dimanche 25 février 2018

Vie de Bastien Larampe


Il jouait à la pétanque le jeudi, en milieu d’après-midi, avec trois, quatre ou cinq personnes qui le conseillaient pour placer ses boules. Quelques mois plus tard, après avoir essuyé plus de défaites que de victoires, il s’inscrivit à La Godasse, une amicale de marche, pour des promenades deux dimanches par mois, en forêt de Rambouillet ou dans la Vallée-aux-Loups. La succession des champs, le chant des oiseaux, l’humide fraîcheur des lisières, les commentaires des randonneurs le lassèrent ; il les quitta pour Vive la vague, un club de voile regroupant une vingtaine d’étudiants qui s’entraînaient le samedi à la base nautique de l’Hautil, sur un lac artificiel creusé dans une butte où le vent s’engouffrait. La technicité de ce sport, le choc et la fréquence de ses chutes dans l’eau, la compétitivité entretenue par les autres, sa combinaison qui l’irritait à l’entrejambe et la distance à parcourir à pied jusqu’au parking finirent par le rebuter.

Après ces activités physiques, il voulut pratiquer quelque chose de plus esthète. Pendant un an, il prit des cours de guitare avec un ancien premier prix du conservatoire de Lons-le-Saunier. Son assiduité et son volontarisme lui permirent, chaque fois qu’il passait une soirée en famille ou auprès de ses amis, de leur jouer l’intro de Stairway to heaven.

Avec ce que la satisfaction exalte et pousse à renchérir, il s’essaya au piano. Dérouté que cet instrument possède davantage de touches que l’autre n’a de cordes, il se détourna de la musique pour les échecs, où il fut meilleur qu’ailleurs : sa capacité à anticiper les coups de l’adversaire, conjuguée à sa rationalité scientifique, le mena en demi-finale du tournoi de Pontoise, où il fut battu par un adolescent originaire de Corée du Sud, que son père adoptif, l’ayant sorti d’un orphelinat de Séoul, présentait comme un futur Grand Maître.

Ce nouveau revers l’orienta vers le rôlisme : entre amusement et rituel, observance et subversion, il acheta un glaive, une cape de bure et une gourde en peau dans un magasin de folklore médiéval puis se rendit plusieurs fois à des agapes célébrées dans les catacombes ou en forêt, sous un dolmen. Ignorant l’ésotérisme, il se sentit étranger à cette foule déguisée qui en savait plus que lui. Son arme claquant sur la cuisse, il rentra chez lui un soir où on refusait de lui expliquer ce qu’est l’hypocras. 

Les semaines qui suivirent furent des semaines de malaise ; il en conclut que s’affubler d’un costume de chevalier ne suffisait pas à son bonheur. Afin de se divertir sans se troubler, il alla tous les mardis à L’Oya, un bar à jeux qui servait des jus de légumes. À ceux de stratégie, malgré de l’aisance et de la réactivité, il fut battu par les habitués qui semblaient risquer leur vie sur le plateau ; quant à ceux de culture générale, bien qu’il ait lu des dizaines de livres, il fut devancé par ceux qui, connaissant déjà les réponses, les débitaient sans plaisir.

Il entreprit alors quelques parties de poker au sous-sol d’une brasserie tenue par deux frères autrefois condamnés pour détention d’armes : l’ambiance confinée du lieu et son penchant à l’avarice lui faisant craindre de perdre de l’argent, l’en éloignèrent.

À près de quarante-cinq ans, dépité de ne s’épanouir nulle part, il choisit un sport où l’âge est un atout : le marathon. En plus de courir quinze kilomètres trois fois par semaine, il changea d’hygiène, mangea du riz, du blanc de poulet, des biscuits vitaminés, acheta un short anti-frottement, régla son quotidien sur ses entraînements, fit la sieste et pour éviter les courbatures, chaque vendredi, il se rendit chez sa voisine, une masseuse retraitée qui continuait d’officier pour des tarifs avantageux. 

Un dimanche matin, au stade Franck Sauzée, une femme qui comme lui faisait des longueurs de terrain, le salua. Longiligne, aux cheveux roux qui frisaient, les yeux fins et vifs, plus de charme que de beauté, attirante et même davantage malgré des dents noires : la vigueur qui émanait d’elle plut à Bastien ; et ayant passion commune, ce fut facile de discuter.

L’automne d’après, au marathon de Reims, ils s’élancèrent ensemble sur la ligne de départ. Quarante-deux kilomètres plus tard, il trouva une sorte de gloire de franchir la ligne avant elle. Tous les deux en sourirent.

Récemment, on les a vus courir autour du lac d’Eaubonne, en menant devant eux une poussette où s’ébattait une petite fille.














3 commentaires:

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  2. Belle histoire, a se demander si cec'e une fiction. Ce conte laisse imaginer que c'est toujours lorsqu'on chercher le moins qu'on trouve les meilleurs choses. Après que Bastien ai cherché tant de sport a prayoquer, tant de hobbies, c'est après cette quete, qui semble avoir durée des années, qu'il trouve quelque chose d'inattendu, quelque chose qu'il ne cherchait plus. Une femme. Très belle histoire qui a des aspects de contine.

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