jeudi 3 octobre 2013

Tu en poses, des questions!


Questionner est plus dangereux que répondre. Il y a un je ne sais quoi de polémique dans le questionnement. Quoi qu’on demande, on se met dans la position du chasseur, on part en quête d’une autre âme, avec l’incertitude de ses réponses. S’indignera-t-elle ? Sera-t-elle indifférente ? Ira-t-elle jusqu’à m’ignorer ? Sera-t-elle blessée par les questions que je lui poserai ? On avance à l’aveuglette, face au mystère immense de l’Autre. Ainsi, quand je questionne quelqu’un, je prends des risques. Un courage curieux réside là-dedans, qui me pousse à sonder l’esprit de la personne que j’ai en face de moi. Mais pourquoi cette envie de la connaître ? D’où vient cet instinct de chercheur ? Tout le monde ne questionne pas, il y a des gens discrets, les taiseux, si discrets qu’on finit par oublier leur présence. Ces gens-là, pourquoi restent-ils dans le silence ? Parce qu’ils sont pudiques, me dira-t-on, et qu’ils respectent l’intimité d’autrui. Mais si on y réfléchit de plus près, qu’est-ce que le respect ? Respecte-t-on quelqu’un quand on se tient face à lui, immobile, sans un mot, en attendant qu’il se confie à nous ? Il faut toujours questionner. Quelle que soit la situation et la personne, il n’y a aucune exception à cet impératif humain.

Souvent, on me reproche de poser trop de questions et d’en poser d’intimes. C’est vrai que je questionne beaucoup, j’aime questionner sur tout, l’enfance, la religion, l’amour, la politique et je ne prends pas de gant pour le faire. Suis-je intempestif quand je demande à quelqu’un pour qui il a voté aux dernières élections ? Ai-je tort de lui demander s’il a déjà eu des relations homosexuelles ? Ai-je heurté sa conscience en le questionnant sur sa foi ? A chacune de ces questions je réponds non et je répondrai toujours la même chose car, à mes yeux, questionner quelqu’un est une tendresse. Je cherche à le cerner, le connaître et l’aimer. Dès que les questions se retirent, la violence commence. Pensez aux dictatures : les tyrans écrasent leur peuple ; pas de référendum, c’est-à-dire pas de possibilité pour des millions d’hommes de s’exprimer. Pareil pour les couples et les familles. Deux amants qui ne se parlent plus, un enfant qui a peur de questionner ses parents, un père qui redoute d’interroger son fils : ces silences sont terribles.

Quand j’étais petit, autour de cinq ans, un après-midi de printemps, à la maison, ma mère m’a dit :

- Parle-moi de ta vie intérieure ».

Nous étions dans le salon, assis à la table où on prenait nos repas. Aussi loin que je retourne dans mes souvenirs, j’étais en train de dessiner lorsqu’elle s’est assise à côté de moi. Elle m’a regardé quelques instants, sans dire un mot, avant de me lancer cette phrase. Je l’ai regardée et je lui ai souri. Sa phrase m’a amusé, elle m’a paru mystérieuse et fantasque, comme si ma mère m’invitait à jouer à une énigme heureuse. C’est comme ça que je l’ai vécue et, vingt-cinq ans plus tard, c’est encore comme ça que je la vis. Que lui ai-je répondu ? Je ne m’en souviens pas. Peut-être que je lui ai demandé de m’expliquer sa phrase et, dans mes souvenirs, j’ai l’impression de ne pas l’avoir tout de suite comprise. Mais la voix de Maman résonne en moi comme si elle me la murmurait maintenant, alors que vingt-cinq ans ont passé. Pourtant, bien qu’elle me soit si familière et bien que je l’entende dans ma tête, j’aurais du mal à décrire précisément l’intonation de sa voix au moment où elle m’a demandé :

- Parle-moi de ta vie intérieure ».

La tendresse se mêlait à une espèce de fierté amusée, comme si elle me lançait un défi d’amour. Là, les mots sont pauvres pour raconter, je sens que quelque chose de Maman m’échappe et seul le souvenir me restitue tout d’elle. Comment retranscrire fidèlement sa voix ? Il y avait de l’amour mais cet amour ne ressemblait pas à celui des autres mères. Il était haut. Au-delà de son fils de cinq ans, on aurait dit qu’elle s’adressait à l’homme que je suis devenu. Elle a détaché chaque mot, sans hausser ni baisser la voix. Il n’y avait rien d’autoritaire dans sa voix mais, en même temps, elle voulait que je réponde. Cette volonté, je l’ai lue dans ses yeux, qui me fixaient avec ferveur. Il fallait lui répondre, ce que j’ai fait. Plus tard, au fil des années, elle m’a souvent redemandé de lui parler de ma vie intérieure. Et puis, un jour, à la fin de mon adolescence, c’est moi qui lui ai posé la question.

De Maman, j’ai hérité le plaisir de questionner. Son « parle-moi de ta vie intérieure », je l’ai étendu à d’autres gens. Y a-t-il une question plus importante que celle-là ? Quoi de plus généreux et décisif que cette interrogation ? A votre tour, posez-la, répandez-la, qu’elle devienne une devise universelle. Ne craignez pas les réponses. Cette question ne contient que de l’amour et de l’estime ; si quelqu’un refuse d’y répondre, il se trompera sur vous et sur lui-même. Et si, après vous avoir parlé, il vous retourne la question, vous devrez répondre à votre tour. Quand on questionne, on doit s’attendre à être questionné.

13 commentaires:

  1. as tu déjà eu des relations hétérosexuelles ?


    c'est pas de la tendresse ,c'est pour me moquer...

    de ma propre connerie ...
    parce que je m'adore

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  2. Et dire que je tolère tes commentaires sur ce blog.

    Si ce n'est pas une preuve d'amitié!

    Prends-tu de belles photos au pays de la Grande Muraille?

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  3. ta tolérance t'honore mais je ne suis pas celui ou celle que tu crois ...
    en effet la seule grande muraille que j'expérimente c'est celle de mon esprit ...et le mode d'emploi pour " faire avec " c'est parfois du chinois .

    en ce sens je suis très proche de toi ...et beaucoup plus proche que tu ne l'imagines...

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  4. Mea culpa, dans ce cas.

    Mais qui es-tu, anonyme? Me laisseras-tu un fétu d'indices pour que je puisse percer ta mystérieuse identité? L'opacité est d'abord plaisante puis elle se mue en un je ne sais quoi de déstabilisant...Or, j'aime résoudre les énigmes!!

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  5. je comprends...
    destabiliser n est pas le but.
    c était plutot pour contraster avec une petite note d'humour...et faire vivre ce forum...
    un p'tit coup de pouce en fait...
    tu le sauras bientot ...j 'espere que tu ne seras pas trop déçu ...genre :" ah c'était toi..."
    '

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  6. Chère présence masquée, tu as une expression peu Commune.

    As-tu déjà eu l'occasion, sillonnant l'Inde tout en restant à Paris, de contempler un palais érigé par un souverain mégalomane mais nostalgique de sa bien aimée?

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  7. exact ...mais c'était un voyage réel à agra

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  8. coucou Gabriel c'est moi Idrissa ton élève de la 4 éme

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  9. Continue comme ça car franchement ta pleins de talents. Ne t'arretes pas la ce serais dommage.
    TL

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  10. salut Gabrielle c'est moi Chan ta seule élève fille de 4éme à st.Jean de Dieu :)

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  11. Merci à vous, chers élèves de la Quatrième!
    Vos messages me font plaisir.

    A très vite et écrivez de belles lettres pour la semaine prochaine...

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  12. Bonjour,

    A la lecture de votre article je me sens toute byzarre (oui, je sais le "y" n'a pas sa place dans ce mot mais je l'aime bien là), toute déstabilisée.
    J'avais l'habitude de penser que j'étais la seule personne à questionner mon enfant comme le faisait la maman de votre histoire. Je me croyais unique et différente.
    Vous venez de me renvoyer auprès des communs.
    Je n'ai plus rien d'exceptionnel...

    Alors il ne me reste qu'à vous questionner de mon écrit non autoritaire mais qui attend une réponse : qu'a-t-elle donc répondu lorsque vous lui aviez posé, à votre tour, la question ?

    Quelqu'une.

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    1. Merci à vous, Anonyme, de vos impressions de lectrice.

      Et pour vous répondre, ma mère (qui, ayant enseigné la poésie catalane et espagnole à la Sorbonne, est d'une érudition rare et professionnellement on ne peut plus sérieuse MAIS qui, intimement, joue à imiter le caquètement des poules ou invente des animaux tels que le "Tigrebobil") n'accepte pas tout à fait la réciproque. Donc, elle répond sans pleinement répondre, avec un mélange de pudeur, de ferveur et d'incandescence, en revendiquant face à la vie cette émotion dont elle ne s'est jamais départie: l'insouciance.

      Cordialement,
      Gabriel.

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