Erwann
D’un abri qu’il
sollicitait pour la nuit,
Comme on s’en va
quasi en pleurs demander un amour
Il était
repoussé. Ses mots étaient courtois
Et il les
murmurait, même auprès des bénévoles
Qui se vouent à
l’entraide. Au plus froid de la nuit,
Il gardait cette
voix de prière et coupable,
Brisé par les
regards, les yeux détournés, les mutismes.
Il marchait,
cherchait, interpelait pour survivre.
Il s’appelait
Erwann. De Bretagne il ne s’affiliait à rien
Ni de Paris,
Perpignan, Marseille ou ailleurs.
ll chantait quand
le ciel était blanc. Alors, les hommes
Lui semblaient
pacifiés comme un peuple alenti
Et il commençait,
à l’entrée des gares
Ou sur le parvis
des monuments, une complainte
Car il n’avait
rythme que pour les chansons tristes.
Qui a décrit ses
journées ? Avant l’âpreté de l’ombre,
Il faisait face à
l’âpreté du jour,
Plus puissant que
le museau du diable et les rayons
L’indifféraient.
Du soleil il disait «foutre»
Et des banquiers il
s’amusait avec un crachat
Mais la douleur
gonflait. Avec le crépuscule
Venait un frisson
qui toujours vivifiait la peine
D’être à la rue.
Erwann s’habituait à l’horreur du dehors
Et bien qu’il
réclame un foyer pour quelques heures,
Il espérait un
feu qui s’affaisse, éploré
Parmi les clochards
morts sous un pont. Où saisirait-il
La chance ainsi qu’on
empoigne un bouquet d’amaryllis ?
Son murmure était
triste. Il suppliait. Erwann errait
Et sa voix même
était une errance. Il s’effrayait
À quémander. À la nuit tombée, quand le froid
Devenait sombre, il
voyait le ciel comme un crâne
Et pendant que
les fenêtres s’éclairaient, seul dans l’ombre,
Il prenait peur
de la désertion des cœurs.
Qui lui
accorderait un peu plus que compassion ?
Qui après un
sourire, un attendrissement
Se consacrerait,
pour un soir ou plus, à cet homme qui puait ?
Qui aurait
charité immédiate et viscérale
Pour cet inconnu
qui se tordait dans le noir ?
Erwann avait peur,
il savait que l’exil vient de peu.
La nuit
grandissait, le froid grandissait et le silence.
Exilé dehors, il
chercha un lieu qui l’accueille
Mais on ne peut
toujours chercher: il s’épuisa
Et son épuisement
fut moindre effroi. Erwann avait eu peur
Tant qu’il
avançait pour un sommeil au chaud
Mais il n’avait
que refus ou porte fermée.
La fatigue amène
un répit dans l’horreur ;
Il se mit sous l’auvent
d’un magasin de sport
Où le vent ne s’engouffrait
pas. Là, il s’enroula
Dans son duvet,
contre la vitre, immobile.
Fixité qui
semblait entrée dans la mort
Comme autrefois
les Ames se figeaient sur le rivage
Mais il s’endormit.
Repos ? Trêve ? Apaisement ?
Il dormit. Le
lendemain, avant que la rue s’anime
(Les métros
ébranlant la vie souterraine,
Les boulangeries ouvrant à l’aube)
Erwann était déjà parti. Auvent déserté,
Pas de présence
alentour. Sa loque de sommeil
Qui se brise
avant l’éveil de la ville,
Comme on se cache
honteux de tout ce qu’on est
Pendant que la
fierté de l’univers s’éveille.
Il s’était levé dans
la glace de l’aube
Et les derniers
instants de nuit furent errance.
Erwann traîna
dans un parc, à quelques pas
De la mairie. L’air
mordait mais il ne sentit
Que la béance du
monde. Un camion d’éboueurs
Passa à sa gauche ;
il aperçut devant lui
Un carrousel d’autos
pour enfants et dans le ciel,
Il ne perçut qu’un
lever poussif, clarté laborieuse
Qui jamais se hâtera
pour jouir aux hommes.
Et désœuvré, amer, il scruta le jour qui venait.
Quel beau poème! Il me rappelle un poème d'un très grand poète arabe (Iraq) mort en 1945, Maârouf Errousafi. le poème est intitulé "La veuve allaitant". Je crois au pouvoir des mots à nous transporter et à nous sensibiliser à la réalité. Merci Gabriel Zimmermann
RépondreSupprimerMerci à Abdelaziz pour ce commentaire. Il nous rappelle que la poésie n'a pas de frontière. Tout comme en amour, elle se nourrit de diversité, de métissage, d'horizons venus d'ailleurs. Qu'importe si elle vient de Madagascar, du Pérou, de France ou d'ailleurs.
SupprimerUne belle description de la désespérance, la poésie parle au plus profond de nous-mêmes. Elle s'écoule comme une mélodie triste, je pense à la sonate au clair de lune. Erwann est comme l'instrument solitaire de sa destinée, seul et invisible aux yeux des passants de la ville lumière. Banalité de la misère qui s'installe petit à petit au milieu de l'indifférence...avec pour terminus peut-être, hélas, un quai de métro on un quai de Seine.
RépondreSupprimerMerci Stéphane, pour ce commentaire. La misère, en effet, à Paris et dans les métropoles, est saisissante et elle suscite autant de peine que d'indignation et d'impuissance. Ces hommes qui, chaque jour et chaque nuit, luttent pour survivre déploient un courage qu'ils ne qualifieraient peut-être même pas de "courage" mais c'est la sensation qu'ils laissent en moi.
SupprimerÉvocation puissante et magnifique d'une réalité sordide que nous côtoyons tous, impuissants?
RépondreSupprimerLe dernier adjectif que vous utilisez me mène très souvent au vertige. Déplorer, en une poignée de vers, la détresse d'un individu est, concrètement, peu de chose : je n'ai fait que prendre mon carnet, mon stylo et composer un texte...Et face à ce qui ne relève que d'une empathie certes sincère mais facile, la même question, en son refrain douloureux, revient : que puis-je-faire, dans tout ce qu'un être porte en soi d'indignation et de potentiellement haut, pour aider celui qui dépérit dans l'avenue où j'habite?
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