lundi 9 mai 2016

Repentirs


Les faussaires vont en prison. Parce qu’ils ont peint une toile avec tant de minutie et de virtuosité mimétique qu’ils ont leurré les marchands d’art sur sa provenance, ils sont punis par les tribunaux de la justice. Ont-ils dépouillé tel musée d’une de ses œuvres ? Jamais. Ont-ils volé le tableau d’un mécène ? Encore moins. Ont-ils agressé quelqu’un ? Pas à ma connaissance. Ont-ils tiré au fusil ? Blessé au couteau ? Les seules armes que vous trouverez chez eux sont des pinceaux. Ont-ils menacé ? Diffamé ? Harcelé ? Dans leur atelier, ils travaillent sans quereller. Alors, quel est leur crime ? Pour quel chef d’accusation se sont-ils retrouvés devant le box ? Qu’ont-ils commis de mal pour être passibles d’une peine d’emprisonnement ? Reproche-t-on à un poète de nous émouvoir ? Accuse-t-on le clown de nous avoir amusés ? Intenterons-nous un procès à ces comédiens qui nous ont, le temps d’un spectacle, fait voir le monde autrement ?
Car j’ignorais que dessiner puisse relever d’une activité criminelle ; que poser des couleurs à l’intérieur d’un cadre puisse constituer quelque chose de dangereux, de blâmable : et dans cet étonnement qui n’est même pas un tiraillement ou de l’incrédulité, la certitude qu’ils sont puissants affleure en moi. La malhonnêteté qui les entoure, le mensonge sulfureux qui les encercle, l’imposture dont les commissaires-priseurs et les galeristes les recouvrent comme d’un drap trempé de boue ; ce qu’à propos d’eux on nomme contrefaçon ne dévoile-t-il pas au contraire un je ne sais quoi de talentueux, une amorce de force créatrice, une promesse d’inventivité qui a déjà dépassé le stade de la promesse ? N’a-t-il pas malgré les mots négatifs avec lesquels on le mentionne une authenticité évidente ? Décelez-vous comme moi la beauté d’une posture, qui ne choquera que les choquables et ne fera gueuler que les académistes agrippés à la certitude que l’art suit un seul chemin, au tracé lisible et confortable, qu’ils ont plaisir et arrogance à arpenter ? Ceux-là qui passent pour trompeurs, malversateurs, bluffeurs des splendides entreprises de l’âme, sont-ils moins sincères que les milliardaires levant l’index lors d’une enchère à Drouot pour montrer qu’ils sont preneurs d’avoir chez eux une toile de maître ?
Pas moins de vérité dans ces hommes qui composent dans la brume ! Pas moins de dignité pour ceux qui se sont toujours imprégnés d’une œuvre qu’ils ont reproduite comme un mime soucieux d’implicite et de complicité. Qu’ils survivent sans contestation, Wolfgang Beltracchi, Guy Ribes et d’autres pour avoir réinterrogé la source de l’art comme à la maternité, une famille se demande d’où provient la beauté de celui qui vient de naître !
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5 commentaires:

  1. Hello Gabriel !
    Les faussaires sont des escrocs talentueux et Beltracchi (et son épouse) en font partis.
    Corinne

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  2. Corinne,

    Les faussaires passent pour malhonnêtes parce que la loi les condamne mais, à mes yeux, ils sont des artistes à part entière car ils composent des toiles NOUVELLES à la manière d’un tel ou d’un tel. Loin d’eux la démarche de copistes en manque d’inspiration ! De plus, ils prennent à rebrousse-poil nos habitudes de spectateurs en nous murmurant à l’oreille d’une voix amusée : « Eh oui, la créativité est chose complexe, elle ne se limite pas à un patronyme prestigieux ni à l’estimation qu’un commissaire-priseur fait d’un tableau. » Il y a, chez eux, une sorte d’insolence érudite qui me les rendra toujours sympathiques. En outre, ils nous interrogent sur les origines de la création : où commence le style ? Ne consiste-t-il qu’en l’innovation ? N’est-il pas aussi lié à une aptitude à reproduire avec tant de maîtrise et d’habileté qu’il nous leurre à la façon d’un trompe-l’œil ? Dès lors, que ferons-nous des centaines de tableaux attribués à Rembrandt et sur lesquels il n’a pas posé le moindre coup de pinceau ? Enfin, n’est-ce pas rendre un suprême hommage à un peintre que de prolonger son œuvre aux dépens de ceux qui, en la regardant, voudraient avoir des prudentes et mesquines « garanties » qui les dispenseraient de la scruter plus profondément, comme si l’expérience artistique devait être une promenade confortable et balisée ?

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    1. Gabriel,
      La reproduction n'est pas la création. La création artistique est un exercice de la pensée, un regard autre sur le monde. Auguste Rodin affirmait que l'art, c'est la plus sublime mission de l'homme puisque c'est l'exercice de la pensée et qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre.

      Chaque artiste tente à sa façon, de porter une vision et une représentation d'un univers qui leur est propre. L'art ne reproduit pas le visible, il le rend visible, affirme Paul Klee.

      L'art est aussi considéré comme dépassement de la mission de l'homme, c'est dans l'Art que l'homme se dépasse définitivement lui-même, note Simone de Beauvoir dans Privilèges.

      Beltracchi a un don :celui de peindre à la façon de Braque, Max Ernst et Raoul Dufy, des univers aussi différents qu'insolites et incroyablement séduisants.. Mais a t-il eu cet exercice de la pensée? a t-il voulu transmettre un message philosophique, sentimental, politique dans son œuvre? a-t-il désiré se dépasser humainement. Je ne le crois pas.

      Alors quelle était la raison suprême à ne pas vouloir signer ses œuvres ? Le manque de confiance en lui? est-il un artiste frustré en manque de reconnaissance? attiré uniquement par l'argent? il affirmait ainsi que si je n’avais voulu ne faire que de d’argent, j'aurais pu peindre 2 000 toiles. Je n’en ai fait que 300 en quarante ans, une centaine de peintres différents dont, souvent, je ne recréais qu’un tableau. Pare que j’étais paresseux, mais aussi parce que c’était le but : m’approprier l’écriture d’un artiste, juste une fois, et qu’un expert avalise ma création.

      Appropriation de l'écriture d'un artiste : comment interpréter cette idée? vol ? copie des plus grands, des plus talentueux afin d'être reconnu en tant qu'artiste à travers eux.
      Sa propre écriture artistique ne semble pas lui convenir car il recherche en outre la validation des experts.
      Il ne possèderait selon lui ni la plus-value ni le talent spirituel du véritable artiste.

      Il s'est ainsi mué en faussaire et critique d'art car il porte un regard probablement objectif sur sa propre création.

      Mais le marché de l'art était pour lui un terrain de jeu, une blague. La manière consistait à convaincre les plus éminents spécialistes de l’authenticité des toiles.

      Il a peint en outre de nouvelles œuvres à la manière d'un Ernst ou d'un Dufy car ce que je réalisais, c’était le tableau qu’ils auraient dû faire si le temps ou les circonstances le leur avaient permis. Ainsi de faussaire, il est aussi doublé d'un égo surdimensionné, s'estimant connecté spirituellement avec les plus grands.

      En conséquence, ce ne sont pas les pinceaux du peintre qui sont condamnables mais bel et bien l'art de la reproduction.

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  3. Le marché de l'art est par ailleurs un marché très sensible. Il existe un marché de l'art avec des mécènes, artistes et collectionneurs d'art très sérieux qui peuvent investir des millions dans certains tableaux car l'art peut nous procurer des émotions intenses. Il parle à nos sens et notre âme. L'acteur américain, Johnny Depp qui possédait plusieurs toiles de Basquiat a une profonde admiration pour ce peintre: rien ne peut remplacer la chaleur et l'immédiateté de la poésie de Basquiat ou les questions et les vérités absolues qu'il a délivrées dit-il.


    Basquiat atteint par ailleurs des sommets dans le marché de l'art. Deux de ses toiles ont été vendues pour 11,5 millions de dollars lors d'une vente chez Christie's à Londres.

    Les estimations et les prix d'achats peuvent doubler voire tripler.

    Pork estimée à 3,35 millions de dollars, a été achetée à 6,8 millions de dollard et self-portrait estimé à 1,5 million a été vendu à 4,7 .

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  4. Les prix dépendent des acheteurs, ou plutôt des désirs des acheteurs. La côte de popularité des peintres dépend aussi de la vie de certains artistes.

    Jean-Michel Basquiat, comme Keith Haring sont deux artistes américains, morts l'un à 28 ans d'une overdose, l'autre à 32 ans du sida.
    Leurs mort violente en pleine jeunesse ont contribué à faire d'eux des mythes.

    Ainsi le marché de l'art est un marché en pleine mouvance et possède de multiples paramètres qui arbitrent la valeur à une peinture: les acheteurs, vendeurs, marchandises, démarches commerciales, foires et salons, spéculations financières sont les cadres de ce marché.

    D'après l'enquête de trois chercheurs, Collectionneurs d’art contemporain : des acteurs méconnus de la vie artistique – publiée par le Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture et de la Communication. Entretien avec l’un de ses trois auteurs, Nathalie Moureau, maître de conférences à l’université Paul-Valéry de Montpellier, pour certains, le coup de cœur ne joue pas : ce sont des collectionneurs qui réfléchissent beaucoup avant d’acheter une pièce, font des recherches sur la démarche de l’artiste, souhaitent lui apporter un soutien et ont grande confiance en leur jugement. La pièce choisie doit en outre s’inscrire dans une histoire de l’art en train de se faire. Pour d’autres, on retrouve ce même amour de l’art, mais le motif de distinction sociale compte également. Ils n’ont généralement pas une aussi grande connaissance de l’art et vont avoir tendance à acheter des œuvres d’artistes déjà reconnus ou à se fier à certains conseils.

    Effectivement, ce monde est aussi rempli de personnes qui commandent des faux sans scrupules. Mais la majorité est aussi souvent des collectionneurs véritablement épris d'art et dont leur objectif est de faire connaître les artistes en herbe.

    François Pinault qui a une fondation et possède la maison de vente aux enchères Christie’s réalise un écosystème du marché de l’art quasiment à lui tout seul ! Nous voulions montrer qu’à côté de ces collectionneurs emblématiques, il existe un tissu de collectionneurs peut-être moins connu et fortuné mais tout aussi essentiel à la diversité artistique et au fonctionnement du marché.

    Par ailleurs, la maison Christie's a vendu Les Femmes d'Alger de Picasso près de 180 millions de dollars (161 millions d'euros) en mai 2015 à New-York, record absolu pour une vente aux enchères.

    Le prix de ses œuvres peut paraître excessif à certains pourtant il est tout à fait justifié, si l’on en croit Thierry Ehrmann. "On est passé de 500.000 grands collectionneurs à 70 millions de collectionneurs et amateurs de l’Art dans le monde et il s’est construit plus de musées internationaux entre 2000 et 2014 que durant tout le 19e et le 20e siècles compris. Le marché a faim et ses musées ont besoin d’œuvres de qualité muséale voir historique." Lors de cette vente de nombreuses œuvres ont en effet été achetées par des fonds muséaux. (sources: Site internet : France Info, du 12 mai 2015).

    Nous savons que beaucoup d'artistes se sont exercés à imiter les peintures d 'artistes précédents afin d'acquérir la maîtrise de leur discipline, mais dissimuler volontairement et faire passer la peinture pour des originaux et a eu l'audace d'en créer des nouvelles au nom des peintres défunts est un délit et les pinceaux des faussaires ont été de redoutables armes.

    Actuellement, Beltracchi doit rembourser 20 millions d'euros aux acheteurs floués.

    Mais je l'aime bien quand même ton génie (en manque de reconnaissance) !

    Bonne rentrée !
    Bise
    Corinne

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