samedi 22 août 2015

Changeons de partition !


La symétrie est une damnation. Que d'opposition facile, que de brisure nette et inconciliable. Observons comme nous tranchons : le jour et la nuit mais ne voyons-nous pas de la clarté dans le ciel le plus noir ? Et où commence la nuit ? Je donnerai un milliard d'euros à celui qui saura baliser la frontière entre le jour et la nuit ; et surtout, n'évoquez pas le crépuscule, qui est une multitude de fragments de pourpre, d'ocre, de bleu, de violet et où le ciel se déchire en lignes de brouillard orange. De même, ne me parlez pas de l'aurore, qui se charge des premiers chants d'oiseaux mais pas des chants timides, pas des chants approximatifs qui ne seraient que des promesses de roucoulements ; les chants de l'aurore sont plus solennels et plus clairs que certains chants du cœur du jour. Non, ne riez pas à cette question : quand commence le jour ? Et quand commence la nuit ? Ont-ils seulement un commencement ? 
                                                                                                                                
Je raisonne à l'identique pour le corps et l'âme. Arrêtons-nous quelques instants sur cette rupture : le corps et l'âme. Que de clichés sur cette coupure. Le corps et l'âme : que la couturière taille net la robe qu'elle crée, soit ; qu'on fragmente notre identité en deux, non. Le cerveau s'incorpore à notre crâne, il loge en nous ; quoi qu'on en dise, il n'est pas ailleurs. Alors, pourquoi le placer au-delà de notre corps ? Pourquoi le sacraliser et le considérer comme le meilleur outil de l'âme ? Et qu'est-ce que l'âme ? Nous ne l'avons jamais localisée. Je ne la réfute pas ; ce que je réfute, c'est la différence. Notre âme, c'est notre corps et notre corps, c'est notre âme. Ils s'emmêlent comme un index se croise dans un majeur. Et cette rupture qui a fait la gloire de l'Occident pendant deux millénaires, que signifie-t-elle ? Ce n'est qu'une convention. 
                                                                                                              
Quelques penseurs et quelques spiritualistes ont jugé que nous étions disjoints. Peut-être qu'ils ont pensé : le ciel n'est pas la terre, le ciel est au-dessus et la terre est cruelle. De cette dualité géographique ils auraient façonné une loi sur les hommes: "nous avons un ciel et une terre". Et alors, ils ont séparé le corps et l'âme mais de même que le ciel est infini alors que la terre est une boule qu'on peut parcourir à pied plusieurs fois en une vie, ils ont amalgamé l'âme avec l'esprit, les ailes de la conscience, la somptueuse et terrible part de nous-mêmes qui échappe à la chair. Et nous voilà morcelés comme deux jumeaux arrachés l'un à l'autre.                        
Pas de plus grande supercherie que ce profond partage. Nous ne sommes pas dissociés. L'âme et le corps sont mêlés. Voici la seule loi que je retiens sur la condition des hommes. Aucun compartiment, aucune classification ni calibrage de nos destinées. Qu'est-ce que l'homme ? Une entité. Un ensemble, une globalité dont il n'y a rien à prélever. Pourquoi briser le diamant brut ? Pourquoi tailler le séquoia ? Pourquoi morceler le trésor que nous sommes ? Notre âme s'appelle corps et notre corps s'appelle âme. Réciprocité totale et permanente.


15 commentaires:

  1. Bonsoir Gabriel.
    Il serait intéressant que tu nous informes sur l'origine de ta réflexion... pourquoi un samedi ? pourquoi en août? Un article, l'idée d'une personne en particulier a suscité ce type de réflexion?
    On pourrait considérer en effet que l'âme est en haut et que le corps est en bas. Et si cela était l'inverse.... Le corps est en haut et l'âme en bas.... médicalement, le corps est divisé en deux : le cerveau, la moëlle épinière qui en découle et le système nerveux gèrent notre corps et l'âme en est le résultat: les pas de danse, les doigts du pianiste....mais indubitablement l'un est lié à l'autre: les yeux ne sont -ils pas le miroir de l'âme? Nous formons un tout...

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  2. Merci, Corinne, pour ce commentaire avisé et plus rigoureux (scientifiquement) que le mien. N'étant pas neurologue, je ne suis pas en mesure d'évoquer les interactions de notre organisme. Ce qui m'a poussé à écrire ce texte, ce sont les milliers de phrases entendues au gré des conversations, au cours desquelles (trop souvent, à mes yeux) le corps et le psychisme sont dissociés, comme s'il y avait une antériorité de l'un sur l'autre, non pas seulement une hiérarchie de l'âme sur la chair mais une sorte de vase communiquant, de porosité regrettable, une obscure passerelle où l'un convergerait vers l'autre. Ce dualisme est pénible, d'autant plus qu'il est marqué par des siècles de moralisme et de religiosité, d'éthique puritaine et qui s'offusque d'un rien. De là la nécessité d'affirmer que nous sommes un tout, une machine des plus complexes et donc des plus exaltantes, où notre propre sang sécrète sa part de spiritualité. Pourquoi pas ?

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    1. J'aime beaucoup ta dernière phrase:notre sang sécrète sa part de spiritualité....c'est exactement cela...
      Corinne

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  3. Quelle tristesse que d'avancer l'inexistence de l'âme comme ce qui dépasse notre médiocre condition humaine matérielle. Et quel manque d'humilité que de balayer d'une poignée de mots ce qui n'est pas deux milles ans de croyances occidentales mais le fondement même des religions les plus anciennes d'orient. Et quelle bêtise enfin que d'avancer que la moelle épinière découle du cerveau et que le système nerveux régit notre âme. S'il convient de tourner sept fois sa langue dans sa bouche combien de fois cela serait il nécessaire de le faire avant de balayer d'une poignée de mots les plus grands penseurs, philosophes et essayistes. Cette arrogance affligeante qui désormais se partage et se laisse surenchérir me rappelle un proverbe que vous connaissez sûrement telle est grande votre érudition "asinus asinum fricat".
    Gabriel, où est donc passé l'auteur inspiré de "moins que force ni que rage"?

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  4. Merci Jeanne pour vos impressions et vos remarques (et enchanté, pour le coup, puisqu'on ne se connaît pas, à moins que vous vous dissimuliez derrière un pseudonyme...).
    Pour vous répondre, j'ai en effet écrit un texte lapidaire, dépourvu de références littéraire, philosophique et historique, afin d'exprimer vite mon point de vue sur un sujet complexe et contradictoire, auquel la médecine tout autant que la morale se greffent et qu'on ne peut pas circonscrire en quelques paragraphes. Il y aurait tant d'auteurs à évoquer présentement (Jean-Pierre Changeux, Axel Kahn, pour ne nommer que les plus récents) qu'un livre ne suffirait pas pour répondre de manière exhaustive à la question que je soulève.
    Cependant, votre première phrase ne correspond pas à mes propos : je crois en l'âme mais celle-ci n'est pas, à mes yeux, une entité flottante et éthérée, dépourvue de matérialité et dissociée de notre organisme...Et enfin, notre "humaine condition", pour citer Montaigne davantage que Malraux, n'est pas frappée du sceau de la médiocrité; c'est pourquoi la "partition" de l'âme et du corps n'a, selon moi, plus lieu d'être, tant elle nous renvoie aux conflits stériles et académiques de l'esprit et de la chair...

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    1. Bonjour Gabriel,
      Se dissimuler derrière un pseudonyme, voilà une idée bien fantasque que par amour du jeu je ne vais ni confirmer ni démentir. ;-) la question maintenant étant : un pseudonyme nous dissimule-t-il? Ou n'est il pas au contraire la version contemporaine de la tradition du masque vénitien qui en nous affranchissant des règles nous libère?

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    2. Bonjour Jeanne,

      Je ne pense pas, pour ma part, que Gabriel semble avoir évoqué non seulement l’inexistence de l’âme comme dépassant notre médiocre condition humaine matérielle, et encore moins d’avoir balayé des milliers de penseurs. Au contraire, à moins d’avoir très mal compris, il les évoque sans donner les références, je l’accorde. Mais vous-même ne semblez pas y accorder la moindre importance car vous n’en faites aucune de votre côté. La seule référence que vous faites est une expression latine « asinus asinum fricat » (les imbéciles se congratulent), pour dire que nous sommes des crétins…. Comme référence intellectuelle, il y mieux, non ?

      Pour ma part, dans le simple point de vue de Gabriel et je n’y vois aucune arrogance.

      En outre, si émettre un point de vue est synonyme de manque d’humilité, je crains que la liberté d’expression soit alors mise en danger, et toute réflexion mise à mal, quelle tristesse… Toute idée peut être défendue, nuancée, critiquée, mais la critique se doit d’être argumentée et fondée. Sinon elle reste facile, à la portée de tous…et du coup pas très crédible….

      Pour revenir à l’évocation du dualisme âme et corps, à l’immortalité de l’âme, les références sont en effet multiples et nombreuses : Aristote, Descartes, Platon, entre autres… on pourrait en faire une thèse, mais il ne me semble pas que cela en soit l’objectif…

      Enfin, nous sommes certes des êtres spirituels, à la différence des animaux (quoique cela pourrait être aussi l’objet de réflexions), mais pas que…. Nous sommes aussi faits de chair et sang, et pour aller plus loin de connexions, d’électricité et d’eau, pour finir en poussière… et cela est une réalité. Cela pourrait aussi susciter d'autres débats sur les sépultures en Egypte Ancienne...
      Bref, est-il possible d'élever le débat en ne tombant pas systématiquement sur de basses comparaisons avec les ânes et les masques vénitiens...?
      Corinne LUCY

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    3. Bonsoir Corinne,
      A défaut d'élever le debat, je vous propose de le clore et d'accepter notre divergence d'opinion. Vous avez aimé ce texte, moi non. Je n'ai pas plus adhéré au fond que je n'ai été séduite par la forme. Pour avoir lu d'autres textes de Gabriel, je pense, et c'est donc mon avis personnel, qui n'engage que moi, que ce texte était décevant, facile. Il y a sur ce blog des textes réellement magnifiques. Et j'ai trouvé que celui-ci n'était pas à la hauteur du talent dont sait faire preuve Gabriel. Enfin, pour avoir étudié les neurosciences votre commentaire m'a complètement sidérée par son inanité.

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  5. Jeanne, ou qui que vous soyez, professeure d'arts plastiques dans le Val d'Oise ou assistante sociale dans les Yvelines, si vous avez lu mon texte sur l'esprit scientifique (intitulé "la bosse des maths" et posté sur le blog en avril 2013), vous savez à quel point mon intelligence logico-mathématique est limitée. Je ne l'ai pas écrit pour qu'on me contredise, d'autant plus que je l'ai adressé à Cédric Villani, qui m'a répondu sans me mépriser. Mais la vérité est ainsi : je suis un littéraire "pur jus". Par conséquent, je n'argumenterai pas dans une optique biologique, neuronale, etc. L'humilité est une arme précieuse...C'est là que la vision poétique peut agacer. Je m'y situe et ne m'en éloignerai pas, aussi éruptive, brumeuse, incandescente et insoluble soit-elle. Quant à la qualité intrinsèque de mon texte, il n'est pas celui qui m'est le plus cher. Moi qui ne cesse de conspuer Mallarmé, pour une fois, je m'en réclamerai : le vers, d'après moi, constitue la quintessence formelle de l'écriture. Il n'y a, d'après moi, rien de plus jubilatoire que cette "créativité carcérale". Dès que j'ai recours à la prose, une sorte d'étrangeté m'envahit, qui me prive de la liberté des volcans...Nous voilà exilés de nos considérations, à moins qu'un hémisphère de notre cerveau ne soit prédisposé pour le lyrisme. Au-delà de nos lectures respectives, je reste persuadé que le saucissonnage subi si longtemps sur le globe (d'un côté, le vilain corps pulsionnel; de l'autre, l'âme blanche et élévatrice) a lésé, voire meurtri des millions d'entre nous.

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  6. coup-coup !!
    dis donc ça bouge sur ce forum...c'est l'endroit ou il faut être !!!
    réflexion intéressante ...(quoique pas nouvelle)
    Ma réflexion a chaud :peut-être que c'est un problème de définition des mots qui vous sépare .
    quand on parle du corps on parle du corps que l on perçoit avec nos sens.
    peut être que notre corps est différent notre perception que l on a de lui...
    je m explique :(je ne parle pas d'une aura qu on ne pourrait voir et qui nous entoure...) lorsque je regarde mon bras il est parfaitement défini par mon "psychisme-mental-cerveau-etc" :il est défini par la sensation interne quand je le bouge,sensation "externe" quand on le touche,il est visible par l’œil etc...
    bref la réalité telle qu'on se la créée après décodage de tous les ondes sensorielles...
    donc au final on a aucune idée de ce qu il est vraiment avant notre décodage.
    c'est de cette façon que je comprends la phrase :
    Notre âme s'appelle corps et notre corps s'appelle âme

    et donc là c'est le chant/champ des possibles

    signé l'anonyme masqué

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  7. Les Stradivarius...ne font qu'un entre leur corps et leur âme ce qui leur donne cette consonance exceptionnelle.
    Et pour les hommes cet état d'être, on le nomme parfois plénitude.
    État d'être suprême que l'on atteint lorsque nous sommes en harmonie avec soi même. ..(corps et âme ) Que l'on ressent raisonner la partition de notre musicalité intérieur avec une immense allégresse!
    Signé : une âme vagabonde

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  8. Merci pour votre précieux commentaire, âme vagabonde du nord de Paris.
    Je partage votre point de vue sur le fait que le réel ne peut nous faire transir et, par conséquent, nous élever (en travaillant la glaise pour sculpter un buste, en participant à une soirée festive, en écoutant frémir un cyprès secoué par le vent ou au son des premières notes de la Symphonie inachevée de Schubert) qu'à la condition où nous portons en nous-mêmes une part de sérénité, certes faillible et incomplète, mais qui évase notre conscience et nous fait jouir, dans l'opportunité rieuse de l'instant, de la splendeur du monde et des êtres….

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  9. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  10. Donc tu es moniste comme Spinoza, tout ce qui existe – l'univers, le cosmos, le monde – est essentiellement un tout unique, constitué d'une seule substance contrairement à ce que soutiens le dualisme qui disjoint le monde matériel et spirituel. Spinoza dit au livre III de « l'Éthique » que « l'esprit est l'idée du corps». Spinoza ne pose pas deux substances, mais une seule. "Cette substance possède cependant une infinité d'attributs. Le psychisme est une manifestation de la substance, au même titre que la matière et que tout ce qui se trouve dans l'étendue. Mais selon des modalités différentes. J'ai trouvé cela dans wikipédia : "L'apparente relation de cause à effet entre corps et esprit (quand on boit de l'alcool par exemple, ou quand la volonté de bouger son bras est suivie d'effet) et le résultat d'une causalité commune. Corps et esprit sont deux manifestations d'une même substance et d'une même cause, tout comme l'image et le son au cinéma sont deux manifestations de la même pellicule, que pourtant le spectateur ne voit pas". (renaud)

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  11. Merci Renaud, pour tes commentaires, les références philosophiques que tu mentionnes ainsi que la sagacité de tes réflexions. Pour te rejoindre, je vais à coup sûr radoter mais je n'arriverai jamais à couper l'individualité de chacun de nous en deux "portions", deux tranches sectionnables avec d'un côté, nos manifestations charnelles, organiques et d'un autre côté, notre part de spiritualité, d'aspiration insaisissable à nous élever vers un ciel auquel, en fin de compte, il ne revient qu'à nous seuls, humbles humains, d'assigner l'infini. Spinoza n'a pas été suffisamment lu et écouté...

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