dimanche 22 juin 2014

Raconte-moi une histoire....

Je me désole déjà de la manière dont on rendra compte de notre époque dans les siècles à venir. On la dira triste, superficielle, égoïste, désenchantée, vénale, amorale, insensée, agressive, vipérine, vulgaire, inculte, démagogique, suicidaire, inconséquente, irrespectueuse, inattentive, individualiste, cupide. Et pourquoi les historiens la décriront-ils de la sorte ? Parce qu’ils auront voulu qu’elle soit ainsi. Aujourd’hui, cette triste symbolique agit déjà. Où ? Dans des consciences, des convictions, des imageries plus ou moins collectives qui influent sur des certitudes plus ou moins personnelles ; dans une effusion qui n’a rien d’un consentement ou d’une réprobation mais qui néanmoins semble avoir un je ne sais quoi de public, comme si nous étions voués à surinvestir une portion du réel et à la brandir comme une vérité absolue de la société où nous vivons.
 
Rien de plus faux que cette conclusion. Dans ce chapitre, je vous paraîtrai cynique bien que je ne me sente pas un descendant d’Antisthène mais déplorer la façon dont l’histoire universelle s’échafaude, s’écrit puis se commente ; porter sur une décennie ou un siècle un regard divergent de celui qui est asséné dans les écoles de la République conduit vers une marginalité ou, du moins, à une vigilance qui sera vite associée à une insurrection intellectuelle, une insolence civique alors que j’ai, initialement, ce souhait de circonscrire des flots d’années humaines en une estampille.
 
Quoi de plus commode que de compacter une période en une image exhaustive et indiscutable ? Quoi de plus simple que de considérer la Belle Epoque comme une effervescence unanime, pareille à un bouquet où les plus vives fleurs auraient été rassemblées ? Quoi de plus pulsionnel que de stigmatiser ce nouveau millénaire alors que je vois, chaque jour, des êtres généreux et optimistes ?
 
L’histoire a toujours eu cette griffe : circonscrire. Elle enserre beaucoup mais envisage peu. Elle considère le laïus du président comme une preuve exacerbée du vécu d’un peuple, elle étudie avec une minutie d’entomologiste le débat télévisé entre un sociologue de Gauche et un économiste de Droite, elle pointe l’index sur les voitures brûlées dans la cité de Cronenbourg ou sur les Roms qui mendient, à Paris, le long du boulevard Richard Lenoir ; elle examine les quelques mots de la compagne du chef de l’Etat pour son soutien à un politicien de La Rochelle, elle décortique les pourparlers entre les successeurs de Jean-Louis Borloo qui a renoncé à la politique à cause de sa pneumonie, elle élucubre sur l’insignifiant qu’elle érige en ardente vérité sociétale. A l’instant, je souhaite écrire quelque chose qui se hisse au-delà de toute ambiguïté, je veux me faire entièrement comprendre afin que ces phrases ne soient pas mésinterprétées et que leur signification ne soit gauchie ni distordue.
 
L’Histoire s’écrit d’un œil partisan et d’une main parcellaire. Alors qu’elle devrait être sœur de la nuance, du pyrrhonisme, de la lucidité froide et fructueuse, elle se fraie un chemin délétère, contestable et subjectif....