samedi 20 septembre 2014

Moins que force ni que rage


Quel philosophe, antique ou contemporain, a glorifié l’impatience ? Si d’un siècle à l’autre, d’un continent à l’autre, d’une religion à l’autre, ils ont divergé sur le désir, la foi, les sciences, l’éducation, l’érudition, l’urbanisation, etc, allumant des polémiques qui ne s’éteindront pas,  ils blâment uniment l’incapacité d’attendre. Refuser les tictacs du temps qui s’écoule, nier les répits de nos corps et les accalmies de notre conscience passe pour un vice : on plaindra les pingres, les peureux et les pleutres, les soumis et les racistes ; on décèlera une grandeur mêlée d’humilité chez celui qui, affranchi de ses rêves, déclare « le bonheur est dans l’instant présent » mais on n’aura pas d’indulgence pour celui qui s’en va aiguillonner la cyclicité des jours. Consentir au dépérissement de nous-mêmes semblerait la plus haute fleur de la sagesse tandis que nos tentatives pour l’acculer sont décriées ; bien davantage, elles paraissent une lubie risible, une afféterie semblable à celle des femmes de cinquante ans qui s’habillent en minettes de vingt.
Pourtant, l’impatient ne récuse rien. Face au miroir, je vois les pattes d’oie qui s’accentuent : il y a quelques années, les inconnus m’interpellaient toujours par « jeune homme » ; aujourd’hui, « monsieur » sort plus souvent des bouches. Je ne m’en attriste pas ; a contrario des trentenaires qui regrettent leur adolescence, j’aime l’âge adulte. Bref, les sabliers et les clepsydres m’indiffèrerent. En revanche, les calendriers me déroutent. Inscrire le prochain rendez-vous chez le garagiste, marquer les jours fériés d’une croix, visualiser les échéances a un je ne sais quoi de parcimonieux et triste. Le déroulé de nos journées confiné dans un étroit carré précédant d’autres carrés ? Voilà une géométrie déplaisante. Dès lors qu’on contracte le quotidien, en présupposant que mardi et vendredi offriront une quantité analogue de choses à vivre ; dès lors qu’on se livre à une prudente pesée du réel, une sorte de dégoût m’envahit. Qui empoigne le temps ? On s’empare d’un livre, on ramasse un galet, on étreint une épaule mais on ne capte pas les heures. Les mythes l’ont dit, qui ne se trompent : c’est toujours Chronos qui bâfre. Un vassal : voilà ce que je suis face au soleil qui se couche ou au pépiement matinal des oiseaux.
Me sachant alors sous la chape d’un univers qui décompte, pourquoi me soumettrais-je davantage à lui ? Pourquoi prêterais-je le flanc à cette finitude qui n’excepte personne ? Bien que les penseurs la brandissent comme la torche de l’harmonie intérieure, la patience est une poussive sobriété déguisée en vigilance. Est-elle valeureuse, la vigie postée au sommet de son mirador, qui observe l’horizon en silence ? Elle discerne les aspérités du relief, le poudroiement du sable, les couleurs du vent mais elle-même demeure sans destin. On ne se souvient pas des attentistes...