mercredi 19 décembre 2012

Vive le street art


Pour Invader

Il posait la nuit des mosaïques.

Clandestin de l’art, il sortait à minuit

Quand un premier Paris s’endort, laissant règne aux ombres

Et la mutine intimité des rues.

Les murs l’attendaient. Comme une mer, la ville

Se dresse et défie; et nous avons soif de graver

(Pas de plus haut désir qu’écrire sur les vagues). 

Il n’errait pas. Son chemin était volonté

Et connaissance, il savait Paris, le Paris des angles

Et des coins, des étrécissements, des portails obscurs

Mais il voulait un lieu qui frappe au regard, un soleil anonyme

Que les contemplateurs crispés découvrent

Dans un morceau de colonne ou sur un quai de train.

Il ne cherchait personne. Au sein de tant de nuit,

A qui donner rendez-vous? Les restaurants

Avaient fermé les yeux et les bars bâillaient.

Pour tous venait la fatigue; on rentrait.

La ville aussi s’allongeait pour dormir

Et dans le ciel se répandait le grand sommeil du Très Tard.

 

Ce soir-là, il s’arrêta au pied d’un immeuble,

A quelques pas de l’escalier montant rue des Artistes.

Ayant posé l’échelle au mur, il s’y hissa.

Là, il enduisit un petit pan de mur

(Maçonnerie nocturne et diligente)

Puis il ficha, minutieux et recte,

Des mosaïques bleues, jaunes et argentées.

Il travailla vite. Interdit d’ajourer

Les murs publics; la police ignorait son art.

Elle rôdait, en rondes de nuit idiotes

Que Rembrandt, vif dans l’ombre et puissant, méprisait.

Mais la nuit fut son mécène intime

Et il eut pour spectateurs

Les adorateurs tardifs et souverains.

Il créa confidentiel et fulgurant.

Impossible retouche, impossible rajout;

Les petits carreaux de mosaïque étaient fixés,

Nouvelle et discrète empreinte dans Paris.

L’oeuvre achevée, il descendit puis s’en alla,

L’obscurité trop forte pour observer:

Il reviendrait de jour.

Au matin, quand le soleil éclaira la ville,

On vit briller sur la façade, au-dessus du portail,

Une grande araignée pattes déployées.  

 

3 commentaires:

  1. Franchement, quand on voit ce qui se publie et se vend parfois à des millions d’exemplaires, on enrage de constater que des écrivains comme Gabriel Zimmermann restent aujourd’hui inconnus. D’accord, les textes ne sont pas toujours d’un abord facile, mais depuis quand la littérature se résume-t-elle à du prêt-à-lire tout public ? Il faut lire et relire les poèmes ou les récits de ce blog pour saisir leur singulière puissance évocatrice, il faut s’y plonger pour comprendre que nous avons affaire à un grand auteur, tout simplement. Non, rien de soporifique ici, et nous attendons le réveil de quelques éditeurs pour qu’ils publient enfin ce qui mérite de l’être…
    Frédéric Allouche

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    1. Merci à Frédéric pour ce message et ce soutien, qui me fait plaisir autant qu'il m'exalte à continuer d'écrire, vaille que vaille, lof pour lof! A ce signe d'encouragement je réponds à mon ami philosophe et marin que ces mots de lui me fortifient et me convainquent de la nécessité d'écrire un livre à quatre mains sur le sujet qu'il connaît....

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  2. J'adhère tout à fait à ce cri de Frédéric Allouch. Je trouve révoltant l'hypocrisie de certains éditeurs qui continuent à ignorer la vraie littérature; celle qui invite le lecteur à réfléchir au lieu de le maintenir en léthargie destructrice. Merci Gabriel pour ton verbe pertinent et pour on écriture poétique d'une évocation singulière. Tu as notre appui et notre attention!

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