mardi 17 janvier 2023

L'épopée d'un enfant


 

16 commentaires:

  1. Cher Gabriel,

    Merci beaucoup pour l'envoi du second exemplaire, si aimablement dédicacé. J'ai fini hier de lire ce Nouvel An, dont je vous félicite, qui mêle avec virtuosité prose et poésie, Espagne et monde germanique, actualité et légende, et des réminiscences, dans une langue culta et étonnante, à la fois d'un Gide sous acide et d'un Lautréamont contemporain. Au plaisir de continuer à vous lire dans un avenir le plus proche possible, je l'espère,
    Avec toutes mes amitiés,
    EMMANUEL LE VAGUERESSE

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  2. Je suis loin, très loin d'une explication de texte. Cependant, déjà, mon imaginaire vole loin, je me sens comme cet alpiniste amateur qui s'initie à l'escalade au pied d'une colline proche de chez lui, en s'imaginant un jour s'attaquer à l'Everest. Jamais il n'atteindra son but sans doute mais il est heureux dans ses rêves.
    Percer le mystère d'une langue aussi soignée et mise en valeur : voilà pour le moment mon attente et mon plaisir. Saurai-je dire, exprimer davantage plus tard ? Est-ce pour l'instant trop prétentieux ?
    Merci à toi de te donner et de te livrer aux autres. Cela nécessite un grand savoir et aussi une grande humilité. Tu sais que la beauté de la langue est ce qui m'intéresse par-dessus tout ; évidemment, si le sujet est profond et touche à la profondeur de l'être, cela m'intéresse au plus haut niveau.

    De tout cœur,
    Carmen Correard

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  3. Cher Gabriel Zimmermann,

    Je vous remercie de m’avoir envoyé Le Nouvel an, dans lequel je me suis plongé à notre retour de Lyon. À vrai dire, je sors un peu étourdi de cette longue quête du frère de Gwenaël, quête qui ne fut pas vaine puisque Gwenaël retrouve son frère à la dernière page, prêt à courir désormais sa propre aventure, dans l’espace ouvert d’une plage puis d’une route « plus large que celles auparavant traversées ». Jusque là, ce sont surtout les rencontres qui m’ont servi de points de repère, avec Leopoldo, Almirati, Barivan, le dragon Foraja, la femme à la grossesse éternelle, Kobayaté…Je me raccrochais aussi à quelques noms connus et au décor familier à notre mémoire que vous savez évoquer autour d’eux : Marseille et Rimbaud, Prague et Ian Palach…C’est parfois l’œuvre qui permet au nom de s’incarner : les Ménines de Vélasquez ou ce vers qui fait merveilleusement écho à tous ceux de Lorca : « Tu as mis dans tes vers tant de grillons…» Et puis il y a la lumière de ce « O » solaire qui éclaire la quête et se retrouve au-delà des nuits pour annoncer d’autres rencontres, d’autres mains tendues.
    En vous remerciant de votre confiance, je vous prie de recevoir mon bien cordial souvenir.

    Jean-Pierre Lemaire

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  4. J'ai lu Le Nouvel An et je dois dire que j'ai été un peu abasourdi par la densité de la langue ! Bravo ! C'est un livre exigeant qui raconte une quête et qui est lui-même cette quête ; un récit qui retrace un pèlerinage parmi un paysage d'Apocalypse et qui est également ce paysage symbolique, fait d'images, de sons et de mots, que le lecteur traverse. Je vois mal désormais comment on peut aller plus loin dans cette voie, c'est pourquoi je vois ce livre comme un aboutissement et une récapitulation. On retrouve de façon centrale le désir radical, pugnace, intransigeant de comprendre la mort et le défi poétique de vivre par-delà dans un enracinement très concret, parmi les êtres et les choses simples vivant autour de nous comme autant d'amis. Il y a beaucoup à dire, c'est un livre qui demande à être relu mais en attendant, voici un article ci-dessous qui se concentre sur les points qui (à mon humble avis) m'ont marqué.
    J'ai lu Le Nouvel An comme une fresque poétique énorme, tendue à se rompre vers ce "O" définitif et flamboyant qui se dérobe sans cesse à l'horizon - bouche insolente de feu, tout-puissant portail, voûte maléfique ouverte sur l'Au-delà où l'Ami, incompréhensiblement, fut assumé, laissant entre nos mots fragiles une absence qu'il faut sauver de l'abîme en la proférant à jamais. Le poète, avec à son cou l'enfant Gwenaël, cet autre lui-même, peut-être, entreprend une descente aux enfers hallucinée : commence un pèlerinage dantesque dans des cercles toujours plus profonds de soi-même, parcouru d'une farandole de masques, de créatures atroces, vies déçues, destins rongés de remords mais de vrais compagnons de fortune aussi. Le poète et l'enfant, pour retrouver l'Ami, le frère parti devenu Autre, ne disposent que de cette nuit initiatique où se mélange le monde des morts et des vivants - entre-deux interlope sous la pluie qui perce : la nuit du Nouvel An où la fête engloutit combien d'angoisses parmi les rires ? Le récit nous entraîne dans un univers symbolique souterrain, extrêmement pictural dans le jeu des lumières et des ombres qui le baigne, véritable cathédrale de mots engloutie, bâtie de vers intransigeants à la lame tranchante, où les métaphores empoignent le réel à pleines mains, enchaînent les contraires si la vérité humaine l'exige avant de se résoudre, parfois, en des mots quotidiens, tendres, concrets ; mais voici que le récit reprend, épique, éperdu, brûlant d'un idéalisme dont la sincérité n'hésite pas à plonger les deux mains dans le grotesque, la crudité autant que dans le mystère infini - puisqu'il le faut - afin que le poème, les yeux rivés sur le réel gratté à l'os, son maître, persévère à dire une quête d'où sont bannis mensonges et démissions. Ce livre, dit le poète, est bien sorti de l'Atroce et de l'Informe et c'est en effet un livre exigeant où les images s'éclairent progressivement les unes les autres, une épopée intime parfois jetée au lecteur comme un défi à relever. Les poèmes versifiés, posés en miroir tout au long du récit qu'ils scandent, interprètent - coryphées méditatifs - et voudraient transcender la violence de ce pays surréel, digne d'un tableau de Bosch, peuplé de monstres mythologiques, d'enfants macabres et de damnés maudits d'avoir cédé aux sirènes de la démesure. Où trouver la puissance, sinon dans les mots qui peignent, fidèles à leur place pour mener cette contemplation de la mort, c'est-à-dire de la vie qui court après elle et pour dire le pouvoir de la poésie à tisser les deux, vie et mort, en un même manteau qui recouvre nos vides et panse nos béances ?

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  5. Parfois, le découragement guette le poète mais certaines échappées plus sereines le reposent, lui et l'enfant, dans leur errance ; un carnavalesque plus joyeux égaye leur course, leur rappelant qu'ils sont humains et que vivre, c'est aussi savoir rire ; et quand les angoisses de l'enfant se font trop fortes, le poète lui glisse, à l'oreille, un conte qui le console et lui masque un réel que l'imagination, comme une torche magique, voudrait réenchanter. Je vois ainsi ce livre comme le lieu d'une lutte poétique, d'un combat quasi-spirituel qui voudrait rattraper la mort et l'exorciser. Cette lutte se résout à la fin par une évocation dont la sérénité embaume l'épreuve de la nuit désormais traversée, comme une sorte de consentement au monde doublé d'une attente qui l'interroge encore : en cela, cette œuvre a l'optimisme modeste et forte de l'expérience bue jusqu'à la lie. Plus généralement, Le Nouvel An apparaît également comme un carrefour où se mêlent diverses influences esthétiques - littéraires, mythologiques, picturales ; un sommet qui récapitule plusieurs genres d'écriture et fait la synthèse des diverses facettes du pouvoir d'écrire. En ce sens, cette fresque ressemble à un aboutissement où le poète mène cette réflexion en abyme sur son écriture et sur la mission du lecteur complice, dont la patiente attention est le gage de l'immortalité du poème. Chaque genre convoqué dans ces pages semble avoir reçu un rôle particulier : le récit dit sans concession l'horreur du royaume des morts ; la poésie versifiée s'en saisit pour lui donner du sens comme on donne la vie et le conte les entrecoupe pour nous consoler, nous et l'enfant et réenchanter d'un philtre fragile une réalité aigrie de trop d'angoisses. Il y aurait beaucoup à dire encore mais tentons un dernier mot sur la dimension éthique de l'écriture dans Le Nouvel An qui, comme souvent d'ailleurs, vient se mêler au geste poétique. Les pages sont peuplées d'impératifs et d'interrogations coupantes comme des silex : c'est que le poème est aussi le lieu d'une réflexion sur ce qu'il convient d'être et de faire - on retrouve notamment l'importance donnée à ce qu'on pourrait appeler la stabilité créatrice - hybris sensé, loyauté rageuse - qui préfère l'enracinement à la fuite ou à la stérilité mélancolique. Alors, le poète et l'enfant repartent et comme des rayons percent la nuée, surgissent des touches de lyrisme par-delà le tourment sans réponse. C'est une émotion qui coule du poème après qu'il s'est épuisé, dans son désir de comprendre et qu'il suspend un instant d'extrémiser l'Ami ; une émotion claire, qui se dit par-delà la cérébralité et qui a la concentration et la simplicité d'une larme.

    Maxence Quillon

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  6. Bonjour Gabriel,
    J'ai lu "Le Nouvel An". Les deux premiers récits posent très bien l'intrigue et sont très poignants.
    J'ai vibré en empathie de cette ambiance de fête folle "obligatoire", de ces conventions qui veulent qu'on s'amuse forcément ce jour-là de l'année ! Je comprends ce sentiment de décalage lors de festivités convenues dans le "grand théâtre du monde".
    Les récits qui suivent sont comme un tourbillon qui m'a rappelé le carnaval que nous venons de vivre (nous habitons en Martinique depuis 4 ans). Se sont succédés 4 jours intenses de festivités où diables rouges, hommes travestis en femmes et femmes en hommes, esclaves échappés dans les montagnes (les "nèg mawons"), et autres figures typiques du carnaval martiniquais ont fait leur apparition à la fois effrayante et grandiose, en une somme infinie de cortèges étourdissants où chacun devient autre ou pleinement soi. Nous venons juste de vivre ce tourbillon et votre récit m'y a comme replongée !
    Avec des accents plus tragiques, cauchemardesques à bien des moments, dans une ambiance de fin du monde et post-apocalyptique.
    Je ressors de la lecture de votre roman troublée par les visions irrationnelles, surnaturelles, de réalisme magique.
    La vérité de votre œuvre est surtout celle des émotions. J'ai ressenti toute votre peine de la perte de votre ami-frère. J'ai été profondément touchée par le poème "Intermède" (p.219). La troublante rencontre avec cet enfant qui a perdu son frère fait resurgir vos souvenirs, votre passé, vos lectures, en un tourbillon de références livresques, savantes, autobiographiques, en un palimpseste fractal, où le morcellement cherche à devenir un tout cohérent et lumineux dans le O d'un reflet apaisant dans le miroir de l'avenir. O de l'Origine soignant l'intolérable Fin. Remplacement du linéaire par le cyclique. Roman d'apprentissage aux accents picaresques, parcours initiatique, quête de l'Anneau de pouvoir, celui qui, à travers l'aide finale offerte à l'enfant pour qu'il retrouve son frère, permet de soigner la perte. La réunion finale comme une guérison, réussie grâce au courage et à l'aide apportée. Une reprise en main du pouvoir face à la passivité de n'avoir pu rien faire face au cancer.
    Cet enfant, l'ange blanc, n'est-il pas à la fois Nicolas, mais surtout vous-même ? Qui retrouvez votre "frère" à travers Gwenaël, vous qui avez un prénom d'archange.
    Bravo pour votre livre. Il est déroutant, savant et difficile d'accès, et c'est justement ce qui permet au lecteur de vivre et ressentir votre épopée terrifiante et lumineuse.
    Belle journée à vous !

    Aude Richeux-Diano

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  7. Voici deux mois et demi que votre ‘Nouvel An’ a paru que déjà des
    lecteurs perspicaces s’en emparent de façon saisissante, lecteur et lectrice qui ont mûri leur lecture, prenant la peine de remarquer la clarté de l’écriture tenue des premiers récits, à l’inverse de la
    sensation déstabilisante produite chez d’autres qui se seront jetés à froid dans l’aventure, comme vous me l’aviez confié. C’est preuve que votre récit s’ouvre à nos yeux, oreilles, et imaginations, de façon inédite, et qu’au-delà d’un conte fantastique, il est, selon l’intuition de Maxence Quillon, un long ‘poème’, du moins, une épopée baroque (‘l’épopée d’un enfant’, comme vous l’annoncez sur votre blog, bien sûr) de trois cents pages, à multiples facettes réfléchissantes, riche d’épisodes en prose (blocs de dialogue inclus), et de poèmes contrapuntiques en vers, qu’il faut donc aborder avec vigueur, à moins,
    comme votre alter eGo le suggère, de ‘s’[y] élancer’, comme un faucon à la vue perçante. Difficile dès lors, voire impossible, à un seul lecteur de suivre, explorer, épuiser, toutes les pistes, fausses pistes, embranchements, choix en trompe-l’œil, de cet ouvrage initiatique ‘extra-vagant’ (si je peux me permettre cet adjectif décomposé, pour qualifier une errance nocturne d’outre-monde parmi les morts-vivants d’une nuit d’hiver) dopé au surréel (onomastique en premier lieu), que vous avez enfanté, l’éveillant d’une main (c’est un réveillon), même si je ne peux m’empêcher d’adhérer à la lecture globale de Maxence Quillon, complétée
    de celle d’Aude Richeux-Diano, qui replacent tous deux très justement votre texte au sein de votre œuvre, et vie, ici nommée et chiffrée (nel mezzo del cammin di vostra vita).
    Chacun y entendra ensuite dans le foisonnement des épisodes trépidants les échos en sous-texte de sa propre expérience et culture, qui embrassent, en ce qui me concerne, l’oppression des rêves de foule, les attentats de Paris, les compagnonnages de Dante, Tolkien, Brecht, à tort ou à raison, au-delà des références à Rimbaud, au Lazarillo de Tormes, à Ausiàs March (et la fauconnerie), à Federico Garcia Lorca, à Gérard Garouste, ... à tous nos griots, nos hérauts, nos chevaliers, leurs chimères, nos bestiaires, nos peurs diurnes, nos effrois nocturnes, leurs brèches, à tout ce qui a bercé nos oreilles et peaux intra-utérines, nos enfances, nos adolescences, leurs fêlures, et
    cetera. Et puisque votre dernier message interrogeait le choix d’immortalité auquel est confronté Gilgamesh, choix qui lui échappe, je finirai en rappelant un effet gracieux paradoxal qui touche ces compagnons semi-imaginaires de fortune et d’élection confrontés au danger dans leurs quêtes diverses en des lieux symptomatiques, à savoir que les rêveurs sont immortels. Hypnos peut se reposer sur ses deux oreilles.

    Amicalement,
    Jean-François Coutureau

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  8. Par cette période de carême, je suis au plus près de votre récit Le nouvel an. Je l’associe à un carnaval dans son ensemble goyesque. Vous proposez de briser toute linéarité et engagez une marche du renversement de lecture entre prose et poésie, peut-être pour nous raconter la fable de la fraternité, du se perdre pour se retrouver. Étrange, ce « confie tes peurs à ceux que tu ne reverras pas » (Peur et pleur), « à colloquer avec les morts », « accessible à ceux qui chemineront, le texte marchera par ton invocation, en hissant l’écriture au-dessus de ce qui dépérit. » Curieux, ce « qui te dit si je n’ai pas volé ton visage ? » et pour finir : « Si mes mots t’accablent, scient ton intelligence, écoute sans comprendre, en auditeur vierge, le marasme emmagasiné qui se raconte ». Oui votre langue accroche, déroute. Déroute de l’émotion pour une route inédite du Vivre dans l’écriture. Votre destin de poète est de parler dans l’écriture la parole neuve réinitialisée. Quant au lecteur, il faut le tenir éloigné de tout conformisme. Le fin mot, c’est ne jamais cesser d’être surpris et de surprendre. L’inédit, c’est votre syntaxe, cette maîtrise de la langue française qui vous possède et vous fait avancer.

    Amitiés,
    Françoise Morcillo

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  9. Je viens de quitter Le Nouvel an. J’en sors à peine. Je l’ai lu en plusieurs fois. Un peu chamboulé par le récit qui est si riche en événements. Quelle imagination tu as ! Et tu fais montre d’une richesse de vocabulaire remarquable, un sens aigu du récit et surtout d’originalité avec ces « Spéculaires » et le fait de t’adresser au lecteur de temps à autre.
    Cette relation entre Gwenaël et celui qui le porte m’a fait bien évidemment penser à la relation que toi avais (que tu as) avec ton grand frère. (« Avec toi, frère dévasté, je dois cheminer. ») Quelle épopée, quelle odyssée ! Une aventure pleine d’épreuves. Un récit madmaxien je me disais, en plus féérique, avec pas mal de sang et de violence. J’ai été surpris aussi par l’importance du sommeil, du réveil, du « dormir ». Mais quel voyage ! J’espérais les retrouvailles avec le frère. Content donc. Bravo pour ce poème projectile, je ne sais pas si je l’ai lu « d’un œil nu », mais j’ai essayé. Je vais le reprendre d’ici quelque temps. Je crois que tu as écrit un sacré bouquin !

    En toute amitié,
    Thierry Pérémarti

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  10. Une note de lecture par Marie-Claire Osséja

    Le nouvel an se présente sous la forme d’un volume de 316 pages, à la fois beau et sobre, qui se compose d’une part de 84 récits en prose, de longueur variable (trois à quatre pages) et d’autre part de poèmes transcrits en italique dont 42 sont intitulés Spéculaire tandis que 21 sont désignés par le mot Ultérieur. Entre les pages 219 et 222 figure un poème dont le titre est Intermède. Il n’y a ici aucune symétrie, aucune division en secteurs car les récits et les poèmes alternent d’un bout à l’autre du volume mais quels sont leurs liens ? Quel est le rôle du narratif et quelle est la fonction du poétique (ou du poématique) ? Étant donné la densité de ces 316 pages et l’éblouissante diversité de l’écriture, il faut que le lecteur mise sur un temps long qui lui permettra de mesurer ce qui est dit, débattu, recréé, imaginé, réinventé ou bien restitué, d’où le fait que j’ai procédé à deux lectures complètes de cet ouvrage ; toutefois, la richesse des langages est telle que mon analyse ou plutôt ma lente réflexion reste insuffisante. Il faudrait apprendre à repérer les proses et les vers qui témoignent, chez l’auteur, d’un désir de dialogue avec son lecteur, qui est également son interlocuteur afin d’exposer, parfois humoristiquement, contradictoirement, à la fois le résultat poétique des vers et la fabrication même, à partir d’une exploration des mots, qui recèlent une histoire inconnue ou paradoxale, voire problématique.
    Parlons d’abord des récits, qui mentionnent des événements et des lieux. Le locuteur évoque l’entre-deux qui se place entre les derniers jours de l’année et le premier jour de l’année suivante : « Dans la nuit où les hiers s’unissant à demain, nous célébrons le temps qui s’achève et s’enclenche. » Parlant à la première personne, il décrit un cortège festif effectuant certains parcours, certains circuits bruyants qui sont ponctués de dialogues et de gestes mais, dans de longs paragraphes et des phrases substantielles, s’impose aussi l’emploi de termes brefs, exclamatifs et interrogatifs. Dès cette première page apparait un personnage qui va jouer un rôle déterminant : il s’agit d’un petit garçon prénommé Gwenaël qui, à cause de la foule, a perdu son « grand frère », d’où ses pleurs, son désir d’être accompagné, d’où le fait que le locuteur s’engage durant cette fête à chercher puis à trouver le grand frère perdu de vue. L’on pourrait se demander s’il y a là l’expression d’une générosité symbolique de la part du narrateur et le désir de dialoguer avec l’enfant, de l’orienter au cours de ce déplacement du cortège mais, même si cela reste vrai, d’autres perspectives se présentent qui sous-tendent en profondeur le désir du narrateur-poète. L’enfant en quête du grand frère perdu rappelle en effet, à cause de ce mot, l’adolescent qui était en classe avec lui et qu’il appelait parfois « frère » mais qui mourut à l’âge de dix-neuf ans et va être mentionné de temps à autre au cours de cette nuit : « Lui, sous la pluie, me rappelle Nicolas. » Un paragraphe entier évoque concrètement les circonstances du deuil, la mort le matin, après une sorte d’apaisement.

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  11. Il ne s’agit pas d’un souvenir ponctuel, d’une image isolée. Dans ce livre, même si je ne peux pas consigner toutes les références à ce « frère » dont la mort a été évoquée dans un autre recueil de Gabriel Zimmermann (Depuis la cendre, Tarabuste, 2018), j’en ai consigné de nombreuses qui se rapportent au souvenir intense du jeune ami décédé et j’en signalerai ici quelques-unes, plus ou moins brèves mais toujours perceptibles, parfois adressées directement à Nicolas : « Quelques jours avant sa mort, à l’hôpital..» ; « mis dans un cercueil, son corps fut recouvert de roses blanches, brûlé, ses cendres regroupées dans une châsse en marbre noir puis déposées sur plusieurs tombeaux d’artistes. » Cependant, le jeune mort voisine avec les abondants récits d’intenses descriptions du cortège désordonné. Le locuteur accorde des espaces substantiels à la présence de Gwenaël, le petit garçon dont il se sent responsable, d’où la multiplicité des récits. À la fois narrateur et poète, il raconte la venue et les comportements des gens du cortège qui, majoritairement, utilisent un langage négatif, poussent des cris, narguent le locuteur et son protégé, qui courent, s’agrippent, se remettent en marche. Le narrateur répond donc aux avancées du cortège, y compris en utilisant les poèmes qui jouxtent les récits. Le sentiment du deuil suscite des pleurs intérieurs mais le Spéculaire 20, qui est un des poèmes les plus intenses du livre, marque une étape essentielle du trajet accompli par le narrateur, c’est-à-dire la prise de conscience claire, encore que douloureuse, de la nécessité de bouger, d’avancer avec Nicolas au sein de ce monde parce que tous les textes impliquent une nouvelle lecture des espaces successifs qui ont été traversés ou affrontés. Placé entre deux espaces blancs, le dernier vers de Spéculaire 20 est une formule nouvelle, une définition assumée d’un autre rôle du moi qui inclut et dépasse le deuil pour être source de mouvement : « Avec toi, frère dévasté, je dois cheminer. »
    Cependant, le lecteur s’interroge sur la perception et les attitudes du narrateur tandis que progresse l’écriture du livre. Les récits racontent de manière détaillée les réactions du moi au cours des dialogues face à des intervenants violents ou railleurs. Le locuteur se réfère de plus en plus aux paysages traversés, aux évolutions de la temporalité, ainsi dans Ultérieur 2 : « Ma voix s’enracinera dans le jour. » Dès lors, il devient clairement poète : « J’écrirai ce que j’ai vu : les changements du ciel, / L’irruption des morts, le déploiement des monstres./ Au plus près du réel je reviendrai/ Comme un retour à la grotte apparitionnaire/ Avec une autre endurance/ Pour quête : transcrire. » Le locuteur désigne les formes dont il se servira, s’interroge sur le lexique et les vers qui lui permettront d’écrire des poèmes tels que Ultérieur 4 : « Les heures d’un espoir gagné malaisément/ Pourront-elles être enfermées dans un sonnet ? » ; « Comment le composer ? Avec la souplesse du vers ?/ Un vers néoclassique ? » Le poète interpelle l’autre, c’est-à-dire lui-même, qui s’interroge et répond : il lui parle à l’impératif, ainsi dit-il : « Cherche ! » dernier mot de plusieurs vers dans Spéculaire 31. Entre les pages 242 et 248 se succèdent huit poèmes qui mériteraient une lecture approfondie de diverses questions et réponses qui se rapportent à l’essence de la poésie, ainsi dans Ultérieur 9 : « Pourquoi les étoiles ? »

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  12. Les artistes - non seulement les écrivains - ne sont pas nombreux à être clairement nommés ; parfois ils sont issus de mythologies courantes, d’où l’humour latent qui les habite. Toutefois, quatre noms témoignent du désir de rendre hommage à quatre grands créateurs dont la présence implique la prodigieuse incarnation d’un art universel, tout d’abord Arthur Rimbaud, adolescent poète en écho à la présence de l’enfant Gwenaël, ceci dans la différence et la diversité. Mais nous remarquons particulièrement Ultérieur 15, qui est consacré à Federico Garcia Lorca, ici perçu à travers des tragédies et toutefois inventeur d’un durable et éclatant langage : « Et sur ta voix rien n’a péri pour proclamer/ La bondissante joaillerie de ton récit » et nous lisons aussi Ultérieur 16, où s’inscrit Gérard Garouste, peintre, immense artiste d’aujourd’hui qui ne craint pas les critiques : « Tu as uni les yeux du monde à l’orage/ De ta gouache et je salue ici ta clarté » avant de parvenir à Goya dans Ultérieur 17 où le peintre, qui a toujours représenté l’horreur, est accompagné d’un rejet total de la mort : « Où tu nous gratifies parmi la stupeur :/ « La mort n’existe pas. »
    Avec le Récit 84, après un poème (Ultérieur 21), nous parvenons à la fin du livre, très sobre, consacrée à l’arrêt du cortège, aux retrouvailles de Gwenaël avec son frère et à l’éventualité d’une fête de la nouvelle année. Le locuteur a assumé sa mission et l’enfant a acquis sa liberté, d’où les derniers mots instaurateurs d’harmonie sans aucunement préjuger de l’avenir. Le titre du livre de Gabriel Zimmermann se prévaut de la prose pour faire figurer des suites de récits dont le déploiement entraîne la nécessité croissante des poèmes parce que le locuteur-poète fait exister un autre langage. L’événementiel est inscrit sur la page mais le moi se sert des récits pour les transfigurer. Une poétique s’incarne ici magistralement dans un livre unique en son genre détenteur d’une permanente pluralité.

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  13. Par Chantal Danjou : un texte d'analyse critique publié dans le numéro 87 de la revue Diérèse

    Univers dantesque de ce nouveau livre de Gabriel Zimmermann où la vision, même si elle apparaît parfois terrifiante, semble plutôt faire référence au Purgatoire qu’à l’Enfer de La divine comédie : « Qui vous a conduits, qui fut votre lanterne/ pour sortir de la profonde nuit/ qui fait la vallée d’Enfer toujours noire ? […] Mon guide alors me prit aux épaules/ et par voix et par mains et par signes/ rendit humbles mon front et mes genoux. » Cet extrait du Chant I qui constitue une invocation aux Muses, nous est revenu à la lecture de Le nouvel an, recueil qui s’inscrit bien dans la tradition des voyages imaginaires, à mi-chemin entre poésie et récit. Nous avons noté en préambule qu’il s’agissait du « nouveau livre » de l’auteur. Est-ce certain ? La continuité thématique, la figure tutélaire de l’ami-le frère mort ou le frère de Gwenaël, l’enfant perdu que recueille le narrateur, poursuivent la quête des premiers livres. De même, la double aventure de l’intrigue – « le passé immersif » – et du langage – bégaiement et effritement nécessaires « pour transcrire au plus vrai » – indissociables l’un de l’autre, ne marque pas de rupture entre les textes. Enfin, le lyrisme qui interroge la vie et s’interroge sur son propre registre dans un même temps – « En touchant au dernier lyrisme, […]/ Qui a cru dans ce poème projectile », note l’auteur à titre conclusif – tout nous rappelle Depuis la cendre ou Lapidaires, les précédents ouvrages. Lorsque Dante évoque le guide – autre figure récurrente et ambivalente chez Zimmermann, prenant plusieurs apparences successives – son e con parole (et par voix) rejoint l’injonction au lecteur faite dès le Récit 10 : l’importance de dire et de revenir dire, « je ne couds aucun coin de la bouche et l’implicite, étrangement, se fait impossible.», auquel fait écho l’interrogation : « As-tu été témoin / d’un univers qui entrouvre les lèvres ? »
    Voilà bien le lecteur mené par la voix, tantôt bousculé par la profusion du texte et de ses genres – « Au-delà du factuel d’un documentaire/ Les mots d’eux-mêmes tanguent » –, inquiet d’être conduit au-delà du raisonnable, du lisible, affronté au tragique de la condition humaine, sommé de ne pas l’esquiver. Entraîné dans le déchaînement des mots, il comprend au fil des pages que c’est la raison même de la parole de proférer la concomitance des mondes, des expériences et des langages, qu’il ne peut pas les aborder en « témoin passif » ni amateur de discours « sirupeux », avertit le poète. Le nouvel an, titre volontairement provocateur, trahit ce qui à la fois se répète et s’inverse, dénonce la tradition, s’aventure dans une autobiographie « spéculaire », terme dont l’auteur use dans la première série de ses scansions poétiques, c’est-à-dire une écriture dont les caractères se suivent de droite à gauche comme les hachures d’une pluie drue ou comme s’ils étaient vus dans un miroir, provoquant des effets hallucinatoires. Dès lors, comment départager « l’invraisemblable du possible » ? Comment éviter les trous narratifs ou les espaces vacants que le poète matérialise aussi en passant du « Spéculaire 28 » directement à « Ultérieur 3 » qui débute sa seconde série de scansions poétiques, « et ma voix s’étendra » – précise-t-il – évoquant entre autres « les changements du ciel,/ L’irruption des morts » tout en sachant que revenir « au plus près du réel » est
    « comme un retour à la grotte apparitionnaire ». Sa seule « quête : transcrire », mais quoi ? Ce qui ne cesse d’aller de l’histoire individuelle à l’histoire de l’humanité, du ténu au macrocosme, du déluge à la reconstruction. Gabriel Zimmermann signerait-il un récit cosmogonique ? Il se pourrait…Ses « paroles d’énigme », ses danseurs « entourés de leur éolienne illuminée », ses « bas-reliefs », ses morts « vindicatifs » concourent à mêler passé, présent et avenir.

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  14. L’écrivain profite du subterfuge du nouvel an pour décrire, non sans ironie parfois, les différents états de la matière, se mettant lui-même en scène, voire son lecteur auquel il ne laisse pas de repos, et leur « je » veille, cherche, « hoquète en montant dans le blanc, songeur de ces inorganiques qui se lamentent de ne plus avoir la chair, l’os, la peau, le sang. » Ce « blanc » ferait-il référence à la page blanche ? Une fois de plus, il se pourrait…Écrire redonne à voir, tend la « lanterne » dont parle Dante dans l’extrait cité dans nos propos liminaires.
    Une question, à mi-parcours du livre, interpelle le lecteur :
    « Quand guériras-tu de sa mort ? ». Elle rappelle les recueils précédents que nous avons mentionnés, s’attarde sur le terme de « mort » que le retrait d’une consonne modifie en « mot », en résonance avec quelques lignes plus bas, « N’en dis pas plus », comme avec les variations sur les voyelles dont le O. Qu’est-ce qui doit mourir en nous et autour de nous pour construire le monde propre à chaque écrivain ?
    Autre impact sémantique, celui de « an » dans le titre Le nouvel an. Substantif, bien sûr, il peut aussi s’entendre en tant que préfixe privatif -an. L’an advient-il autrement que dans son prétexte littéraire ? Privant la mort de son « r », le récit tourne autrement, ce qui n’est pas sans rappeler d’autres variations, notamment autour de la lettre M, qui tout comme le O appartient aux deux termes « mort » et « mot ». C’est alors une bête monstrueuse – mythologique ? – qui se hisse sur une injonction au bord du réel,
    « sa face émergeant comme un M ». Étrange qu’une telle émergence réunisse au final les ouvrages successifs de l’auteur autour d’un mo(r)t ; tout autant ses différents personnages. « Lui enfant, moi homme, hantés par une absence », écrit le poète-récitant, les scrutant au milieu « de paysages traversés comme une guerre contre le temps. » Le nouvel an amorcerait-il de fait une nouvelle narration ? Une allusion à Emmanuel Lévinas en dernière page de ce voyage initiatique, incite le lecteur à relire Gabriel Zimmermann sous l’angle du philosophe lorsqu’il écrit dans Totalité et infini : « Le langage effectue l’entrée des choses dans un éther nouveau où elles reçoivent un nom. ».

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  15. Par ALAIN WEXLER, directeur de la revue VERSO :

    Au commencement il y eut cette perte : à l’occasion du nouvel an. Le narrateur voit un garçon en pleurs. Celui-ci est inconsolable. Il a perdu son grand frère. Cela rappelle au narrateur la perte de Nicolas qu’il appelait son grand frère dont il ne s’était jamais consolé. La fête bat son plein. Des gens sont déguisés, bruyants. Une foule compacte qu’il faut ouvrir pour passer, un cortège dense. Les gens sont parfois hostiles, goguenards vis-à-vis de Gwenaël (c’est le nom du garçon). Quelqu’un surgit du brouillard avec un masque à long bec et une cape noire. Il tiendra un discours ésotérique qui en apparence ne fera pas avancer la recherche du grand frère. Le récit s’apparente peu à peu à une auberge espagnole ou roman picaresque. Le texte nous tient en haleine de rebondissements en rebondissements. Entrecoupé d’intermèdes en vers comme un chœur antique :
    « Pourrir en la nuit même, en un tour de cadran
    Quand le lait caille moins vite,
    Qui serai-je dans un chaos improvisé
    Où la patience vient d’être congédiée,
    Avec une étoupe enflammée pour effigie
    Et le désir de voir Gwenaël parmi la fête ?
    Aurai-je assez pour marcher à renfort
    De solitude et de dégoût
    Comme on descendrait dans une cuve qui pue ? »
    C’est une mise en abîme ! Il faut entrer dans ce livre comme dans un rêve. La lune y joue un rôle. Vers la fin du livre ils sont pris dans un tourbillon humain, sorte de danse où ils passent de main en main, l’auteur dit : triangulation de l’attachement – dans la hargne d’un désir qui ne s’incarne pas – ce qui renforce le mystère, c’est que le temps passant et autant d’espace parcouru, lorsqu’ils arrivent dans un nouveau lieu, ils trouvent toujours les gens en train de fêter le nouvel an. D’épreuve en épreuve, le rêve les vomit : « Apprends maintenant sans pont ni puits ni passage » dit à Gwenaël son compagnon. Cela se passe comme s’ils faisaient partie d’un poème. À la fin celui-ci le lui explique. Gwenaël aperçoit son frère et s’élance vers lui.
    Un livre étonnant de par son style, unique ! Un immense poème.

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  16. Bonjour Gabriel.
    Tout d’abord en cette nouvelle année, je te souhaite le meilleur à toi et à ceux qui te sont chers.
    Bon, j’ai lu ton livre. C’est un style littéraire, une manière d’écrire qui ne me sont pas familiers. Je lis presque exclusivement des romans. Principalement des auteurs américains (États-Unis).
    Aussi cette lecture m’a demandé un effort, une concentration soutenus.
    Après plusieurs « lectures », j’y ai finalement lu un retour sur la vie d’Arthur Rimbaud et plus particulièrement l’absence et la quête du (grand) frère comme un référent, un guide, un confident…Comme celui évoqué dans la chanson « Mon frère » de Maxime le Forestier.
    J’ai fait quelques recherches et appris que Rimbaud avait eu un frère aîné qui quitta tôt le domicile familial, notamment en opposition à sa mère. J’y ai lu également les souffrances de l’enfance (cauchemars, peurs…) à travers l’irruption de personnages fantastiques de la mythologie enfantine (le Krampus par exemple) avec la convocation desquels les adultes nous inoculent la peur de l’inconnu, de l’autre…La violence vécue qui nous a accompagnés durant l’enfance avec laquelle nous avons dû nous débrouiller seuls, dans et avec laquelle nous nous sommes construits et continuons à trimballer avec plus ou moins de bonheur.
    Je me suis également demandé si ce n’était pas un écrit autobiographique sur la période de l’enfance, la première lettre du prénom de Gwenaël étant celle de Gabriel.
    L’atmosphère est sombre, inquiétante, menaçante, parfois terrifiante comme je te le dis plus haut mais au bout du compte (conte ?), et c’est ainsi que j’interprète le titre (« Le nouvel an »), comme un symbole de possible renouveau et de bienveillance à (re)trouver.

    ALI

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