jeudi 19 février 2015

Démaquillé


S’essouffle-t-il, celui qui dit son essoufflement ?

De son regard publier l’étoile moindre

Ou les tremblements, sans froid ni effroi, de sa main ;

Non pas révéler ni montrer comme un panneau peint

La fatigue accrue mais décrire avec les mots les plus nus

Ce qui, en nous, va vers moins d’endurance ;

Affirmer, face à la ville qui veut rire,

Ce profil de falaise effritée ; sans forcer personne

À s’y brûler les yeux, afficher le portrait

Sans retouche ; ici, l’image où les deuils bien qu’ils soient loin

Ont survécu en un groupement de fantômes

Furieux d’apposer des sceaux parmi le brouillard ;

Là, cet abandon après tant d’orgueils, de postures,

Pour un bref couronnement dans les bars en vogue :

Ne laisserons-nous à l’heure où on faiblit

Qu’un fétu réprouvé du destin, une entaille oubliable ?

Ou aurons-nous, pour s’être évoqué au plus vrai,

Les voix de ceux qui avant nous avaient caché

Dans les matins d’hiver leurs réveils lourds,

Leurs pas ralentis dans l’escalier

Mais maintenant, comme on décernerait trophée,

À nos miroirs nous acclament !
 


 

vendredi 6 février 2015

Un provocateur ?






Depuis je ne sais combien d’années, Boileau a la réputation d’un péquenot. Il fut poète, fabuliste et théoricien de l’art mais dès qu’on l’évoque, une poussière le recouvre, comme quand on concède un attrait pour un chanteur démodé. Boileau fut expiatoire et il l’est encore. Il incarne le classicisme, la rigueur, la méthode, la raison, le cartésianisme ardent, la créativité zélée et bridée, l’assèchement de la métaphore. Bref, il passe pour un con. Quoi de plus risible que de dire « j’aime Boileau » ? Les passions artistiques sont aussi voraces que les passions politiques ; elles veulent des affirmations définitives : adoration ou répulsion, avant-garde ou passéisme, figuration ou abstraction, élitisme ou universalité. Ces querelles sont des tressaillements ; elles agitent l’artiste autant que tous les hommes, dès lors qu’ils sont confrontés à quelqu’un qui dénie la splendeur et la justesse des valeurs qu’ils défendent. Quoi qu’il en soit, Boileau amuse. Imaginez les biches qui symbolisent la mièvrerie, les adolescents habillés en noir qui représentent le diable, etc. De même, pensez à Nicolas Boileau, auteur de L’art poétique, qui est raillé comme un écrivain vieillot, partisan des lubies de l’Antiquité et qui prône un art pétrifié, à l’inverse des Modernes, si audacieux et iconoclastes.

Pourtant, Boileau mérite plus que ce qu’on lui donne aujourd’hui. Il a écrit des vérités sur l’art qui résonnent en moi plus que les strophes brumeuses de Mallarmé ou le discours de Saint-John Perse lorsqu’il reçut le prix Nobel de littérature. Certes, ces auteurs-là sont faciles à admirer. On se voue plus aisément au feu qu’à la pierre, on consacre davantage la colère que la dévotion, on encense la rébellion face à la discipline. Entre une caverne et une taverne, que choisirez-vous ? Qui, de l’intempestif ou du scrupuleux, deviendra votre ami ? Dans la subversion loge une gloire complaisante. Tout de suite, je pourrais aligner les insultes obscènes ou courir jusqu’à l’Hôtel de Ville puis pisser sur son parvis. Cet acte serait vite surinterprété, on lui associerait la contestation de l’idéologie capitaliste, de l’administration municipale. Mais pisser est simple. Duchamp avait ses pissotières ; à mon tour, je pourrais en déposer sur le perron des institutions publiques et politiques. Cette contestation offusquerait, comme quand un Australien a fait cuire des œufs sur la flamme du soldat inconnu, sous l’Arc de triomphe.

Scandaliser a la rationalité des sciences : on heurte vite un réactionnaire, un patriote ou un puritain. En revanche, l’éloge de hautes valeurs exige plus d’endurance que tous les sports. Mais elle n’a pas le clinquant de l’insolence. Lire Boileau s’apparente à un sacrifice ; ce poète prône le labeur, la méticulosité, la vigilance à tout crin, la méthode, la régularité, la relecture vétilleuse. Dans son Art poétique, il écrit une vérité qui s’est dégénérée en rigorisme : l’artiste travaille. Le poète ne défèque pas ses vers, le peintre ne vomit pas sa toile, le musicien ne crache pas sa musique. Tous, s’ils sont artistes, consacrent du temps à la création. Cette phrase est si banale que j’ai honte de l’écrire ; néanmoins, de nos jours, l’effort semble si opposé à la créativité que je l’assène comme si je mettais au jour une loi sur les hommes alors que j’enfonce un clou dans le mur.