vendredi 1 février 2013

Au bon vieux temps



« C’était mieux avant » : voici la phrase la plus idiote. De toutes les conneries que j’ai entendues, aucune ne résonne avec un tel éclat. Ne vous étonnez pas, la bêtise a son flamboiement. Montaigne en a beaucoup parlé, Molière s’en est amusé, Flaubert en a fait la charpente de toute son œuvre : avec elle, les écrivains ont trouvé un filon inépuisable. Elle se thésaurise mieux que de l’argent. Au fil du temps, les expressions idiotes se chargent d’une espèce d’onctuosité rieuse, comme on revernit un vieux meuble. Et parmi celles-ci, il y a le « c’était mieux avant ». D’ordinaire, je ne traque pas la bêtise. Mes réflexions, mes goûts sont parfois risibles, j’aime des choses que les gens qualifient d’indignes ou d’enfantines. Par conséquent, je ne me sens pas le suprême juge de l’intelligence, à l’exception de cette phrase qui me remplit de colère : « c’était mieux avant ». Pas d’ineptie plus évidente. Que veulent dire ces quatre mots ? Le passé serait donc meilleur que le présent ? Tout ce qui se trouve derrière nous l’emporterait sur ce qui survient aujourd’hui ? Qui dit cela ? Le plus souvent, les sexagénaires, les quinquagénaires, les quadragénaires, c’est-à-dire ceux qui ont l’expérience de la vie. Ils parlent avec regret de leur jeunesse. De leur temps, prétendent-ils, les valeurs étaient respectées : les mariages duraient jusqu’à la mort, les enfants respectaient leurs parents et les élèves craignaient leurs professeurs, les jeunes filles s’habillaient décemment et les hommes tenaient la porte aux femmes. De plus, les gens s’entraidaient, les voisins étaient aussi des amis et on ne méprisait pas les vieillards. La vie était moins chère, on mangeait de la viande fraîche. Que de nostalgie dans leurs souvenirs ! Que de tristesse que les villes et les coutumes aient changé : « C’était le bon vieux temps ». Les médecins étudient les gênes de l’être humain, peut-être que, dans quelques années, ils découvriront le gêne de la nostalgie. Je doute que le regret du passé soit inscrit dans notre corps car, en même temps que ceux qui évoquent leur jeunesse comme un lointain âge d’or, il y en a qui ne regrettent rien. Personne n’est condamné à débiter : « C’était mieux avant ». Ce travers a toujours existé. L’homme est un animal qui déplore. Tous les jours, j’entends dire que les enfants ne savent plus écrire, qu’ils n’ont plus de respect pour leurs parents, qu’ils dorment longtemps, qu’ils s’habillent mal. J’entends ce reproche partout, dans la bouche des femmes et des hommes : qu’ils aient soixante-dix ou trente ans, ils estiment que la société se délite, que la morale est en berne et que la violence s’accroît. Les convaincre du contraire est une mission difficile, ils sont attelés à leurs certitudes comme la mousse se fixe à la roche. Quoiqu’on leur dise, en dépit de tous les contre exemples que vous leur apporterez, ils garderont leur pessimisme :

- C’était mieux avant.»

Il y a quelques années, cette phrase me faisait sourire; aujourd’hui, elle m’insupporte. Dès que quelqu’un m’exprime son regret du passé, je le contredis. J’ai perdu toute patience à écouter des gens qui se lamentent sur l’évolution du monde. Un jour, au printemps, alors que j’étais assis sur un banc, dans un parc situé près de chez moi, un homme s’assoit à côté de moi. Il faisait dans les quatre vingt ans. Ses cheveux étaient blancs, son visage large et vif, avec des yeux qui s’étonnaient. Lorsqu’il me vit, une douce stupeur brilla dans son regard puis il vint jusqu’à mon banc. On s’est salué puis il a commencé à parler :

- Il fait chaud, aujourd’hui.»

Je lui ai souri et, aussitôt, il a évoqué les printemps de son enfance :

- Quand j’avais votre âge, on avait de vraies saisons. Maintenant, le temps est déréglé. En hiver, il ne neige plus. Et en juin, il tombe de ces pluies comme il n’y en avait pas dans les pires mois de novembre ».

Il s’est mis à regretter. Après les saisons, il a parlé des hommes :

- A mon époque, on vivait tranquillement. Quand je sortais de chez moi, je laissais la porte ouverte. Parfois, je partais pendant des heures et, quand je revenais, rien n’avait disparu. Il n’y avait pas de voleurs. Aujourd’hui, on n’est plus en sécurité.»

Ensuite, ce fut l’enfance :

- Nous, pendant la guerre, on a connu la faim qui brûle le ventre. La privation, je sais ce que c’est. Les jeunes d’aujourd’hui se plaignent sans cesse, leurs parents leur livrent tout sur un plateau d’argent. Ils ne savent plus la valeur des choses. Mon petit-fils se comporte comme un enfant pourri gâté. Chaque semaine, il réclame des nouveaux jouets. Sa chambre en est tellement remplie qu’on ne peut pas marcher sans heurter quelque chose. Résultat, il ne joue avec aucun. Moi, j’inventais des jeux. Un jour, sous des ruines, j’ai trouvé une boîte de cirage. Je l’ai percée avec un canif et, dans le trou, j’ai glissé du gros fil puis je l’ai noué et, comme ça, je pouvais faire rouler ma boîte. Je me suis bien amusé avec, je l’emmenais partout. Ce fut ma première voiture.»

Son récit m’a ému. Mais après avoir raconté son enfance, il est revenu sur les enfants d’aujourd’hui :

- Ils crient comme des singes. De chez moi, je les entends quand ils passent dans la rue. J’habite au cinquième étage et, pourtant, leurs voix montent jusqu’ici. Si leurs parents savaient les tenir, ça se passerait mieux. Mais aujourd’hui, il n’y a plus d’autorité. La famille, l’école, la police, elles ont baissé les bras.»

C’est à cet instant que j’ai perdu patience. Ses propos n’étaient pas faux mais ils m’ont déplu. Surtout, ils m’ont paru étranges. Je lui ai demandé :

- Regrettez-vous votre époque ? »

Il m’a répondu :

- Nous étions solidaires. Aujourd’hui, chacun vit pour soi.

- Donc, vous étiez plus heureux quand il y avait la guerre ? »

Il m’a regardé avec stupeur puis, dans un bredouillement :

- Non, bien sûr ».

Puis il s’est levé et s’en est allé, en me saluant d’un hochement de tête.

Cette rencontre m’a troublé. Qu’on sache plus de choses à cinquante ans qu’à vingt, rien de moins sûr. Méprisez ceux qui vous assènent : « C’était mieux avant ». D’une part, parce que cet « avant » désigne tout et rien, comme si le passé était une plaine infinie. De quel passé parlent-ils, ces nostalgiques ? De 1960, 1950, 1940, 1930, 1920, 1910 ? Du dix-neuvième siècle ? De l’époque de leurs arrière grands parents ? Dans leurs bouches, « avant » n’est qu’une brume. Et d’autre part car le «mieux » est aussi creux qu’un moule à gâteau. Qu’est-ce qui était mieux ? La vie ? La mort ? Mourait-on mieux en 1931 ? Aimait-on plus en 1937 ? Naissait-on mieux en 1898 ? Réfléchissait-on davantage en 1979 ? Les traditions n’étaient pas les mêmes, voilà tout. De la même façon qu’on change de vêtements selon les saisons, on vit à d’autres rythmes, avec d’autres préférences et d’autres aversions. Mais les cœurs n’étaient pas plus heureux.

10 commentaires:

  1. ton blog ,il était mieux avant...
    que je ne commence à le lire !

    non je plaisante

    signé:l'anonyme masqué

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  2. Mais qui est cet anonyme?
    Qu'il se dévoile, qu'il fasse tomber le masque!

    En toute amicalité mystérieuse.

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    1. à ton tour tu plaisantes :
      écoute mes réflexions ,elles ont l'écho d'un masque qui tombe...

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    2. Tu m'amuses mais je pense t'avoir démasqué!

      A l'instant, je sens le vent de la Chine souffler sur moi. Est-ce que je me trompe?

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  3. Je suis en effet arrivé à pied de la chine ...Quel flair !
    Amis pouêts bonsoir

    signé: anonyme masqué (indice :masque anti-odeurs)

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  4. Ah le bon vieux temps ...quand mes remarques t'amusaient.
    Et je fais quoi moi maintenant ?
    Je parle du vide au vide ,quel bide...
    Ah le coquin de bon vieux temps...

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  5. j'ai enfin pris le temps de découvrir ton blog. Merci.
    Comme toi, je déteste les gens qui clament que le monde va a volo, qu'il n'y a plus de saison, que c'était mieux avant, qu'en leur temps...etc. Surtout, ne devenons pas de vieux cons mais peut-être que la littérature nous en préserve! Je n'ai pas encore tout lu - il me faut du temps - mais j'ai beaucoup aimé le tempo du poème intitulé "Dernière D." Marie

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    1. Merci beaucoup de ta réponse, chère Marie. Je sais que tu es une maman affairée et le fait que tu aies pris le temps de lire quelques textes me fait plaisir et me touche.

      Et promis, je m'efforce de faire mienne ton exigence, à savoir "ne pas devenir un vieux con"!

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  6. oups ! le monde va à vau l'eau et pas a volo!!! c'est bien ce que je disais: de notre temps, les jeunes savaient écrire,aujourd'hui, même les profs ne maîtrisent plus l'orthographe !
    ne t'inquiète pas, tu es loin de devenir un vieux con, Gabriel !

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    1. Tes propos me rassurent!

      Il faudrait disserter des heures et des heures sur la fameuse orthographe. A l'instant, je ne peux m'empêcher de penser à Verlaine, dont les manuscrits ornant les murs du Procope sont truffés de fautes (confusions entre les infinitifs et les participes passés des verbes du premier groupe!).

      En tout cas, je me réjouis de ta hauteur de vue. Peu de profs ont de la distance sur eux-mêmes...

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