début
de la peur?). Mais ces hommes que j'ai vu franchir le seuil de l'immeuble aux
trois portes vertes, que ressentaient-ils? Je me dis que prier Dieu au
rez-de-chaussée d'un immeuble qui se confond avec tous les autres immeubles de
la rue est triste. Une salle de prières n'est pas un bureau ni un comptoir de
bistrot. Pourquoi se réfugient-ils dans cette lande urbaine, aussi
confidentielle que fraternelle, aussi respectable qu'insuffisante? Dès lors
qu'on prie son Dieu publiquement, il faut un espace suffisamment ample pour lui
rendre hommage. Soyons pragmatiques: tendre ses mains vers le ciel, appeler
d'une voix émue la lumière qui nous guide, chanter la présence invisible mais
si prégnante d'une force supérieure aux hommes; rassembler tant de gens
partageant la même croyance, les mêmes règles de vie et les mêmes certitudes de
l'éternité; toute cette union de personnes se confinera-t-elle dans un préau
recouvert de tapis? Je paraîtrai naïf à tous ceux qui accaparent les origines
de la France. Bien que je sois né à Saint-Germain-en-Laye et que j'aie étudié
la littérature française, j'ignore les spécificités et les particularismes de
l'identité française. Quand, au 77 de la rue Philippe de Girard, je vois des
dizaines d'hommes en djellaba, portant une longue barbe et parlant arabe, je ne
suis pas choqué. Rien ne me heurte, ne m'offusque en les voyant. Est-ce que je
manque de patriotisme? Suis-je bêtement insolent en écrivant que les musulmans
du dix-huitième arrondissement ont l'air paisible? En répétant Socrate, Erasme
nous a assigné une loi absolue: «je suis citoyen du monde». A l'heure qu'il
est (et ceux qui, dans un demi-siècle, liront ces lignes s'amuseront peut-être
de ma vigilance) les religions sont des oursins. Celui qui ne s'en désolera pas
sera un zélé, un réac, un idiot, un fanatique. La seule chose que je souhaite
aux croyants qui prient leur Dieu au 77 rue Philippe de Girard, c'est de
trouver un lieu plus décent, plus profus, plus public que cette salle
confidentielle. On n'enferme pas Dieu dans une boîte; dès lors, pourquoi les
croyants se serreraient-ils dans une pièce à peu près misérable? Je terminerai
ce chapitre avec de la naïveté ou, plus précisément, ma naïveté. A l'instant,
je songe à une ville où les trois monothéismes cohabitent dans un même rire.
Projetons-nous dans cette utopie: vous avez gravi une colline et, parvenus à
son sommet, vous contemplez la ville. Dans un même coup d'oeil, vous voyez une
mosquée, une synagogue, une église, un temple. Cette diversité vous plait, vous
détend, vous réjouit; vous ne contestez aucune de ces flammes. Et ensuite? Que
faire de ceux qui assènent des hiérarchies, des dieux plus nobles, plus forts,
plus profonds que d'autres? Comment légitimer l'effroi de ceux qui, apeurés des
autres transcendances, se demandent combien de dieux existent? Les musulmans
qui viennent prier leur Dieu au rez-de-chaussée de l'immeuble situé 77 rue
Philippe de Girard méritent un autre lieu, que je ne saurais pas définir en
détail; quelque chose de plus que ce hall sans fenêtre, où les seuls initiés
ont accès.
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour ce texte-témoignage. Je pense que cet exemple est un arbre parmi la forêt des inégalités qui existent en France. Je connais une autre Mosquée (ou plutôt hangar qui sert de Mosquée)au 6 rue des poissonniers à Paris 18, c'est pareil, c'est un endroit minuscule, avec un toit en tôle. Maintenant le gouvernement veut convertir cet hangar en Institut de Culture d'Islam (car les fidèle prient sur la voie publique). Mais comment prier dans des conditions pareil ? C'est incompréhensible, surtout dans un pays qui se revendique démocrate.
Bien à vous
Ahmed HAMMAD
Blogueur, slameur,
Membre de l'association TAMAZGHA,
Co-fondateur du mouvement Printemps Méditerranéen
www.med-h.net
Merci d'avoir livré tes impressions, Ahmed.
SupprimerNous aurons très vite l'occasion d'échanger à nouveau sur la visibilité de l'Islam en France, thème politique, culturel, social, polémique mais qui ne gagnera jamais à être éludé ou débattu avec hostilité et crispation.
Si tu savais écouter Dieu (plus facile quand on est prophète professionnel ) il te dirait : 23h58 !!! il est temps d'aller se coucher... sinon ton cerveau va se transformer en citrouille ...
RépondreSupprimersigné :le retour de l'anonyme masqué