mardi 23 juin 2020

Quel sera le voyage?


39 commentaires:

  1. Gabriel,

    J'ai dévoré ton recueil. Je l'ai lu frénétiquement et il m'a profondément touchée; je sais déjà que je le lirai encore et encore pour sentir toute la puissance de tes mots, de tes métaphores, de tes émotions et tes pensées.
    Tes thèmes sont sombres, obsessionnels mais j’y trouve aussi une vitalité, une lumière, une force solaire. Tu es un poète sensible, intelligent, qui cherche la précision, qui sait peindre une image riche et nuancée. Tu es aussi un être humain qui a ces qualités et c’est probablement cela qui me touche le plus.

    SPASA RATKOVIC

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  2. Je n’ai pu m’empêcher de lire les quelques premières pages de ton ouvrage « Lapidaires » qui d’emblée me séduit. Avec « Des furtifs », on se sent immergé dans un univers apaisant et rempli de sérénité. L’écriture est toujours belle, poignante, saisissante. De la grande poésie. J’ai bien aimé la page 13 dans laquelle tu clôtures ton poème avec « c’est là que la mort des chemins commence » mais en commençant avec « la faim du voyage nous mène ici ».
    N’y a-t-il pas plus furtif qu’un voyage ? J’y vois bien là une métaphore de notre voyage, en tant que pèlerins sur terre vers cet « inconnu » esquissé par les rails que nous empruntons. Y aura-t-il beaucoup d’herbe recouvrant nos traces à tel point que nous tomberons dans l’oubli le plus total et qu’on dise de nous « c’est là que la mort des chemins commence » ? A méditer !
    L’artiste qui est en toi sait observer notre monde avec beaucoup de hauteur et le décrire avec une grande précision. Comment ne pas y déceler cette grande sensibilité qui te caractérise ? Et être aux côtés de cet artiste de haute voltige dans le maniement des mots me rassure alors que des ténèbres tombent de plus en plus autour de nous (désolé de cette touche négative !)

    PHILIPPE LAFARGUE

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  3. Bonjour Gabriel,

    En ce qui concerne vos Lapidaires, j’y ai découvert, non sans étonnement d’abord, que vous y prolongiez le sillon d’une soif (pardonnez-moi d’utiliser vos images en les déformant) abreuvée par une disparition où doit se jouer une partie de notre enfance commune sur terre, que l’on doit probablement perdre un jour (au moment de relire, je n’en suis plus si sûr). Une faim aussi qui ne saurait être une fin malgré les oracles déroutants. Qui peut prévoir sur le corps et l’esprit l’empreinte des naissances et deuils dont il/elle est le réceptacle, l’empreinte de la moindre expérience dans sa chair (votre référence aux camps ou à Poe résonnent à ce titre)? De sorte que cet effet de “ressac” qui trouble et clarifie chaque section de votre recueil (en filigrane vers la fin) paraît naturel. Plus distinctement, je vous reconnais dans le geste du semeur des toiles dont Vincent Van Gogh s’est tant imprégné (dont la récolte est restée une moisson de promesses parvenue amèrement jusqu’à nous). D’ailleurs, tout commence avec les yeux dans vos Lapidaires en un théâtre d’ombres et de lumière où l’encre parle même sans les bouches, quand elles n’osent y croire, ou que l’effroi les méduse. Pourtant, votre écriture met un monde en marche, n’est pas un tombeau où l’on recueille la cendre du passé qui demeure : elle prend forme et chemine dans la conscience d’un temps long. Je ne saurais dire s’il s’agit du réel mais on l’y côtoie. L’oreille y est sensible. Le récit est amorcé dans le corps du vivant que le rêve pourrait aider à modeler. Il y a voix (tu/je/il/nous ...), il y a tentative de chant d’union.
    Il y aura bien plus à sentir et écrire sur vos Lapidaires, qu’une seule lecture (même fragmentée) n’a pu éprouver, tant l’écriture s’y déploie profuse ou restreinte, par la supplique, la prière et le chant. Je suis certain que d’autres s’en chargeront mieux que moi (même si des questions commencent à poindre où se mesure l’écart des âges et des expériences).
    Je vous souhaite un été régénérateur (clair sans manque d’ombre apaisante) où que vous vous rendiez à l’aventure (musées/mer/montagne) sur ce pré carré de planète qui continue à respirer et offrir de multiples chemins de vie.
    Dernier aveu qui m’aide à clore ce message de longue haleine: j’ai relu votre ouvrage et j’ai retracé un chemin depuis la cendre vers la promesse d’un chant dans la conscience de ce temps long.

    Amicalement,
    Jean-François Coutureau

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  4. Une note de lecture par Sophie Marie van der Pas:

    En recevant « Lapidaires », j’ai eu le sentiment d’un livre lourd, de traces, d’écritures concises, et peut-être d’éclats lumineux de pierres précieuses. J’ai eu une appréhension à voir l’épaisseur de tes mots. Je l’ai ouvert, furtivement, pour découvrir plusieurs parties dont les titres m’ont interrogée.

    Je me concentre par ce courrier, sur la première partie, où je retrouve tout de suite le mot « furtifs ». Je m’arrête à ces premiers poèmes. J’irai peu à peu à la découverte des itinérances qui feront l’objet d’un autre regard, pour finir par la salve de mémoire et la promesse d’un chant.

    Tes premiers mots : « Un sursaut me réveille », dans l’obscurité, le corps, en vie, et le ruisseau des pleurs…m’ont bouleversée. Est-ce parce que je commence à saisir tout ce qui te touche ? Suis-je déjà happée par ce que tu poses : l’incontrôlable, la vie, l’enfance et l’attente de la clef du repos ? Je poursuis : « La pierre initie le chemin », les premiers pas sont là, rejoignent « nous pénétrons dans le temps ». Me voilà, j’ai compris « Lapidaires » comme le sillon, comme la trace gravée sur le bas-relief.

    Tu nous fais avancer, si doucement, les yeux rejoignent « le sillage/la mort des chemins commence/», on entre dans la pierre, sculptée, on ne sait si nos pas vont te suivre car il y a l’ombre qui s’étire, et la blessure encore. Est-ce la même ? Celle que je connais ? Pourquoi retourner à la Pierre ? Je te suis, pas à pas, passant du fond de jardin à la rivière, et toutes ces images analogiques qui font de toi le poète.

    J’ai tant aimé la page seize : « La mer/ comme une pudeur d’eau/ les mots, eux, n’ont pas chance de ressac. » Peut-être aurais-je laissé en suspens le dernier vers, j’ai aimé le ressentir mais moins le lire.

    Et puis, nous parcourons comme toi la fresque, les morts, la forêt des défunts car on sait que va ressurgir la souffrance de l’absent mais tu racontes si parfaitement les couleurs brouillées/l’orage/et au bout de la longe personne ! Oui! « Pourquoi cette indulgence aux ténèbres ?/ Car le réel, s’il se meurtrit, nous apaise » et tu en as tant besoin !

    Je me demande : as-tu fait une pause ? La densité de la douleur parle tant, même si tu détournes nos regards sur d’autres questions, si interrogatives.

    À partir de la page trente : « Sur ma main resta son visage éteint », tout revient, tu le dis : « Je ne suis pas sorti de ta mort » ! J’ai mal de ce retour, encore si vif, si puissant, j’ai peur de la torture, de cette flagellation, mais tes mots sont là, pour traverser : « Savoir qu’il est en moi fige le temps » et soudain cet oxymore subtil : « Un regret futur. » Rien n’est prêt, pour la vie (« mon ventre va retrouver son désert ») Ce sont des mots à pleurer, des mots qui portent une part infinie de féminité, d’amour de mère ! Ces pages sont si belles.

    Tu abordes malgré tout une soif de repos, de maison, d’herbe, le « tu » et le « nous » pour une complicité, plus douce. Mais tu repars sur la blessure, sur la généalogie de la douleur ! Sublime ! Le passé invaincu/accueillir l’absence/la dire et la préserver. Tu as raison : « Je découvre que la mort entre par la bouche. »

    Je sens que tu vas passer sur cette « année de silence » par ton chemin propre… jusqu'à « bégayer jusqu’au soleil. » À partir de la page cinquante et jusqu’à la fatigue, page cinquante-sept, les poèmes sont moins dans l’ombre, un mot que je retrouve dans beaucoup de poèmes. Peut-être en prendre conscience ?

    Ce premier tiers d’une richesse époustouflante m’enveloppe, je connais mieux ton cheminement, ce qui t’a fait avancer mais le chemin reste lourd de peine et ce deuil fait tant parler de toi, que Nicolas est présent à chaque ligne ! Merci pour cette présence, elle m’émeut, me touche.


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  5. Suite de la note de lecture, par Sophie Marie van der Pas, sur la deuxième partie du recueil:

    « Itinérances accompagnées de prières » Quel titre ! Tes bijoux en italiques, prières et questionnements, sont pour moi un temps suspendu de par le vide autour et propices à méditation. C’est bon de s’y arrêter, même essentiel pour reprendre souffle aux mots.
    J’y viens : « Il y a tant de patience/ dans les mots/ comme un gardien/donner à l’espace entre les mots une autre cadence que la pierre/ ». Le poème de cette page, dans son entier ouvre le « jouir » puisqu’il abat ses sentinelles. Un temps qui avance, une tentative de retrouver l’immuable, avec ces violettes, le sous-bois, on redescend de la douleur pour ouvrir un langage où les mots s’entendent, comme un chuchotement de rivière sur quelques cailloux. La pierre s’apprivoise (« D’où vient la faim de mes yeux ?/ et dans l’aile un désir qui restera désir »). Ces moments de grâce nous transportent. Le chemin sous nos pieds écoute, je retrouve ta douceur, moins d’ombre, plus de lumière, retourner à la maison devient la quête !

    Page soixante-huit, enfin, le sourire, la joie sur les lèvres, tout pour pousser les mauvais présages et courir vers l’insouciance du sable. Je souris car à progresser dans ces itinérances, tu ouvres ton chemin de mots. J’aime que tes mots fléchissent, ils prennent corps, une matière vivante, l’ellipse lumineuse (« la nuance est mon désir »), voici une légèreté qui mouille tes lèvres de vin, en tout cas qui m’en donne l’envie. Tu essaies d’autres mots pour aller vers la phrase puis vers le texte et demain ! Oui, je sens que tu te bouscules, acceptes l’ivresse, se lâcher, si humain, je ressens « les yeux lents de l’enfance », magnifique image.

    Page soixante-treize : un rythme de cassure, troublant poème, si différent, un lyrisme nécessaire et ce souci de regarder d’autres morts, pour un récit d’autres batailles, se retrouver dans les convalescents et les alités…même si la peur des ombres…

    Quatre pages plus loin, les mots s’éloignent, la poésie dit ta voix, le doute, peut-être (« La phrase après s’effrite/un corps qui veut tomber »). Le soir, toujours (« et déjà les mots trahiraient ») et si tu osais cette nudité, repousser le temps ? Tu as le droit de jouir du jour.

    Page soixante-dix-neuf : tu rassembles tous tes désirs, les mots après tant de chemins, de phrase en texte, racontent le livre et le besoin de silence. Le temps patine ces pages, ces enfances jusqu’à presque l’effacement des mots. Pour faire mémoire ? Souvenirs ? Tu attrapes ton rêve pour aller vers l’errance naturelle.

    Comment t’apaiser ? Les sanglots sont secs aujourd’hui, pourtant, ta main s’est posée et recherche encore ce front. Tu traduis ces instants d’une merveille de gestes, dans la mort accomplie ! Que c’est beau ! La paix va-telle arriver ? Tu nommes enfin la dureté de la pierre, les yeux de statue et ce vers page quatre-vingt-neuf (« Ramassons jusqu’au plus loin de nous ») enfin nommé, un début d’écho à ta naissance.

    Toute la suite des poèmes à partir de la page cent, sont le présent d’une suite et d’un recul que tu saisis jusqu’à une certaine douceur. Je les lis comme une histoire continue car « ensemble est notre chance », tu reviens au vivant pour un futur possible (« l’étang à fouiller, un dolmen à chercher »).
    Tu parles, dans le calme d’une discussion, moins de questions, tu marches vers le jour, avec lui (« Prends ma main, et marchons parmi notre mémoire »).

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  6. La note de lecture de Sophie Marie van der Pas se poursuit sur la troisième partie du recueil:

    Nous arrivons à cette troisième partie, avec ce titre évocateur et une projection vers la « salve de mémoire ». Je pourrais te dire : pourquoi ce retour en millénaire ? Ma réponse à moi serait : juste regarder en arrière, se retourner n’est pas regarder, c’est absorber tout ce que d’autres avant nous ont vécu de leur chair, de leur âme, leur temps du vivant de leur cœur et la beauté de ce qu’ils ont construit en eux.

    La fresque n’est guère abîmée, la vie quotidienne traduit les saisons, les gestes, les récoltes. J’adore dérouler de mes yeux celle-ci et comme lui, je suis troublée…personne ne voit la même histoire mais la pierre prend la mémoire.

    J’avance avec quelques images reconnues, dont ces coffres à l’allure de maisons, tendres, protectrices, une impression de maison de poupées où l’on découvrait sous le toit un amour, une chaleur, une intimité totale. Je revois l’image du film « Garde à vue » où Michel Serrault vient détailler, ce soir de Noël, la maison de poupée pour Camille, l’enfant émerveillée….

    Dans ces fresques, c’est le toit qui compte, n’est-ce pas ?

    Ces premiers poèmes sont d’un questionnement lucide : ensevelir ? Ou incinérer ? Parler encore de mort, du deuil, mais autrement, chercher le lieu pour accueillir, si légitime. Tu le résumes si simplement et là, ces mots qui me plaisent : « Aujourd’hui, je ne sais plus si enfouir nos morts mène à plus de mémoire. »

    Ce n’est pas que je j’accélère mais je lis, dans ta limpidité, les poèmes de pierre. Je m’y sens bien, ce qui veut dire que mon parcours continue sa réflexion près de toi, jusqu’au choc : « À moi de pétrir la pierre du souvenir. »

    Ta volonté, tes décisions font surface, tu prends acte, tu te dégages tout en maintenant la présence de la pierre. Qu’y a-t-il dans ce pétrissage ? Qu’y a t-il en toi pour soudain avoir su traverser la pluie ? « Maintenant tu m’entends » : ô merveille, de la communication, après les questions, tu vas chercher nourriture ailleurs. C’est quoi cet ailleurs ? Une autre façon de réincarner l’amitié, de sortir de l’ornière et de sa pourriture ?

    J’avance en parlant, te lisant: « Si la cendre est le dernier lit du feu il préservera parmi nous un lieu. » Je me rapproche de tes mots, sans avoir lu dans le même sens que toi.

    Merci pour cette avancée de légèreté, par ta main qui ose raconter même si elle hésite. Elle commence le poème, témoigne. Elle est partie de la nuit sombre opaque, pour nommer l’aube ! En cela, j’entre dans une nouvelle lumière.

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  7. Fin de la note de lecture de Sophie Marie van der Pas, à propos des quatrième et cinquième parties du livre:

    Dans la quatrième partie, « Au lendemain des reliques », il est intéressant de faire appel au phœnix, l’image de l’oiseau de feu qui va mourir et renaître de ses cendres. Toi, tu lui donnes une dimension intérieure, qui se souvient. Renaître est partout même si tu hésites encore mais tu as compris que même aveugle, tu peux toucher encore, et le vent, et les feuilles : tu pénètres sur ton chemin.

    Je suis sereine, la lumière prolonge le jour, jusqu’au crépuscule. Ta poésie se fait onirique, pleine de vie, comme un tableau où l’horizon touche les nuages, où le voyage à deux est proche, possible et ce magnifique vers : « Il n’y a de bonheur qu’ébréché. »

    Je te retrouve dans la fêlure, je l’avais déjà senti dans « La soif et le sillon », l’ébrèchement de toute chose montre et dessine le vécu, l’usure jusqu’à la disparition, toute âme devient fragilité, dans la morsure des contours. En vieillissant je peux te dire que les sentiments s’affinent, on devine à travers la feuille, le verre, la céramique, on regarde la caresse, celle donnée aux plus vieux, sur leur peau parchemin !

    Tu reprends ta discussion avec lui mais cette fois-ci , assis près de lui, il te parle, tu lui réponds, le poème à présent progresse, tu n’es pas intrusif parmi ces immobiles ! Tu as appris à regarder, de l’intérieur, et au bout des fresques, tu grandis.

    Dans la dernière partie, « Vers la promesse d’un chant », tes poèmes savourent le réel. Page cent-soixante-dix, j’ai adoré que la nuit se penche vers l’aube, vivante, et que la réponse soit aussi belle !

    Quant à la dernière esquisse, dans la quête et la lucidité, j’ai envie de pousser enfin l’ombre, pour cette promesse de naissance, tu conclus sur un espace préservé. Oui, entre épave et envol. Il faut réinventer sur nos cendres, sur toutes les blessures et cicatrices, pour qu’elles ne soient plus nommées cicatrices ou fêlures. L’humus comme le fumier fertilisent l’âme et le chant arrive, aussi précieux qu’une plume, ou comme pour toi, « sur du bois mité passer un pinceau d’or ».

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  8. Sur le portrait de don Manuel Osorio peint par Goya, nous voyons une pie en laisse et vulnérable. Quel message son bec porte-t-elle ? Comme ton peintre aimé, il me semble que tu as voulu partir à la recherche et représenter les limites qui séparent le monde fragile de l’enfance, son innocence et l’entrain de ses jeux contre les forces toujours présentes et actives du Mal.

    Loin de laisser sommeiller notre conscience, c’est à un itinéraire contrasté, sensible et éclectique que tu invites ton lecteur. Une aventure à travers les images « ténébreuses » d’une imagination encore inquiète. Un réalisme de brume qui cède le pas aux spectres.

    Insolite portrait libre et intime où la sérénité affleure parfois, voilée de mélancolie.

    Les fragments, l’engluement dans la boue menacent mais la fresque et son mouvement semblent indiquer l’accession possible au Tout. Illustration d’une insurrection contre le néant, en lutte contre l’obscurité du soir qui gagne les consciences et leur désir d’oubli.

    Les victimes innocentes ne meurent pas pour rien.

    Où trouver le sens des arts ou de la littérature lorsque les œuvres authentiques s'effacent au profit des commentaires ? Si l'humanisme moderne a échoué c’est peut-être parce qu’il manquait de...transcendance.

    A moins de reconnaître, ce que tu fais, dans les arts et le mouvement du langage le sens émergeant de la Création...et peut-être d’y glisser la transmission d’un au-delà.

    Maintenant tu ne craindras plus les ombres ni les fantômes.

    Anne-Sophie Dunet-Iannello

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  9. Cher Gabriel Zimmermann,

    Je vous remercie de m'avoir envoyé Lapidaires et de me permettre ainsi de suivre votre chemin en poésie. Votre quête exigeante vise, m'a-t-il semblé, à arracher des mots, une voix, à l'ombre où vous a entraîné le deuil d'un frère, la mémoire blessée par la guerre d'un père. Ce qui la rend difficile, c'est que le souffle, la lueur sont cherchés à la la fois du côté de la mort - reflet sur les crânes, la paroi d'os ; traces humées par le chien de l'âme dans l'herbe nocturne - et du côté de la vie, "vers la promesse d'un chant". Il est très compréhensible que dans ce désarroi vous ayez trouvé un certain repos dans les "sculptures étrusques", qui nous donnent une image sereine, amoureuse même, parfois, de la vie, dans les statues allongées des couples, mais malgré tout figée dans la pierre. J'espère que "face au miroir [vous trouverez] sur nos visages/ Encore un peu de dieu", un reflet de la résurrection qui vous tournera entièrement vers la vie.
    En vous remerciant encore de votre fidélité, je vous souhaite un été serein et vous prie de croire à mon attentive sympathie.

    Jean-Pierre Lemaire

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  10. Lecture d’un nouveau livre de poèmes de Gabriel Zimmermann : Lapidaires, Ed. Tarabuste, 2020.

    Avant même d’entamer une première lecture de Lapidaires, nous nous interrogeons sur le sens de son titre, qui fait affluer non seulement une, mais plusieurs définitions. Au XIIIème siècle, le substantif « lapidaire » (cf. lapidarius) désigne un traité consacré aux pierres précieuses, ou bien un artisan qui taille les pierres ou encore la petite meule, qui est destinée au polissage des pierres, mais, au XIXème siècle, « lapidaire » est un adjectif synonyme de concis ou de bref. Et le dictionnaire ajoute qu’en littérature ce mot évoque, en raison de sa vigueur et de sa concision, le style des inscriptions sur pierre. Avant d’aborder la lecture de ce recueil de Gabriel Zimmermann, nous ne pouvons donc pas savoir ce que le mot « lapidaire » désigne, d’où nos questions et aussi l’attrait de ce nouveau livre.
    L’accès aux premiers poèmes et le regard porté sur les structures textuelles nous amènent en premier lieu à constater la présence de quelques textes en italique, très brefs, l’existence de vers courts, le rôle des espaces blancs entre ces vers brefs et nous comprenons assez vite que ce livre est d’abord placé sous le signe de la concision la plus stricte. Puis, lorsque la lecture avance, nous retrouvons des caractères propres à l’écriture de Gabriel Zimmermann, c’est-à-dire la prédominance du littéral, du non-réaliste, le rejet des fioritures et le rapprochement insolite de mots qui exigent d’être décryptés par les lecteurs dans le domaine de l’espace et dans celui du temps, le non-dit ayant constamment une fonction créatrice lors de la découverte par les lecteurs d’un monde totalement revu par le poète, c’est-à-dire revu autrement.
    Cependant, un autre mot joue un rôle déterminant, « la pierre » (lapis, origine de lapidaire), dans la mesure où il s’agit d’une matière qui résiste au temps et sur laquelle il est possible d’inscrire, verticalement et horizontalement, des signes toujours visibles après des millénaires. Le poète est fasciné par les sculptures et par l’architecture des monuments, qui révèlent, intacts, des signes de mondes disparus : la poésie est ici en question et déjà aussi le langage que les hommes parviennent, ou non, à utiliser. Que peuvent dire les êtres ? Comment notre corps arrive-t-il à trouver les mots ? A quoi servent les yeux, la bouche, les mains ? Mais la fascination qu’exercent la pierre et le langage provient aussi de tout ce que perçoit ce grand marcheur sur les chemins qu’est le poète, à travers la nature - mer, ciel, terre, oiseaux - et qu’il consigne dans ses poèmes. Le lecteur suit avidement les multiples parcours du moi, qui ne sont jamais les mêmes car le moi a besoin, à chaque pas, de se renouveler. Gabriel Zimmermann ne cède jamais à l’illusion et s’il mentionne la beauté du cosmos, il la voit également inséparable de la limite et de la déperdition.
    Toutefois, dans ce livre, les références à la mort sont aussi et encore liées à la mort de l’ami adolescent, qui avait fait l’objet d’un très beau recueil publié en 2018 aux éditions Tarabuste, Depuis la cendre. Après les textes marqués par la souffrance du deuil, nous lecteurs avions perçu chez le poète le désir de vivre ou de revivre autrement, ce que disaient clairement les trois derniers vers de ce livre :
    Mais quelque chose appelle en moi
    Comme une faim, une faim de lumière
    Et c’est ici que la mort finit. (p.103)

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  11. Or, dans Lapidaires, Gabriel Zimmermann évoque à nouveau la mort et le mort mais avec d’autres mots et aussi parce que la poésie permet l’alternance, la réapparition de ce que l’on croyait résolu ou résorbé et qui, de fait, ouvre de nouvelles perspectives, pose d’autres questions qui assurent le perpétuel enrichissement de ce voyageur permanent qu’est le poète. Cependant, il est possible que des lecteurs - surtout les plus jeunes - expriment le regret d’un retour au mort et à la mort, même s’ils font l’éloge de l’écriture poétique. J’ai constaté cela au cours d’une récente lecture effectuée avec un groupe mais la seule réponse est que le poète, quel que soit le thème abordé, nous entraîne vers un mouvement vital fait de contrastes et de contradictions qui implique aussi, en même temps, l’accès à l’harmonie et il nous faut citer ici quelques-uns des derniers vers, si éclairants, de Lapidaires :
    Entre épave et envol nous préservons
    Un goût de ciel qui s’unit à nos fêlures
    Puis les recouvre (p.174)
    L’inventivité du poète se manifeste d’un bout à l’autre du livre, exigeant de nous une extrême attention, des ralentissements dans la lecture, en l’absence de ponctuation dans de nombreux poèmes et aussi parce que la syntaxe se défait parfois d’un terme qui aurait été notifié dans une phrase résolument classique. Nous suivons le discours et répondons aux interrogations fréquentes du poète qui parle à la première personne et qui se sert souvent du tutoiement, témoignant ainsi d’un désir de dialogue avec le lecteur qui est d’abord l’autre, celui qui écoute.
    Aucun poème n’a de titre mais Lapidaires comporte cinq moments (ce sont là des secteurs plutôt que des parties), précédés d’un titre en caractères gras : Des furtifs (p.9-57), Itinérances accompagnées de prières (p.59-120), Sculptures étrusques qui font salve de mémoire (p. 121-137), Au lendemain des reliques (p.139-164), Vers la promesse d’un chant (p.165-174). Cette composition est comme la main qui a cinq doigts puisqu’elle résulte d’un faire, d’un acte qui organise et réunit des espaces différents, d’abord consistants (le premier et le deuxième) puis brefs (le troisième et le quatrième), le cinquième étant le plus bref du recueil, celui qui assure l’ouverture vers des langages ultérieurs. Chacun de ces cinq moments a une identité particulière : le premier et le deuxième sont des expériences intérieures et extérieures du moi, le mot « itinérances » contenant à la fois des parcours et des errances ; le troisième moment met en valeur la pierre des sculptures étrusques : c’est là un épisode essentiel auquel succède un après, donc diverses expériences toujours liées à la nature ; enfin, le dernier secteur est une annonce, le locuteur s’engageant vers un chant futur qui laisse présager l’importance de la musicalité de la parole poétique.
    Ce livre rassemble donc les expériences toujours intenses et lucides d’un locuteur souvent insatisfait qui a connu et connaît la tristesse et la crainte, le regret et le deuil. Cependant, il ne s’agit pas simplement d’anecdotes ou de souvenirs ni de la seule exploration d’un moi chez qui règnent l’intelligence et la culture. Il y a dans ce livre quelque chose d’autre dont nous n’avons pas encore vraiment parlé : c’est la passion obsédante pour les mots, le langage et la poésie. En effet, dans les cinq espaces de Lapidaires, à côté d’autres thèmes et d’autres motifs, s’impose et demeure intact le souci des mots, qui s’inscrit face à des paysages mais selon le moment, la nuit ou le jour, le langage est toujours sur le point de surgir ou de disparaître avant de reparaître encore. Pour évoquer sa relation aux mots, Gabriel Zimmermann choisit des structures poématiques très diverses : le vers court (quelques syllabes), la strophe brève, les espaces blancs.

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  12. Il conviendrait de lire puis de commenter tous les textes qui évoquent l’aventure prodigieuse que vit le moi avec les mots. Nous nous attacherons ici à un seul texte de Des furtifs, le premier du livre qui mentionne « les mots » à la page 16. En quatre strophes se crée un paysage marin ou plutôt un va-et-vient harmonieux à valeur symbolique, auquel succède une seule strophe de quatre vers où sont notifiés les mots mais en totale contradiction avec le paysage marin qui a précédé car si le langage, en effet, se déploie, il disparaît ensuite sans recours. Lisons :
    Dans le soir gris,
    Des barques échouées sur la plage
    Ici s’impose l’arrêt d’un rythme non nommé, celui de la mer (barque est une métonymie) durant le temps nocturne ; il s’agit là d’un fait habituel, implicite, pour ainsi dire mécanique.
    La mer se retire
    Pour la nuit
    Espace et temps sont à l’unisson : « gris » et « nuit » ont la même rime :
    Comme une pudeur de l’eau
    Pendant les ombres
    Il y a là un essai d’explication ou plutôt une comparaison sans valeur introduite par « comme » :
    Avant l’aube,
    Les vagues
    Reviendront
    C’est encore le temps, « l’aube », qui est la cause du mouvement des vagues et de leur retour. Le verbe au futur, « reviendront », met en exergue l’existence d’un rythme inchangeable :
    Les mots, eux, n’ont pas chance
    De ressac
    Ils déferlent puis disparaissent
    Sans retour de souffle
    Le paysage disparaît, il s’absente du texte pour être remplacé par « les mots » ; le ressac, terme marin, lui est étranger. Trois verbes sont ici en action : n’ont, déferlent (relatif à la mer), disparaissent (lié aux mots). Le souffle perdu est celui de l’être humain, exclusivement, alors que « souffle » est habituellement associé à la nature, en particulier au vent. Ici est donc notifiée en peu de mots ce qui est déjà une poétique ou du moins une certaine conception de la difficulté que connaît le poète face au matériau langagier lui-même, qui est libre et indépendant et qui se dérobe malgré le travail effectué sur lui. Cependant, c’est en quelques mots du poème que s’inscrit le paradoxe, lié à l’instant, qui est la raison d’être de Lapidaires.

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  13. À la page 23, dans une structure comparable à celle du poème précédent - vers court, espace blanc, tercets- dont le premier vers est : « Les mots s’atténuent » (p.23), on assiste à une progressive extinction, le soir, de tous les sons liés à la voix, aux lèvres, à la bouche, aux mains et aux yeux, d’où le fait que la parole devient balbutiement.
    En revanche, dans un long poème (p.48-49) de cette même première partie, le moi explique son retour aux mots après une dure interruption dont il ne signale pas les causes :
    Une année de silence
    Mes lèvres moins que le vent
    Jusqu’à marcher avec le désert
    Il fait allusion à sa voix qui est revenue et se réjouit de l’afflux des mots sans chercher à comprendre pourquoi il en est ainsi, tandis que sa propre bouche est associée à la lumière du ciel :
    Les mots surgissent par grappes
    Me revoici parmi vous ma bouche
    En s’essayant à dire un peu du matin
    Que nous partageons, entendez-vous comme elle
    Ressemble au ciel, elle aussi hésite
    Dans sa lumière (p.48)
    Une autre étape se produit, où sont mentionnées la langue et la parole qui sont comme spontanément investies et le poète se demande s’il ne sera pas possible de parvenir au chant, c’est-à-dire à un niveau supérieur de l’expression, au chant de la langue qui pourrait être alors une définition de la poésie. Une autre possibilité demeure mais elle est négative car elle consisterait à utiliser un langage pauvre pour décrire ce qui n’a aucun rapport avec le poète :
    Ou je continuerai avec ces phrases de grêle,
    Pressé de décrire ce qui se donne à voir au loin (p.48)
    Cependant, le moi a une réponse catégorique : le silence, qui a pesé sur lui, l’incite à reprendre la parole le plus vite possible pour évoquer ce qui n’est pas dit et ici le verbe « dire », répété à l’infinitif, représente le travail poétique même s’il est imparfait, ce dont rend compte le voisinage des mots « hâte » et « hanté »:
    Après ces saisons muettes,
    Je n’aurai que la hâte, hanté de rattraper
    Les paysages tus, les dire
    Pour les dire

    Jusqu’à bégayer sous le soleil (p.49)
    Le dernier poème de la première partie du recueil (p.57) met en exergue la fragilité de la poésie, qui tient à son écriture et à la pluralité des thèmes qu’elle aborde, d’où la franchise du locuteur, certes actif mais vigilant :
    Qu’importe, les mots demeurent
    Fragiles
    Cette voix sur la page, elle
    Ne promet pas moins d’absence

    J’en reste à gratter le réel (p.57)

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  14. Dans le premier texte du deuxième mouvement, Itinérances accompagnées de prières, le poète s’exprime de manière intime et franche sur le travail qu’il mène sur la langue et qui est, d’une certaine façon, une lutte avec tous les mots qu’il faut gagner :
    Il y a tant de patience
    Dans les mots que tu lis, je les fais entrer sur la page
    Comme un gardien, la liberté gesticule
    Et ma réponse est un étau,

    Constricteur face à la rage en attente (p.61)
    Cependant, n’y aurait-il pas d’autres choix pour le poète, d’autres espaces entre les mots, d’autres cadences et aussi le plaisir d’accéder à un langage qui échapperait à ses gardiens ? Or, l’on en reste à un usage du verbe au conditionnel. Le poète poursuit dans cette voie à la page 69, où il enregistre des défauts, des manques, des hésitations, tous relatifs au maniement des phrases :
    Les mots fléchissent

    Ombre hagarde ouvrant ce texte,
    L’ellipse
    Fait du langage un bond de lueurs dans les nuées
    Quand il faudrait se cambrer parmi la phrase,
    L’étendre à ses couleurs écrues,
    Indiscutées comme l’acier d’un tranchoir (p.69)
    Le poète se dit responsable de ce qui survient dans l’écriture, sa lucidité n’est jamais prise en défaut mais il sait que les mots peuvent être rectifiés :
    Les mots s’éloignent
    Demain, je les retrouverai, avec eux ma voix
    Se dressera, la poésie aura profil d’aube émaciée
    Et le rêve aussi tiendra sur ma main
    Comme un joyau froissé (p.75)
    Écrire de la poésie implique le règne de l’urgence, d’où le fait que celui qui la pratique ne tardera pas, faute de quoi le poème sera raté mais le locuteur-poète, qui parle à la première personne, sait parfaitement définir ce qu’est la voix poématique dont le rythme est celui de l’eau et du sable dans les deux modestes espaces qui les recueillent :
    Dans le soir descendu sur mes yeux
    L’impatience ordonne, enclaver la phrase
    Qui monte à la bouche et déjà les mots trahiraient

    Quand ralentit l’écriture, entends-tu
    La première haleine du diable ?

    En entamant ce poème avant la nuit, les doigts tremblent
    Et tarder fraie un langage insincère

    La vraie voix aura l’écoulement
    De l’eau bleue dans la clepsydre
    Ou des grains dans le sablier (p.77)

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  15. Dans un bref poème écrit en italique (p.84), sur la page de gauche, le locuteur affirme qu’il n’y a qu’un choix possible à ses yeux : ou bien l’on entretient le culte d’un passé consacré ou bien l’on parle, ce mot désignant l’acte d’écrire et de lire la poésie. Le dernier vers, qui surgit après l’espace blanc, se sert du mot « limbes », qui ne désigne ni le ciel ni l’enfer mais un espace intermédiaire sans avenir pour suggérer que le langage est, par essence, mouvement :
    Abandonner sa voix aux cryptes,
    Aux momies, aux niches
    Percées dans les catacombes
    Ou parler

    Les mots n’ont pas de limbes (p.84)
    Les pages 92, 93 et 94 retiennent particulièrement notre attention car Gabriel Zimmermann y évoque trois mots de l’un des grands poètes du XXème siècle, connu internationalement, Federico García Lorca, qui le fascine et le laisse seul face à sa propre poésie :
    La main impossible : avec cette image,
    Lorca me laisse dans l’enclos du poème,
    Béant face à un nom qui n’est plus offrande
    Ni sollicitude à soigner le cerf blessé. (p.92)
    La main impossible provient d’un recueil de Lorca intitulé Diván del Tamarit et plus précisément, d’un poème qui a pour titre : Qasida sixième (Laurence Breysse-Chanet a traduit et commenté ce livre de Lorca dans Europe, avril 2015, n°1032, p.110-125 et p.126-134). Il faut donc que Gabriel Zimmermann accomplisse son propre itinéraire pour qu’à la page 112 de Lapidaires figure un texte où la main est à nouveau impossible mais présente autrement. Dans ce poème où alternent l’octosyllabe et des vers très courts (dissyllabes) est mentionné un interlocuteur qui est tutoyé et qui s’interroge sur le pourquoi de l’écriture, de « ces mots sur la page ». Apparemment, il semblerait que le fait de voir, de regarder puisse suffire à l’interlocuteur :
    Regarder c’est déjà écrire
    Dis-tu
    Voir suffira, fera ma parole (p.112)
    Mais le moi répond énergiquement que les yeux et les lèvres sont insuffisants et que seule la main, déjà évoquée dans ce recueil, fera survivre le langage. Nous sommes séduits par la métaphore étonnante qui sert à définir les lèvres jugées incompétentes :
    Je te réponds
    Que les yeux n’ont pas de creuset
    Que les lèvres
    Sont deux douves sans mémoire

    Ma main, entends-le, seule
    Ma main nous fera survivre, elles
    Iront au-delà de nous, ces phrases

    Même la nuit ne pourra rien (p.112)

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  16. Après avoir notifié ces expériences individuelles, Gabriel Zimmermann passe à la généralisation en désignant non pas un poète mais le poète en soi et il commence par qualifier le point de départ de la phrase,
    Pour le poète
    La traque arrive à l’envol de la phrase (p.153),
    ce qui coïncide avec une impression de lumière mais celle-ci ne suffit pas ou faudrait-il la saisir, l’accaparer ; enfin, « l’élan des mots commencés » conduit vers « le haut du jour » tandis que le moi-poète regarde ce « langage à paraître », donc inédit, pour qu’il soit valorisé, mis à l’honneur, pour qu’il dépasse le pouvoir des mains, c’est-à-dire l’acte créateur lui-même :
    Pour le hisser jusqu’où nos mains n’atteindront pas (p.153)
    Après ce poème, composé de quatre strophes où la majorité des vers a plus de sept syllabes, est placé un texte aux vers brefs (dissyllabes, trisyllabes) où est mise en doute la mémoire des voix puis où le locuteur fait l’éloge des bouches qui « survivent » et des phrases qui seront écoutées dans le futur car la main n’est pas seule à inscrire un avenir lisible :
    La main n’est plus seule
    À laisser une effigie
    De nous (p.154)
    Cependant, plus que jamais lucide et ouvert à la fin du recueil, le locuteur envisage la création textuelle par rapport à ce qu’elle était dans le passé. Il estime que le langage s’est réduit et qu’il comporte moins d’images : l’on peut même se demander s’il n’y a pas là « assèchement ou usure » (p.157). Après la célébration passée s’impose davantage d’acuité, d’où la louange finale d’une avancée du poème sous le signe d’une lucidité accrue :
    Face à l’écriture autrefois ostensoir
    La nécessité d’aiguiser grandit

    Le poème à présent progresse escorté de lueurs
    Vigilantes (p.157)
    Mais les tout derniers mots de Lapidaires consignent une victoire du chant sur le silence et l’usage de ce pinceau emblématique qui revitalise le bois usagé parce qu’il est d’or :
    Ou sur du bois mité passer un pinceau d’or (p.174)
    MARIE-CLAIRE OSSÉJA

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  17. Bonjour Gabriel,

    Je retrouve bien ta plume et je suis heureuse d'y saisir...un surplus de ciel. Tout doucement la vie chemine vers plus de lumière et c'est bien ainsi.

    Cristina Porzio

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  18. Dans Lapidaires, beaucoup de choses, des nouveaux thèmes comme celui de la guerre ou de l’inspiration poétique. Je n’ai pas cherché à tout comprendre ni à analyser. Juste me laisser porter par l’émotion, les images, le mystère savamment entretenu. La révolte est moins présente, moins tranchante, elle a cédé le pas à une profondeur tragique plus feutrée, prête à rencontrer l’acceptation.

    La lumière est là, même maintenue tamisée, elle cherche à prendre sa place, laissant entrevoir ses rayons dorés et régénérants. C’est ce que j’ai ressenti.

    Une belle évolution, le Graal, c’est le chemin intérieur parcouru !

    Bravo pour tout ce travail.

    Élisabeth Lecocq

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  19. Une note de lecture par Claude Obadia:

    Lapidaires, la nouvelle livraison de Gabriel Zimmermann, ne décevra pas ses lecteurs, à commencer par ceux qui, en 2018, saluèrent la force évocatrice du bouleversant Depuis la Cendre. J’avais alors été frappé par la sensibilité et la haute précision du style de son auteur. Mais j’avais été surtout ému, dans ce recueil, par la fidélité à la mémoire de l’ami disparu. C’est que la fidélité est une vertu. Et une vertu rare dont l’homme pressé que nous sommes devenus n’a que faire, qui célèbre béatement l’éphémère quand il ne se prosterne pas au pied de l’ère du vide. La découvrir si rigoureusement attentive, appliquée, scrupuleuse même puisque attachée à tous ces petits riens qui, dans le mystère d’une amitié vraie, deviennent de si grands événements, m’avait réellement bouleversé.

    Avec Lapidaires, Gabriel Zimmermann renoue avec l’exigence qui guide sa plume. Cette exigence est d’abord littéraire, ou disons plutôt scripturaire. Car on ne plaisante pas avec le langage, semble-t-il nous dire. On ne plaisante pas avec les mots ni avec la musique à laquelle leur entrelacs donne ici naissance. Il faut donc les prendre au pied de leur lettre, les ciseler, les ajuster afin qu’ils sonnent au plus juste. Rien d’étroitement littéraire là-dedans. J’y vois plutôt un clin d’œil à Gorgias, à son Éloge d’Hélène, et peut-être à ce qu’il faut nommer le désespoir de Gorgias. Car enfin, que nous reste-t-il quand la culpabilité d’Hélène est si incertaine et quand son innocence ne l’est pas moins ? Que nous reste-il lorsque l’Être se refuse à notre connaissance, bref quand on comprend qu’il n’est pas possible de connaître vraiment ce qu’on croyait connaître ni d’accéder à la vérité que nous confondions jusque-là avec ses contrefaçons ? Il nous reste le langage. Il nous reste la poésie. Il nous reste l’éloquence. La poésie à même de nous consoler des déboires de la philosophie. L’éloquence capable de sauver l’Être, c’est-à-dire de nous permettre de croire à la possibilité de le connaître en tant que tel. Et là, on n’est plus dans la poésie. Ou plutôt si, on y est ! Mais on est aussi dans la métaphysique. Dans la force métaphysique que la poésie possède quand elle donne vie au passé, quand elle lui reste fidèle par sa fidélité à la langue qu’elle nourrit et qui la nourrit.

    Gabriel Zimmermann, dans l’attention qu’il porte à l’enfance et aux souvenirs, dans la nuance avec laquelle il leur donne vie, accomplit ici une œuvre aussi belle qu’intelligente, aussi touchante que véridique. En vérité, qu’il soit poète ou métaphysicien n’importe pas. Car ce recueil est avant tout celui d’un témoin sous les poèmes duquel le verbe prend force et l’esprit s’incarne réellement. Quel plus profond témoignage, quelle plus essentielle leçon, l’auteur de Lapidaires pouvait-il nous offrir ?

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  20. Une libre évocation de Patrice Maltaverne, publiée sur un de ses blogs, à l'adresse suivante:
    http://poesiechroniquetamalle.blogspot.fr/


    Publié par les Éditions Tarabuste, dans sa collection "DOUTE B.A.T.", "Lapidaires", de Gabriel Zimmermann est le quatrième recueil édité de l'auteur. De dimensions importantes (174 pages), "Lapidaires" regroupe des poèmes divers, mais à la densité singulière.

    La poésie de Gabriel Zimmermann est-elle une poésie naturelle du dehors, comme chez beaucoup de poètes lyriques ? Pas vraiment. Plutôt que de promenades, il s'agit plutôt d'échappées vers le dehors qui finissent immanquablement à l'intérieur, voire dans un tombeau. Le jour ici en appelle à la nuit, sans que le désespoir s'installe pour autant.

    De plus, les formes que prend la nature sont souvent figées (les pierres sont très présentes). Ce n'est pas le vert ou le bleu qui parcourt de préférence ces objets inanimés, mais plutôt le noir et le blanc. Comme dans un film ancien, comme si l'action était avant tout une représentation légendaire d'un peuple défunt (les étrusques sont évoqués à un moment).

    Parfois aussi, il y a des souvenirs d'enfance qui reviennent. Avec ce compagnonnage mystérieux avec l'autre, le disparu ? Avec cette communion d'inspiration religieuse.

    Cette ambiance est très bien résumée par plusieurs des titres des différentes parties du livre, par exemple : "Des furtifs", "Itinéraires accompagnés de prières", "Sculptures étrusques qui font salve de mémoire", et "Au lendemain des reliques".

    Extrait de "Lapidaires", de Gabriel Zimmermann :

    "Je te le dis avant que des voix nous recouvrent
    Bientôt mes mots se perdront parmi des cris sans mémoire
    Et face à ma bouche hagarde
    Tu répondras que la parole a besoin de décombres

    Écoute un ami, diras-tu
    En cherchant ma main dans l'ombre
    Le soir peut falsifier, quittons la fête inerte
    Et rentrons chez nous par un chemin sans montueux

    Dans moins d'une heure,
    le sommeil unira nos maisons

    Pourquoi ajourner la paix qui s'offre ?
    Demain, grâce à ta tendresse
    Je reviendrai vite à mon visage

    La veille, où mon regard ralentissait
    Jusqu'à imiter l’œil troué des fantômes,
    Se sera diluée dans un songe blanc

    Avant un repos d'innocents
    Prends mon épaule
    Nous marcherons humblement, en respirant le vent noir,
    Prêts à chuter d'un même souffle."

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  21. Par Claude Vercey, son article "Gabriel Zimmermann et le pari du lyrisme", sur le Magnum de la revue Décharge:

    https://www.dechargelarevue.com/I-D-no-891-Le-pari-du-lyrisme.html

    Mieux que ce titre général, ceux des quatre parties qui constituent l’ouvrage rendent une idée plus exacte du projet et de l’écriture : hors "Des fugitifs" en ouverture et qui reste à part, pages où je m’attarderai de préférence par la suite, "Itinérances accompagnées de prières", "Sculptures étrusques qui font salve de mémoire", "Vers la promesse d’un chant", et leur formulation d’une distinction un peu ronflante, font un plus juste écho à l’ambition du poète, à une démarche que décrit le poème suivant :

    Freiner pendant que s’écrit la phrase,
    Instant méditatif avant une amplitude
    Vers plus de lyrisme ou la voix se cabre
    Face au défi de laisser sur la page un signe
    S’étendant au-delà du temps des hommes ?

    On dirait que l’éternité fait l’aumône.

    Cette amplitude, qui entraine l’écriture vers plus de lyrisme, caractérise de fait la poésie proposée dans ce qui se présente comme un recueil classiquement composé de pièces aux sujets divers, d’une réflexion sur l’incinération des morts, et qui fait la liaison avec le livre précédent, à l’évocation, un rien saugrenue en ce style soutenu et solennel, de la conduite du labrador de l’auteur : "Humer l’urine appartient à la lumière".

    Ce parti-pris du lyrisme, qui est aussi pari sur l’avenir, montre s’il en était besoin la haute idée que Gabriel Zimmermann se fait d’un art qu’il pratique avec rigueur, qui l’entraine nonobstant à contre-courant de ce qui semble un mouvement général de la poésie actuelle, laquelle s’efforce au contraire à moins de lyrisme, à se contenter du peu, à user de la dérision et de l’humour, quand le poète de Lapidaires cultive en toute circonstance une inaltérable gravité. Gabriel Zimmermann semble s’engager sur une voie solitaire, d’une austérité qui force le respect, dans une tonalité générale d’affliction.

    De cet ouvrage, qui ne bénéficie pas de l’homogénéité de Depuis la cendre tout entier concentré à dresser un tombeau à l’ami disparu, on est tenté de prélever quelques poèmes remarquables, anthologiques. J’ai hésité quant à moi entre ce poème tout à fait singulier, écrit au féminin, d’une femme à la veille d’avorter : "Quelle affection pour lui? Quelle endurance offrir à celui qui casserait ma jeunesse?" et se réservant pour plus tard : "si j’aime/ Il (mon ventre) abritera une union sans blessure" et celui-ci :

    Raconter, dis-tu, paraît horreur à ton père
    Quand il revint de la guerre, un désert fermait ses lèvres,
    Survivre avait engendré un refus
    « Tu ne feras récit de rien »

    A cet ordre il ajouta que ses projets
    Avaient fini sur la montagne aux cadavres
    « Là-bas le langage est tombé »

    Lui qui nous déclamait enfants des fables
    Te souviens-tu, dans le jardin, sous l’orme,
    Il avait une voix onctueuse, éveiller la fiction
    Amenait un chant sur sa bouche
    Nous y trouvions magie, face à nous déjà
    Les animaux avaient surgi et parlaient

    Un soir, j’exhumai ces anciens trésors de l’imaginaire :
    « Crois-tu que la splendeur quelque part subsiste ? »
    A ma question, il détourna les yeux :
    « La poésie parmi nous ne peut pas renaître »

    Le premier devoir d’un fils semble bien de mettre à mal les certitudes du père...

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  22. Quelques impressions à propos de Lapidaires…

    Je ne prétends pas faire une analyse ni même entreprendre de porter une appréciation sur la qualité littéraire de ce recueil, mais relever les quelques sentiments et sensations qu’a suscités et nourris sa lecture…

    Dans un premier regard, je dirai qu’il s’agit d’un travail remarquable, d’une grande richesse et d’une réelle diversité d’écriture, même s’il apparaît animé par certains thèmes récurrents. Sans doute faudrait-il y inclure, donc y découvrir un parcours et il est vraisemblable que le recueil décrit ce parcours, intègre une évolution, mais la présentation éditoriale ne permet pas de les suivre facilement et seule une lecture approfondie permettrait de les reconstituer. Le décryptage de l’enchaînement, thématique et affectif, des diverses parties, apparaît donc souhaitable et nécessaire.

    La première remarque qui s’impose est celle du mode de conjugaison. Le néophyte a l’habitude de considérer que le poème s’écrit de manière impersonnelle, à la troisième personne du singulier et constitue un regard extérieur, une « description » avec prise de recul; celui qui écrit se différencie de celui qui regarde et éprouve; il l’aide dans l’écriture de ses impressions. Dans Lapidaires, il n’en est rien: quelques poèmes sont écrits à la première personne du singulier mais la grande majorité le sont à la deuxième. La pratique d’écriture est celle du tutoiement; on est amené à se poser la question: à qui s’adresse l’« auteur » ou le rédacteur du poème ? Dans certains d’entre eux, il s’adresse à un ami défunt qu’il évoque régulièrement, qui reste en permanence présent dans sa mémoire mais avec lequel il déplore de ne pouvoir communiquer que par elle, en l’absence de tout contact matériel. Est-ce l’ami décédé, cet ami survivant dans la mémoire et entretenu par elle par-delà la mort qu’il interpelle régulièrement ? Le plus souvent, le poète/auteur s’adresse à lui-même mais cette formulation est sans doute maladroite et même erronée. Nous pourrions dire que celui qui écrit (la voix poématique?) s’adresse à l’auteur, celui qui est inspiré et nourri des sentiments exprimés, qu’il lui donne des conseils mais la situation est en réalité plus complexe. Le dédoublement de la personnalité n’est pas seulement de nature scripturale ou grammaticale, celui qui écrit oriente celui à qui il s’adresse, il l’instruit et le guide. Ce tutoiement, qui irrigue le recueil, constitue une originalité qui mériterait une analyse plus approfondie.

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  23. Une deuxième approche du recueil concerne le comportement de celui qui s’exprime ou de celui à qui il s’adresse. Où le situer ? À quel univers temporel nous introduit-il ? Il est un terme qui revient de manière récurrente et quasi-rémanente, celui d’« errance ». Une comptabilité rigoureuse s’impose, le terme semblant aux yeux du lecteur apparaître dans presque tous les poèmes. Celui qui s’exprime n’habite pas un lieu, il ne se définit pas par rapport à un espace, il est un itinérant, s’intègre à l’espace sans chercher à le contrôler ; il le contemple (le terme « contempler » est récurrent). Cet espace est plat ; jamais n’est évoqué un sommet, un belvédère, un obstacle ou une montagne, voire un simple repère. En errant, l’auteur s’impose au monde, librement, il ne lui doit rien. Cet espace n’est pas jalonné de constructions humaines, de sites dénommés, il est celui de la création originelle. Dans le poème de la page 154, nature et vie intérieure sont mises en corrélation, en parallèle. Il est frappant que le mot « réel » soit exceptionnel dans l’écriture du recueil.

    Néanmoins, cet espace d’errance s’achève dans l’incertitude. Le rivage est un thème récurrent, ce lieu indécis et imprécis soumis au va-et-vient entre vague et sable, plage et ressac ; ce lieu jamais achevé et en perpétuelle transformation où tout s’achève et se dissout sans nécessairement ouvrir une perspective, donner accès à un autre espace. D’ailleurs, les chemins qui y conduisent s’effacent progressivement avant d’aboutir à ce lieu, ils s’enlisent dans le sable, se dissolvent dans les vagues ou sont effacés par le souffle ou le vent ; et s’il s’agit de voies ferrées et trains, on est contraint de trouver des gares abandonnées. Cependant, ce silence, cette limite constituent une ouverture vers un inconnu : « La nuit convie peut-être à l’emplir de nos mots.» (p.98)

    L’autre caractéristique de cette cosmographie et chronologie est que l’aboutissement de ce cheminement ou de cette errance reste imprécis. S’il s’achève sur le rivage, il aboutit à la brume, au crépuscule ; nuit et désert, brume et ombre sont des termes qui reviennent fréquemment et la nuit mérite un éloge.

    Parfois, au cours de cette errance, le poète s’aventure dans une forêt. Là aussi, il ne s’agit pas d’un parcours ou itinéraire, d’une traversée mais d’une immersion au cœur de la végétation (p.142).

    Quant aux êtres qui peuplent cette errance, il ne s’agit jamais d’êtres humains mais seulement d’animaux ; et encore la variété n’est-elle pas de règle. Si le chien est l’unique mammifère capable de surgir, les seuls animaux décrits, identifiés, nommés, repérés, qualifiés avec une rigoureuse précision sont des oiseaux. Ils marquent, eux qui volent, la limite du monde de l’errance et la porte de cet autre monde inaccessible, dont la mer nous communique quelques échos tout en nous en interdisant l’accès. Le poète met un soin particulier à identifier chacun d’entre eux ; ils varient d’un poème à l’autre ; c’est leur aptitude à voler qui est mise en avant, leur capacité à ne pas pouvoir être assimilés à un lieu défini mais à marquer au bord de la mer, sur le rivage, la limite de l’espace de l’errance et même de le dominer puisqu’à diverses occasions l’oiseau qui vole semble se trouver au-dessus des nuages.

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  24. L’existence de cet espace de conquête et ce mystère d’un au-delà pressenti suggèrent que le poète est amené à s’interroger sur le non-connu, qui peut faire l’objet d’une curiosité précisément parce qu’il n’est pas l’objet ou le fruit d’une connaissance précise et scientifique. C’est ainsi que le nom de dieu apparaît à diverses reprises, toujours écrit en minuscules, à l’exception d’une fois où il apparaît en majuscules. Ce personnage est cité à quelques reprises comme une réalité à la fois évidente mais secondaire, sans réel intérêt, un acteur ou un facteur de la société et du monde qui peut être appelé à susciter la curiosité du fait même de sa discrétion et de sa marginalité. Ne pourrait-il être appelé à répondre aux questions fondamentales et restées sans réponse que tout homme est amené à se poser dans son existence ? Le poème de la page 151 traduit l’insatisfaction née de la seule connaissance (« le mystère arrive à sa mort ») et une quête de transcendance, le besoin d’un autre espace, d’un autre monde, ce que précise le poème de la page 162 (« Au-delà de la brume il faut à la prière un ancrage/ Une anse où mouiller le bateau des songes. »)

    Reste une dernière approche du recueil, peut-être la plus importante dans la mesure où elle est au cœur de l’écriture et constitue son fondement, sinon sa raison d’être ; elle consiste à analyser la relation entre écriture et mémoire. Il convient de conserver la mémoire du regard porté, au cours de l’errance interminable, sur cet horizon incertain et variable et particulièrement lorsqu’il est celui de la mort. Il existe une relation dialectique entre « regarder » et « écrire » ; il s’agit là encore d’un thème rémanent, qui semble même constituer l’assise ou le support du recueil - le terme de « mémoire » réapparaît dans la majorité des poèmes -, ce qui ne saurait surprendre puisqu’il s’agit là d’une préoccupation majeure de l’écriture poétique. Cette relation apparaît de manière presque obsessionnelle et elle semble la préoccupation majeure, une source d’inquiétude chez celui qui écrit ou celui à qui il écrit, le « tu ». Elle appelle et justifie à la fois la qualité de l’écriture, d’une exceptionnelle précision et enracinée dans le choix de mots rares, mais toujours justifiés à la lecture. La relation entre écriture et mémoire est fondamentale ; l’écriture ne saurait fonder la mémoire mais elle seule peut la perpétuer, au risque toutefois de dévaloriser et d’appauvrir le souvenir qu’elle prétend entretenir.

    D’où un retour fréquent à la relation entre les yeux et la mémoire, la préoccupation de la « mémoire des yeux ». À la différence du ressac de la mer, les mots « disparaissent/ Sans retour de souffle. » (p.16) D’où une réelle méfiance envers l’histoire, cette construction d’une mémoire, cette prétendue résurrection d’un passé, cette idéalisation et cette perversion d’une réalité à jamais perdue. En revanche, les mots sont seuls à tenter de préserver l’actualité, le ressenti, seuls capables d’aider à perpétuer un vécu disparu, s’ils sont contemporains de ce passé lui-même disparu : ainsi les mots gravés dans le marbre, qui sont des mots dépassant la seule élocution pour devenir une réalité physique transcendant les risques de dégénérescence associés à leur seule transmission (poèmes consacrés aux stèles étrusques).

    Ces quelques remarques peuvent inviter à entreprendre une lecture engagée du recueil Lapidaires, une lecture invitant à construire la représentation ou mieux, l’univers mental de celui qui l’a composé.

    MICHEL DENICE

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  25. Cher Gabriel,

    Je vous prie de bien vouloir excuser mon retard à vous écrire, mais je viens juste de finir votre beau recueil de poèmes, pris dans la tourmente de cette rentrée si singulière.
    Je vous remercie pour ce beau cadeau, que j'ai lu par fragments, mais un peu tous les soirs, comme un rendez-vous, avant de m'endormir, y retrouvant les qualités qui étaient déjà l'apanage de votre premier recueil, certains thèmes, certains traits d'écriture, mais poussés, évidemment, à encore plus d'effet "impactante" - dirait-on en espagnol - pour le lecteur, car du temps a passé pour vous et avec lui ont surgi l'expérience, le travail, encore meilleurs, de l'orfèvre en mots que vous êtes. J'ai été saisi par certaines images, souvent, et mon admiration n'en est que plus grande, car un deuxième livre de poésies, ce doit être particulièrement délicat à concocter, mais vous nous faites croire, tremblants mais confiants, que même aujourd'hui, après des millénaires de création littéraire, on peut encore dire (vous, en tout cas) des choses éternelles de façon nouvelle et personnelle, et les lire (moi) avec émotion et reconnaissance devant ce partage.
    Merci encore et on reste en contact, continuez, s'il vous plaît,
    Amicalement en poésie,

    Emmanuel Le Vagueresse

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  26. Cher Gabriel,

    Je profite d’être en vacances pour vous répondre enfin sur votre livre Lapidaires, qui éveille en moi une triple dimension étymologique, philosophique depuis l’avant-scène du poétique.
    Ces pierres que sont les mots sont animées par le terme latin « os, osiris », c’est-à-dire par « la bouche de l’oralité » qui n’est autre que la voix.
    Je poursuis sur ce sillon étymologique:

    - ōs (nom neutre, troisième déclinaison), la bouche
    - ŏs (nom neutre, troisième déclinaison), l’os

    Il semble que ce doublet -os bref/long porte votre splendeur poétique et philosophique :

    « Je découvre que la mort entre par la bouche » (page 47)

    Et restent en ligne brisée, en fin de vers non rimé, vos trouvailles de dépassements de limites langagières lus comme autant de voix et de voies disposées à « accueillir l’absence », à « parler des invisibles ».

    C’est alors que nous entrons non pas dans les ténèbres ou dans le livre des morts mais dans la traversée des « paysages tus » jusqu’à « bégayer sous le soleil » (page 49).

    Votre livre parle d’un bouleversement référentiel de la mort qui atteint le rivage d’une nécessité conditionnelle :

    « Il faudrait sourire
    À ce que les hommes
    Peuvent de sillages. »

    Et votre quête est claire, infinitive, prête à un devenir de conjugaison collective:

    « Donner à l’espace entre les mots une autre
    Cadence que la pierre, ouverte à l’errance »

    Et tendre toujours « vers plus de lyrisme où la voix se cabre. »

    Comment entendre « le préambule aux ténèbres » ?
    Pouvons-nous dire qu'il s'agit, cette fois-ci, de la grimace faite par la « bucca » (« et le sommeil prendra museau de loup en chasse ») ?

    C’est une fable poétique sans morale mais avec une éthique, celle de pétrifier l’hommage. Je pense alors à Paul Ricœur et à sa réflexion sur l’histoire, la mémoire, l’oubli.

    Amitiés,
    Françoise d’Avila

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  27. Cher Gabriel,

    Dans tes "Lapidaires", l'obsession de la Mort y est sublimée par ton déluge panthéistique où la nature torrentielle retrouve le déluge des mots pour s'imposer aux yeux et à l'âme.
    La guirlande des souvenirs enveloppe la tumultueuse présence d'un temps qui s'impose et se dérobe tout autant.
    Le ton du dialogue attribue au lecteur un rôle d'acteur dans cette poésie où le lyrique le dispute à l'onirique et où "tout amène à mouiller le bateau des songes" et où "les chants d'oiseaux s'unissent à la rhapsodie des étoiles."
    Certes ton inventivité et ta créativité l'emportent quelques fois sur la musicalité mais tu restes un peintre exceptionnel des mots et des images.

    Je t'embrasse affectueusement,
    Stélio Farandjis

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  28. Devant nous une sterne vole au-dessus des nuages
    Et déjà je vois plus qu’un oiseau – si vite investir
    Le réel, d’où vient la faim de mes yeux ?

    Le paysage a ici qualité d’offrande
    Je ne parle pas d’accueillir ou contempler,
    Juste avoir regard nu pour cet animal sur la mer
    …/…
    A nos mains il faut aussi un éveil
    …/…
    Que trouver dans tes mots ? Une introspection vide…

    Cet extrait (poème p 65) est assez représentatif des poèmes qui composent LAPIDAIRES de Gabriel Zimmermann. Nombre de mots font leitmotiv dans ce livre (plutôt épais : 174 p).

    yeux (voir, regard, contempler, etc.)
    mains (toucher, saisir, serrer, etc.)
    éveil (ouvrir un regard intérieur)
    mots (paroles, poèmes, voix, bouches, p 98 : que fais-tu des voix surgies / Dans l’ombre, elles / Ne racontent pas moins / Les bouches invisibles / En couvrant nos lèvres…, etc.)
    introspection (pensée, réflexion, philosophie, écrire, etc.)

    Ces mots et leurs déclinaisons sont à la fois l’expression d’une attitude « bienveillante » envers les autres, d’une communion avec le monde et l’expression d’une interrogation, d’un creusement inquiet, d’un « qu’y a-t-il sous la surface, les apparences de vivre ? » S’en suit un balancement de la pensée qui traduit une volonté d’objectivité (enfin autant que possible).

    De très nombreux poèmes sont construits sur le modèle de l’extrait donné au début de cette note : un détail, un événement d’un réel (pour décrire un mégot / ou tourteau bavant des bulles…) plutôt rural, campagnard (de nature), plutôt que citadin (mais bien-sûr, il y a des exceptions :« La fin du soir fait apparaitre une rade / Où entre un chalutier vide, il rue sur la ville / Comme impatient de la fendre »).
    Les événements ordinaires, triviaux deviennent la matière d’une sorte de parabole conduisant à une réflexion qui dit l’état (mental et physique) de vivre actuel ; la précarité de toute vie ; pour rendre compte de notre bref passage.

    Cette réflexion se construit parfois sur un dialogue entre soi (je) et un autre invisible, pas défini, qui semble n’avoir pas de réalité physique (un tu qui est interpellé) (un être cher disparu).

    Les poèmes de Gabriel Zimmermann font penser à cette phrase de René Char : « Au centre de la poésie, un contradicteur t’attend. C’est ton souverain. Lutte loyalement contre lui. » (A une Sérénité crispée, dans Recherche de la Base et du Sommet). C’est ce corps à corps auquel nous assistons en lisant ces textes plutôt denses, amples et diserts, en tout cas dont la forme ne fait pas penser au mot LAPIDAIRES qui sert de titre à l’ouvrage ; ce titre illustre peut-être l’attitude objective (je me répète : aussi objective que possible) que souhaite adopter Gabriel Zimmermann (mais ce n’est que mon interprétation).

    Le vocabulaire est généreux, à la fois concret et sensible : les choses sont nommées sans prendre des pincettes.

    Râpeux, âpre, un peu rude, libre mais plutôt long, d’une tendance prosaïque, le vers s’élève rarement vers le chant, mais bien-sûr parfois oui et alors il s’alexandrine : « Au passé invaincu, à ces plaies maintenues…
    Et dans l’aile un désir qui restera désir.»

    Christian Degoutte

    https://www.terreaciel.net/Lapidaires-Gabriel-Zimmermann-par-Christian-Degoutte#.YAlgNVjjKM8

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  29. Par Alain Wexler, une note parue dans le numéro 184 de la revue Verso :

    L’auteur nous entraîne sur un sentier, au cours d’un épisode vécu, ou autre situation, l’observation d’un freux par exemple, il le voit s’envoler. Il n’a laissé aucune trace. Seuls les yeux du témoin « diront ce qui fut sa présence ». Cette démarche peut nous conduire à une enquête insolite : à travers la brume, est-ce un daim ou un poulain, cela descend des nuages et fend « la lumière de l’air. /Toi qui vas devant moi, devines-tu ? - C’est la balançoire agitée par le vent ». Puis un petit tas de terre, la pluie comme la boue le rendent incertain : « - Un cahier oublié sous la pluie. » Une ombre cesse de s’envoler, « le souffle obscur dessine un oiseau. /Avant la nuit, toi qui as meilleur regard/ Donne à mes yeux leur vérité/ - Un cerf-volant coincé dans les branches/ Sur la rivière/ Flotte un morceau d’écorce ou de mousse, / Même un nénuphar ? Plus près de la berge, en te penchant dis-moi ce que tu vois/ - Un manteau d’enfant. »
    En lisant ce texte, j’ai eu l’impression d’écouter un lied de Schubert, le Roi des Aulnes peut-être, bien que le texte diverge totalement. Cela, en tout cas situe ce livre.
    Ce qui domine toutefois c’est la trace, celle qu’on trouve, celle que l’on peut laisser, le rapport entre cela et le langage, la mémoire, évidemment.

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  30. Suite à ta vidéo, je me fais un devoir et un plaisir de te faire un retour sur « Lapidaires ».
    Je ne vais pas te mentir : d’emblée, ton livre m’a donné du fil à retordre ; je n’y ai rien compris au départ. Il m’a paru très opaque, inaccessible, beaucoup plus compliqué à comprendre que « Depuis la cendre » qui racontait davantage une histoire. Cependant, en m’y replongeant à plusieurs reprises, un itinéraire s’est tracé, une quête s’est dessinée et j’y ai découvert beauté, souffle, profondeur, richesse des mots ainsi que des évocations mais aussi complexité de cette poésie dont le sens est difficile à saisir.
    Si tu le veux bien, à ma manière, je vais reprendre les chapitres :
    Chapitre 1 : éléments clés : chemin, voyage, vestiges du passé, guerre, ossuaire puis des tableaux de nature apparaissent : mer, ciel, portrait de femme, enfance, guerre, feu, blessure profonde de l’ami mort. Puis les animaux se présentent : pigeon, cigognes, labrador et pluie, vent, steppe, mer.
    Comment survivre à la mort et subsister dans la mémoire ? La nature a-t-elle quelque chose à nous dire ?
    Chapitre 2 : le thème des mots prend une très grande importance, écrire et aussi la voix, la mémoire, la parole. Ces mots écrits pour « conjurer l’oubli » (p89), « seule ma main nous fera survivre, elles iront au-delà de nous, ces phrases, même la nuit ne pourra rien », « j’aurai rendu compte de notre passage comme on dessinerait le visage du vent. » Voilà le message qui me semble essentiel, c’est le but de l’écriture que de laisser une trace de soi à la postérité.
    Chapitre 3 : les Étrusques brûlaient leurs morts ; comment rester fidèle à ceux qui sont partis et leur rendre hommage ? À nouveau la blessure de l’ami parti, le deuil jamais cicatrisé, les mots conduisent-ils à l’immortalité ?
    Chapitre 4 : la contemplation de la nature est le remède pour renaître ainsi que la volonté de consentir à la blessure ; voir au-delà : « toute aube est blessée », « il n’y a de bonheur qu’ébréché » ; désir d’éternité ; la paix intermittente. Les voix aussi laissent une trace : « La main n’est plus seule à laisser une effigie de nous. »
    Chapitre 5 : fin qui débouche sur le goût du ciel et de l’infini : « Entre épave et envol nous préservons un goût de ciel qui s’unit à nos fêlures puis les recouvre ». C’est un chant d’espérance et une renaissance.
    La poésie se mérite-t-elle ?
    En effectuant ce travail d’approfondissement, j’ai éprouvé de la joie à te lire…

    VERONIQUE BERTRAND

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  31. Lapidaires, c'est comme une souffrance entremêlée de contemplation. En lisant ces vers, on peut sentir la puissance de l'éphémère (l'envol de l'oiseau, un furtif rayon de soleil....) qui prend le pas sur la douleur de l'éternelle absence.
    Les souvenirs sont à la fois recherchés et redoutés, avec eux se réveillent l'enfance et la douleur. Une certaine culpabilité de vivre, si bien nommée, invite -oblige presque- à aimer cette vie offerte sans mérite. Et certains sont au fond une sorte de prière (qui s'ignore ?)
    Ce texte est comme une voix fêlée qui malgré elle se transforme en chant. Un chant d'espérance en somme, avec ses notes légères sur une mélodie grave.
    "Faire son deuil" n'existe pas, je crois. Mais apprendre à cheminer, de l'avant, avec et vers celui qui est resté en arrière est possible, si tant est qu'on reconnaisse qu'en restant prisonnier du passé, il nous a toute de même précédé.

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  32. Cher Gabriel,

    Je me décide enfin à prendre la plume…Je ne te cache pas avoir maintes fois essayé depuis que tu m’as offert ton recueil…Je l’ai lu puis relu, emporté avec moi au Costa Rica et je souhaitais te livrer ici en toute humilité quelques impressions…Pour être franche, l’ensemble risque d’être fort décousu…En même temps, cela va bien avec mon personnage ! Je ne suis pas sûre de pouvoir verbaliser tout ce que j’aimerais dire, te dire…le poids du silence et du temps, la mort des souvenirs et la survivance du passé, les parts d’ombre et de lumière, l’enfance brisée, les échappées vertes pour mieux crier de l’intérieur…tout ce que tu évoques avec rigueur et douceur, avec pudeur et honnêteté, ce style à la fois épuré et alambiqué dont le sens m’échappe parfois, si tant est qu’il s’agit de trouver un sens à des ressentis, des émotions…Ta poésie est dense, sensible, obscurément claire…
    Que dire d’abord de ton premier poème sur l’énurésie sinon qu’il est original, voire osé ! Que dire de cette innocence et de cette culpabilité, « ce ruisseau de pleurs », si touchantes, propres à l’enfance qui déjà refuse, peut-être, de vieillir et qui, conscient de cette vérité, en souffre…
    (p.14) « Ce soldat/ J’en reste à la guerre/ Figée/ De sa bouche ». J’aime cette concentration de sens, comme dans le haiku, où les mots sont comparables à de brefs trépas, où l’écriture creuse le manque tout en le comblant. Moi-même je me prête bien modestement à « l’exercice » :
    1. Une lune, sur ses hauts talons
    Juchée – Et pour seul plafond
    Une nuit claire.

    2. Je charge les mots
    J’ajuste et je tire
    Blesser le silence, juste dire

    (p.16) Les mots « déferlent puis disparaissent » mais ils construisent aussi, se reconstruisent sans cesse et comme autant de fenêtres ouvertes sur le monde, ils érigent des bastions contre la peur, la douleur, la colère, la solitude ; ils chantent aussi, ils chantent l’amour, la beauté du monde. Qui détient la clé de nos lendemains ? Je l'ignore et j'aime à penser que s'il y a une clé sur la porte de nos armoires, c'est pour que personne ne les ouvre. Nous naviguons dans un océan d'incertitudes, âmes errantes en quête de...Mais vers qui, vers quoi ? J'ai parfois le sentiment amer que nous sommes, au contraire, figés dans le temps comme dans le paysage noyé d'une boule à neige...Dans l'attente de, dans une existence où l'on doit consentir à perdre pour continuer à vivre...Dans une vie où nous sommes sans y être vraiment, une vie douloureusement douce, un mensonge peut-être ? J'en sais la banalité autant que la violence et mon âme y est comme une ruche vidée de ses abeilles. Mais oui, il est urgent de vivre et d'épouser les rivières, même à contre-courant, tant qu'il y aura des soifs à étancher...URGENT de croire en ce « retour de souffle » ! Et tant pis si « Balbutier/ Devient l’ultime éloquence/ Avant les rêves/ Qui confisqueront les cris » (p.23) OUI !

    Je veux des mots qui décapent, décapitent, des mots-frondes
    Prendre quelques vers, cogner le zinc et « débosser » le monde
    Même avec un coup dans l’aile et mes brèves de « con-notoire »
    Boire à l’alambic de mes rêves et trinquer à d’autres espoirs !

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  33. (p.30-31) « La nuit, je hurle/ Pour un lieu qui le prouve et le préserve », « Où le perpétuer/ Son obole de présence ? ». « L’absence a besoin d’un lendemain qui la sarcle/ D’un verger aperçu après deux jours à jeun » (p.91) « Seul à porter la mémoire/ De nous, dans la nuit qui assène/ J’amorce, en proférant ton prénom/ Un dialogue d’impuissance et de leurre avec ta mort » (p.108)
    C’est tellement beau Gabriel, tes mots me bouleversent…L’absence de l’être aimé, mon naufrage pour une seule vague de lui. Il nous faudrait être absent à l’absence. Oublier ? Non. J’appartiens à chacun de nos instants, à cette amitié mortelle qui ne peut pas mourir. Je veux marcher encore dans ses pas et me perdre sans retour avec lui. Loin de lui, j’avance comme un funambule dans ces jours mort-vivant. Son étoile manque à mes interminables nuits. Dans ces nuits où sans être il occupe toute la place. Partir dans son regard, un regard parfois démuni mais distribuant tout ; un regard à la fois de brindille et de poing levé ; un regard en écharpe qui frissonne ; un regard de cheminée allumé même en plein été, pour rien ; un regard de toutes les couleurs et de toutes les saisons, un regard lumineusement sorti de ses ombres ; un regard bavard à mots-couverts, un regard à boire et à manger, un regard bouture d’horizon, un regard d’ici, de partout, d’où l’on ne repart jamais. Oublier ? Jamais. « Accueillir l’absence/ La dire et la préserver parmi le langage/ Comme on pétrirait la cendre » (p.47) « Après ces saisons muettes/ Je n’aurai que la hâte, hanté de rattraper/ Les paysages tus, les dire/ Pour les dire/ Jusqu’à bégayer sous le soleil » (p.49)

    (p.100-102) Égarée dans le silence crié d'une réalité frissonnante, où tout le tremblé, le heurté s'apaisent en une harmonie que chante quelque éternité vivante, la nature est partout…Tu y décèles les nuances, les frémissements, les vibrations, les jeux de lumière et de souffles auxquels accrocher ta quête de vérité, offrant tes yeux au soleil naissant, percevant les balbutiements de l'âme humaine, entendant le bruit des hommes mais écoutant le chant des oiseaux. La « Pachamama » ou Terre Mère en langage quechua est pour moi une source d’inspiration intarissable, inégalée…Oui, j'aime interroger, dans les charades du vent, les aquarelles du ciel et sa moisson de nuages…J’aime l'arrivée de l'automne, le déclin des chaleurs tandis que l'hiver s'insinue dans les fêlures de l'air...J'aime les odeurs de mousse, les fleurs cloîtrées au fond des branches, le craquement des feuilles soumises aux premières gelées, les éclats de silence parmi le bavardage des oiseaux...je laisse donc la parole à la nuque des fleurs sous leur robe de pétales, au rire des galets dans le fond des ruisseaux, à la prière des abeilles qui enfantent le miel dans l'abbaye des jardins, au frôlement du soleil sur l'épiderme de la terre, à la virgule des épis de blé dans la phrase d'un champ…La beauté de la vie se reconnaît dans ce goût du détail, ce souci de l'infime...C'est à une fête que nous invitent les plus humbles choses.

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  34. La vie, décevante, aura tué beaucoup d’espoirs en moi mais je ne veux pas être morte avant de mourir. Je veux éprouver tout, intensément, jusqu’à la brûlure, jusqu’à l’usure. Et Vivre, insister à en mourir...
    (p.116) « Il y aura déjà fleuve de langage/ Dans la dormition qui te dit ». « A moi de pétrir la pierre/ Du souvenir » (p.133) « Mais nourrir ma voix de lui, même avec si peu/ Ouvre son absence à l’envergure/ D’un récit » (p.134) L’absence de l’être aimé, la dire, encore, toujours. Sans lui, on se retrouve partout perdu. Sans le sentiment d’avoir été ni d'être revenu. Flâneur au large, toujours à la dérive. Parti chercher rivage et qui jamais n'arrive. Alors, dans un ciel qui fait peur aux oiseaux, on guette le soleil. Le soleil de ses yeux. Ses yeux qui nous font lever l’ancre. Et l’encre des mots. Oui, dans le plumier de notre cœur on voudrait y tremper tous ces mots qui feraient notre cahier d’amour…Dans l’ébriété et l’illimité du langage, j’écrirais l’énumération de ses rires et sa bouche innombrable. J’écrirais l’abécédaire de nos étreintes, la liaison et l’articulation de nos corps, l’encrage de nos doigts sur la peau et la conspiration de nos lèvres…
    (p.172-173) « Entre épave et envol nous préservons/ Un goût de ciel, qui s’unit à nos fêlures/ Puis les recouvre ». Je terminerai mes logorrhées sur ces vers inspirés, inspirants…Avec le vœu que depuis hier, aujourd’hui a refait l’homme plus humainement. Veilleuse de l’âtre jusqu’aux cendres, je vais attendre et me réjouir, comme le bois n’apprend qu’en brûlant à éblouir. Attendre le jour et faire grande provision de lumière. Plus que jamais vivante d’être en lutte.
    Oui ! Être là...dans l'instant...dans l’envol…Là où tout est sentir, dans l’immédiateté, l’immédiatement. Dans l’instant, où tout s’élucide par nécessité-lumière, dans l’éclat, l’émerveillement, où l’on étreint l’insaisissable, où l’on se sent comme visité, dans la simplicité et la santé d’exister.
    Là, à la fois vie et vent, toujours vivant, dans la beauté renouvelée du monde...
    Encore un grand merci, écrit du cœur, mon cher Gabriel pour ce si beau partage !

    ANDRÉA DELESTEDEL

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  35. Face à ce qui m’est apparu comme un besoin de déployer le récit et le dialogue – où se devine un désir de durer, de prolonger, de relier, en même temps de scruter, d’expliciter, de cerner pour retenir, d’émettre des images rayonnantes, prêtes à la capture comme toiles d’araignée –, j’ai choisi un poème qui contraste avec ce déroulement. Un poème du blanc, de la simplicité, du presque rien. Sans le « tu », si fréquent ailleurs. Sans rivage ni mer, ni repères pour la contemplation. Sans ces pierres où se gravent les mots (en inscriptions durables, comme le suggère le titre Lapidaires).

    Ce poème, le voici :

    « Des pas dans la neige
    Il y a peu,
    Quelqu’un a marché là

    Autour, le blanc intouché
    Il était seul
    Les empreintes se suivent,
    Font une ligne
    Aurait-il nommé cela chemin ?

    Il a continué
    Jusqu’où la nuit l’emporte

    S’est-il retourné pour les voir ?

    Il faudrait sourire
    À ce que les hommes
    Peuvent de sillage » (p. 51)

    Ce poème appartient à la première section intitulée « Des furtifs ». Il semble en condenser l’esprit : tout s’y fait passager et fuyant. En noir et blanc, entre la nuit et la neige. Loin d’être gravées dans la pierre, les traces ici décrites sont éphémères. L’indécis règne, à travers l’objet du poème (« Des pas », avec son déterminant indéfini), la temporalité (« Il y a peu », dont l’adverbe indique bien une proximité avec le présent mais sans la définir), l’auteur de ces traces (« Quelqu’un », pronom indéfini), la disparition du paysage sous la neige parfaite (« le blanc intouché »). L’incertitude s’accroît encore à travers la double forme interrogative et l’emploi du conditionnel : « Les empreintes se suivent,/ Font une ligne/ Aurait-il nommé cela chemin ? » Il n’y a ici ni cohérence assurée, ni projet vers le futur, ni même lien avec autrui : « Il était seul ». La marche ne forme au plus qu’une juxtaposition d’instants, d’autant que leur issue est illisible et insondable : « Il a continué / Jusqu’où la nuit l’emporte ». La seconde question vient quant à elle effacer l’idée même d’un passé et rendre vaine la mémoire : « S’est-il retourné pour les voir ? »
    Gabriel Zimmermann offre-t-il un tableau de l’absurde éphémère (de la mort à l’oubli, en passant par le mutisme), contre lequel tout son livre paraît se dresser ? Que signifie ce sourire de la fin : « Il faudrait sourire » ? Est-il désabusé ou ironique ? Propose-t-il au contraire la douceur d’un accueil ? Rien ne permet de trancher et c’est tant mieux. La lecture peut ainsi osciller entre une interrogation sur le sens de la vie et une invitation discrète à juste poser le pied sur le sol, sans chercher à peser, à creuser, à marquer. Les empreintes ne forment qu’un « sillage », celui que porte l’eau pour quelque temps avant de l’abolir.
    Ce « sillage » esquissé me touche, avec le verbe qui l’accompagne et sa belle syntaxe : « À ce que les hommes/ peuvent de sillage »… J’y lis le mouvement de notre humanité, sa frêle persistance, ses efforts si touchants pour persister, se projeter, exister, durer, devenir un relais, tout cela sans la moindre certitude d’y parvenir. Je me sens touchée par cette marche anonyme, dont le poète retient quelques marques sur la neige de sa page et qui, à peine engagée, s’amenuise dans le tremblé de mots si simples, si vrais : le pointillé d’un chant. Aucun éclat verbal ici, mais l’accompagnement d’un tracé (« une ligne ») qui se fait et qui mène la danse sans nécessairement craindre la nuit, le passage vers l’indicible.

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  36. Au fond, en deçà de l’élan langagier, de la quête d’un « lieu où finira l’errance », le livre entier appelle cette nuit, habité par la conscience aiguë que le réel ne peut être saisi : « Lentement une envie d’ombre arrive » ; « Mais quand le réel s’offre à moins d’un pouce, / Un effroi nous retient d’y goûter » ; « Marche au-delà de tes yeux » ; « La nuit s’avance vers l’aube et l’embrasse »…
    « Maintenant le langage a maigri », écrit encore Gabriel Zimmermann, dans son avant-dernière section : « Au demain des reliques », qui elle-même précède « Vers la promesse d’un chant ». Dans le poème qui nous occupe, le poète marcheur (bien des paysages sont traversés dans ce livre) efface jusqu’à son nom. Il semble inviter sa parole à se laisser mener, porter, en ouvrant aux lecteurs ses empreintes légères, profondément humaines, dans la grâce de l’instant précaire (priant) – le seul, assurément, qui vaille.

    SABINE DEWULF

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  37. Une note de lecture par Chantal Danjou, parue dans le premier numéro de la revue Décision :

    Titrer son recueil LAPIDAIRES interpelle sur le double phénomène de la concision et de l’expressivité. Que peut y ajouter son lecteur ? Clin d’œil de poète qui le met au défi d’en dire quelque chose. Tout est dans ce nouveau texte affaire de
    ciselage, de nombre et de classe grammaticale et c’est le propos
    de Gabriel Zimmermann que de nous conduire à cet entre-deux, à cette pluralité dans la singularité même de la thématique comme à cet adjectif qui se nominalise, amenant dans des méandres sémantiques et temporels. Ainsi à considérer Lapidaire dans le dictionnaire de l’ancien français, nous aurons successivement un traité sur les pierres précieuses, un tailleur de pierre, un homme atteint de la pierre et, par glissement vers lapidation, un massacre, lapis évoquant la destruction. Lapis(d)-aire, lieu de carnage, le texte en serait-il un ? Autre suggestion à la fois malicieuse et tragique du poète, toute mise en mots peut se révéler en partie une mise à mort. Chaque acception de sens de lapidaire donne à entendre la prise de parole par G. Z., le traité renvoyant à l’écrit, le tailleur au poète, l’homme atteint de la pierre à cette maladie génétique qui emprisonne le malade dans un « second squelette » et peut le priver de parole quand la mâchoire est à son tour touchée. G. Z. ose alors cette question douloureuse : pouvoir dire ou pas, une interrogation qu’il prolonge à la suite de son précédent recueil DEPUIS LA CENDRE , l’écriture gravant ce qui a eu lieu mais détachant du contexte morbide, redonnant du souffle, aussi étonnant que cela puisse paraître, permettant le glissement du concret au symbolique, de l’émotion à l’analyse. Quelle figure tutélaire le poète se donne-t-il ? Celle du « freux », furtif parmi ces « Furtifs » qui ouvrent la première scansion du recueil, dont la consonne fricative marque bien le frottement aux herbes, aux arbres, au ciel, à un réel à vif, « dévasté » à l’instar de René Char. Mais « le trait blanc de ses ailes/ Est bref » ; puis « Son cri disparaît » , non que le poète se taise mais assume la distance prise d’avec ce qui a inspiré le texte. Dans cet ordre d’idée, il semblerait que l’auteur se livre à un travail implicite avec les homonymes qui troublent la surface des vers, créent des échos voire des détournements de sens d’autant plus probants que le poème qui le souligne plante le décor d’une gare abandonnée, les trains s’y formant – rappel du passé – les rails s’y rompant – trajet sans avenir – de la même façon que le lecteur assiste à l’impossible voyage, à l’achoppement du départ sur l’arrivée, celui de la gare sur le lointain, de l’« ici » liminaire sur le « là » conclusif, il est témoin du lest linguistique, des lettres se perdant comme si le mot était rongé de l’intérieur. Ainsi « La faim du voyage » parle-t-elle de sa fin, « la mort des chemins » du mot qui hante le cheminement. Et dans le « Nous mène ici » du second vers, serait-il possible d’entendre un Nous-mêmes, ici, mêlant la foule des voyageurs, des vivants et des défunts » et en même temps, n’est-ce pas « là » que, retournant la « mort » des chemins, le texte commence, qu’il naît d’un « Instant suspendu de la bataille » comme de « l’envol d’une ombre ». Il rappelle certes la mort précoce d’un ami qui faisait écrire dans le recueil précédent : « Je n’oublierai pas la nuit » mais laisse advenir « À travers la brume » quelque chose de l’enfance qui est à la fois sublime et intolérable, qui contredit l’immobilité de pierre afin que « Les yeux se rouvrent/ Les doigts se déplient », pouvoir consenti au texte. Est-ce à dire que l’enfant et le poète se conjuguent, l’un ramenant à l’origine l’autre étirant l’observation jusqu’à dénicher le « cerf-volant coincé dans les branches », symboliquement la poésie ?

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  38. Néanmoins l’auteur souligne combien l’intertexte, le dialogue avec l’avant et avec l’autre sont autant nécessaires qu’aléatoires. Il utilise alors les italiques et les éléments ainsi consignés - balançoire; cahier; cerf-volant; manteau d’enfant; leurs décors; vent; pluie; branche », participent à la fois d’une présence et d’un recouvrement, d’un ensevelissement et de l’oscillation vie-mort, saisons. Le recueil se double, du moins en donne l’impression, d’un journal et grâce à ses jeux subtils d’assonance et de nasalisation, tels les a de « balançoire » et de cahier » et les an de « balançoire », de « cerf-volant », de « branches » et de « manteau », donnent au mot le pouvoir de s’élever, comme de glisser dans la gorge, suivant en cela le balancement ou l’envol, simulant l’off de la voix, ajoutant au dit voire au dicible le monologue intérieur et l’indicible. Pourtant, ainsi que le précise le poète : « Les mots, eux, n’ont pas charge/ De ressac » . Où vont les mots quand ils sont roulés dans la langue, conduits au palais ou dans l’arrière-gorge ? Dès lors la question de la poésie se pose une nouvelle fois : « Là-bas le langage est tombé […] La poésie parmi nous ne peut pas renaître ». Faudrait-il, à l’instar du titre précédent de G. Z., la faire jaillir depuis la cendre, depuis la chambre d’échos de la gorge, dans la modification phonétique impulsée ? Dès lors il est intéressant de noter combien le « Je » fait effraction. Latent, il jaillit en début de vers ou en fin de poème, en témoignent les vers suivants : « Dans la veillée, parmi la fraîcheur de la morgue/ Ma paume a caressé son front,/ Puis son cercueil fut fermé, porté à la chapelle/ Sur ma main resta son visage éteint/ Quel recueillement quand le four s’ouvrit ?/ […] Dans mes pleurs suspendus résider s’exila./ Depuis je ne sais plus dire/ Quelque part. » Prolongeant ces vers saisissants, quelques pages plus loin : « Mon ventre/ Va retrouver son désert », « l’envie d’enfant » telle que la nomme le poète, étant comme suspendue. Définir « Je » est complexe : « Je suis veilleur » , « avec un langage de vigie » où « je » sort des limbes - « les mots - [eux] - n’ont pas de limbes » - obscur pour une part, guère autobiographique, plutôt ce « je » qui, invariablement, retrouve le cerf-volant coincé dans les branches, (re)constitue non le passé mais un « voir » sans cesse à l’œuvre, ce « voir » paradoxal presque « noir » dont les limites sont toujours repoussées : « En privant de voir laissera lucides/ À flairer la mort autour. » ou encore ces constats successifs, troublants d’authenticité : « Je ne saurai pas nommer tout le réel », « Je découvre que la mort entre par la bouche. » auquel le lecteur peut donner un écho avec un poème de Bernard Noël : « quelle preuve attendre de la langue/ un mouvement remue dans l’ombre/ mais ce n’est même pas de l’ombre/ un froissement dans l’air qui bouge/ et tout à coup le bord de quoi/ un mot cherche son origine ». Pourrait-on ajouter en reprenant le libellé de la dernière scansion de LAPIDAIRES : « Vers la promesse d’un chant » ?

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  39. Les références picturales de G. Z. dans ce livre, avec les gravures d’Albrecht Dürer, les sculptures étrusques, « En traversant la glyptothèque », musée consacré aux pierres gravées, informent le lecteur de l’étrange itinéraire de la mémoire, de son ondoyance et de sa nudité ainsi qu’en attestent de successives assertions : « Les miroirs frappent/ Par leur nudité de séisme », « Nue dans sa mémoire », « Mémorielle et nue ». Pourtant plus qu’une réitération, le mot révèle une « intrusion de nous-rencontre » , mot qui, en se composant, agit contre la dispersion et la décomposition. Il y a certes rappel de l’ami défunt mais aussi d’un « nous » étrusque, dürérien, de ses temporalités artistiques et historiques rythmant les différentes parties du livre « qui font salve de mémoire ». Impression enfin que « l’étreinte intérieure » dont il est question provoque le resserrement de l’écriture, la main écrivant qui se referme sur la chose, sur l’être. Le processus d’écriture est alors décanté : « Il y aurait même à jouir dans ce langage/ Qui abat ses sentinelles », la thématique de la mort n’ôtant en rien celle du mouvement quasi physique de la langue qui, littéralement, contredit la mort. « Je travaille à joncher », poursuit le poète, « [Je travaille] Au lendemain des reliques » ainsi qu’il titre l’avant-dernière scansion, sur les traces, les restes, les éclats de pierre - pour reprendre le titre générique de LAPIDAIRES - et c’est de ce travail de concision évoqué en préambule que deux actes adviennent, constitutifs de l’élaboration du texte : « Aussitôt contempler commence », « Une écriture a survécu » .

    CHANTAL DANJOU

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