Je me
désole déjà de la manière dont on rendra compte de notre époque dans les
siècles à venir. On la dira triste, superficielle, égoïste, désenchantée,
vénale, amorale, insensée, agressive, vipérine, vulgaire, inculte, démagogique,
suicidaire, inconséquente, irrespectueuse, inattentive, individualiste, cupide.
Et pourquoi les historiens la décriront-ils de la sorte ? Parce qu’ils auront
voulu qu’elle soit ainsi. Aujourd’hui, cette triste symbolique agit déjà. Où ?
Dans des consciences, des convictions, des imageries plus ou moins collectives
qui influent sur des certitudes plus ou moins personnelles ; dans une effusion
qui n’a rien d’un consentement ou d’une réprobation mais qui
néanmoins semble avoir un je ne sais quoi de public, comme si nous étions voués
à surinvestir une portion du réel et à la brandir comme une vérité absolue de
la société où nous vivons.
Rien de plus faux que cette conclusion. Dans ce
chapitre, je vous paraîtrai cynique bien que je ne me sente pas un descendant
d’Antisthène mais déplorer la façon dont l’histoire universelle s’échafaude,
s’écrit puis se commente ; porter sur une décennie ou un siècle un regard
divergent de celui qui est asséné dans les écoles de la République conduit vers
une marginalité ou, du moins, à une vigilance qui sera vite associée à une
insurrection intellectuelle, une insolence civique alors que j’ai,
initialement, ce souhait de circonscrire des flots d’années humaines en une
estampille.
Quoi de plus commode que de compacter une période en une image
exhaustive et indiscutable ? Quoi de plus simple que de considérer la Belle
Epoque comme une effervescence unanime, pareille à un bouquet où les plus vives
fleurs auraient été rassemblées ? Quoi de plus pulsionnel que de stigmatiser ce nouveau millénaire alors que je
vois, chaque jour, des êtres généreux et optimistes ?
L’histoire a toujours eu
cette griffe : circonscrire. Elle enserre beaucoup mais envisage peu. Elle
considère le laïus du président comme une preuve exacerbée du vécu d’un peuple,
elle étudie avec une minutie d’entomologiste le débat télévisé entre un
sociologue de Gauche et un économiste de Droite, elle pointe l’index sur les
voitures brûlées dans la cité de Cronenbourg ou sur les Roms qui mendient, à
Paris, le long du boulevard Richard Lenoir ; elle examine les quelques mots de
la compagne du chef de l’Etat pour son soutien à un politicien de La Rochelle,
elle décortique les pourparlers entre les successeurs de Jean-Louis Borloo qui
a renoncé à la politique à cause de sa pneumonie, elle élucubre sur l’insignifiant
qu’elle érige en ardente vérité sociétale. A l’instant, je souhaite écrire
quelque chose qui se hisse au-delà de toute ambiguïté, je veux me faire
entièrement comprendre afin que ces phrases ne soient pas mésinterprétées et
que leur signification ne soit gauchie ni distordue.
L’Histoire s’écrit d’un
œil partisan et d’une main parcellaire. Alors qu’elle devrait être sœur de la
nuance, du pyrrhonisme, de la lucidité froide et fructueuse, elle se fraie un
chemin délétère, contestable et subjectif....